Le ténor suédois Nicolai Gedda nous quitte à l’âge de 91 ans

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De son vrai nom Harry Gustaf Nikolaj Gädda, Nicolai Gedda est né à Stockholm le 11 juillet 1925 avant de s’éteindre le 8 janvier dernier à Tolochenaz, près de Lausanne en Suisse, dans sa résidence, possiblement d’un arrêt cardiaque et sans souffrance. Une rumeur avait déjà annoncé prématurément son décès le 16 mai 2015, mais sa fille, la soprano Tania Gedda, a annoncé son décès seulement hier, un mois après la disparition de son père qui souhaitait cette « discrétion ». Nous avons ainsi perdu l'une des plus grandes voix du XXème siècle, admirable par sa technique, sa ligne de chant, sa diction et sa longévité.

Né du russe Nikolaï Gädda et de la Suédoise Clary Linnéa Lindberg, il est élevé dès sa naissance par sa tante Olga Gädda et son mari Mikhail Ustinoff. Ce n’est qu’à 17 ans qu’il apprend que son « oncle » est en réalité son père biologique.

De 1929 à 1935, la famille Ustinoff émigrait à Leipzig. Après le suédois et le russe, le très jeune Harry Gustaf Nikolaj Gädda apprend donc l’allemand, puis le français et l’anglais à l’école dans son pays natal où l’accession au pouvoir d’Hitler le pousse à rentrer, le rendant rapidement polyglotte.

Si la famille est relativement pauvre, son père adoptif commence à lui apprendre lui-même le chant, étant cantor à l’église orthodoxe, avant que le Prix Kristina Nilsson ne lui permette d’être accepté l’Académie royale de musique de Stockholm en 1950. Il ne faut alors pas attendre longtemps pour que sa carrière ne démarre : dès ses débuts à l’opéra de sa ville natale le 8 avril 1952, le triomphe est au rendez-vous, au point d’être remarqué par le producteur Walter Legge (qui lui fait signer un contrat et enregistrer Boris Godounov de Moussorgski avec Boris Christoff dans le rôle-titre) et Herbert von Karajan qui le fait venir en Italie, d’abord à la RAI de Rome pour Oedipus Rex de Stravinsky puis à La Scala de Milan où il chante en 1953 Don Ottavio dans le Don Giovanni de Mozart. Il n’en fallut pas davantage pour que les grandes villes d’Europe se précipitent et le réclament : l’Opéra de Paris pour Sir Huon dans Oberon de Weber l’année suivante et Les Indes galantes de Rameau, le Covent Garden de Londres pour le Duc de Mantoue dans Rigoletto de Verdi, le Festival d’Aix-en-Provence en 1954 pour L’Enlèvement au sérail de Mozart et Mireille de Gounod ou encore Vienne pour Don José dans une version de concert de Carmen de Bizet. En 1957, c’est un double triomphe, d’abord au festival de Salzbourg avec L’Enlèvement au Sérail, puis au Metropolitan de New York dans Faust de Gounod où il tient le rôle-titre.

Loin de se restreindre aux rôles classiques, il crée l’année suivante le rôle d’Anatole dans Vanessa de Samuel Barber, un rôle que le compositeur avait d’ailleurs imaginé pour lui. Son histoire d’amour avec le Met engendrera bien d’autres rencontres puisque jusqu’en 1983, il y chantera 367 fois dans 28 opéras. Il est également un interprète majeur de l’opéra français et son interprétation dans Les Contes d’Hoffmann mis en scène par Patrice Chéreau en 1974 reste un véritable modèle, de même que celle de Lakmé ou des Pêcheurs de perle. Quant à Faust de Gounod, il livre deux enregistrements mythiques pour le label EMI en 1953 et en 1959. Il enregistre par ailleurs en 1964 Carmen dans le rôle de Don José aux côtés de la Callas et de Georges Prêtre, décédé 4 jours avant lui.

Son registre s’élargit également à l’opérette viennoise dans laquelle il impose à nouveau son nom, mais il excelle aussi dans l’oratorio, les récitals ou les mélodies, ayant une excellente prononciation dans les langues qu’il chante. Il faut dire qu’en plus du russe, du suédois, de l’allemand et du français qu’il maîtrise déjà, Nicolai Gedda apprendra l’italien, l’espagnol, le grec, le portugais, l’hébreu, le néerlandais, ou encore le latin. Il déclarait d’ailleurs : « Si je chante une œuvre en français, je veux être aussi Français que possible, je veux exprimer toute sa clarté et sa transparence » (France Musique).

Il n’hésite pas non plus à se frotter aux œuvres réputées difficiles, comme Les Troyens de Berlioz à Rome en 1969, Le Prophète de Meyerbeer à Turin en 1970, Les Huguenots ou encore Guillaume Tell de Rossini à Florence en 1972. Seul Wagner semble lui résister : il ne chantera qu’un Lohengrin à Stockholm en 1966 et n’y reviendra plus jamais. Malgré toute la richesse de sa voix et les nombreux registres qu’elle lui permet d’aborder, Nicolai Gedda sait qu’il n’est pas un Heldentenor. Ceci ne l’empêche pas de comptabiliser une cinquantaine d’opéras, de Mozart à Janacek en passant par Rameau, Lully, Puccini ou Delibes ; c’est au final pas moins de 70 rôles que le ténor suédois a incarné tout au long de son demi-siècle de carrière, conservant malgré les années une voix claire, chaleureuse, flexible, fluide, aérienne et bien sûr puissante, pouvant atteindre des aigus formidables (Luciano Pavarotti dira à ce sujet : « Il n’y a pas de ténor vivant qui ait une plus grande facilité dans le registre aigu que Gedda »). Il chante jusqu’à l’âge de 80 ans et décide de faire ses adieux à la scène lyrique non pas sur une des grands scènes mondiales qu’il a foulées et conquises mais avec la chorale russe orthodoxe avec laquelle il avait débuté à 11 ans.

En 2003 cependant, il chante son tout dernier rôle en enregistrant Idoménée de Mozart dans le rôle du Grand Prêtre avant de recevoir an 2010 la Légion d’Honneur à Paris. Il est à ce jour le chanteur lyrique revendiquant le plus grand nombre d’enregistrements au monde avec un total dépassant les 200, voyageant parmi les registres avec une facilité déconcertante, assurant une diction qui force l’admiration. Le compositeur Yves Rinaldi écrivit par ailleurs à son sujet : « Tour à tour ténor lyrique (Spieltenor), ténor français, trial, ténor bouffe, tenore di grazia, tenore spinto […], son répertoire fut à la mesure de son étendue vocale phénoménale, allant de Rossini à Menotti, du bel canto à la musique sérielle, avec, à chaque fois, une facilité déroutante qui en fit un chanteur littéralement spécialisé dans tout et donc inclassable » (Yves Rinaldi, « Nicolai Gedda », musicarmonia.fr,‎ 5 février 2012).

Elodie Martinez

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