Marie Perbost : « Chanter même devant une salle vide est une chance ! »

Xl_marie_perbost2 © DR

Au lendemain de la première Générale de la production-événement qu’est Le Voyage dans la lune de Jacques Offenbach à l’Opéra-Comédie de Montpellier (notre collègue Elodie Martinez en a rendu compte dans nos colonnes), nous avons eu la chance de découvrir la seconde distribution, parmi laquelle évoluait l’un des principaux espoirs du chant français, la soprano Marie Perbost. Nous avons saisi l’occasion pour lui poser quelques questions, notamment sur sa participation à ce projet du Centre Français de Promotion Lyrique qui tournera ensuite dans plus d’une dizaine d’autres maisons lyriques…         

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Opera-Online : Vous raflez tous les Concours de chant : après celui de l’Adami, et de Nadia et Lili Boulanger, celui des Victoires de la Musique Classique dans la catégorie « Révélation lyrique de l’année » (en 2020). Quelle importance revêtent ces consécrations pour vous ? Sont-ce réellement des tremplins pour une carrière lyrique ?

Rafler tous les concours, c’est beaucoup dire… Il y en a tellement ! (rires). Les concours ont eu pour moi cette fabuleuse capacité d’apaiser ponctuellement le « complexe de l’imposteur » auquel je n’échappe pas. Je me suis appuyée sur ces jalons pour développer une confiance en soi salutaire dans ce métier. D’entendre de talentueux collègues, de découvrir le regard sur l’opéra d’autres pays, de se dépasser en somme, rendent les concours fructueux et enrichissants même sans prix à la clé. J’encourage toujours les jeunes chanteurs à s’y frotter, mais toujours en apprenant à sélectionner les concours avec soin, et en n’hésitant pas à échanger avec les chanteurs ayant participé à l’édition précédente par exemple.

Vous avez créé un spectacle intitulé « Une jeunesse à Paris » - et sorti un disque éponyme. Pouvez-vous nous parler de ce double projet ?

J’avais envie d’un spectacle qui aille à la rencontre de tous les publics, facilement adaptable en tous lieux et qui puisse donner envie à un public qui ne serait pas spontanément attiré par la musique classique. C’est une conversation décomplexée et enjouée entre le public et moi, émaillée d’un répertoire qui me tient particulièrement à cœur : celui de l'opérette, de la chanson et de la mélodie française. Certains textes chantés sont volontairement impertinents ou coquins, invitant le public à réagir. C’est ce que j’aime tout particulièrement dans le récital, la proximité avec le public qu’il offre, quand les lumières de salles ne sont pas éteintes et que je vois le public : ceux qui rient, ceux qui se grattent le nez, ceux qui sont là pour être vus, ceux qui connaissent les paroles par cœur… Une très bonne professeure de théâtre m’a appris à ne plus avoir le trac en inversant les rôles : « Ce n’est pas le public qui te regarde, c’est toi qui regardes le public ! ».

Vous deviez chanter le rôle de La Folie dans Platée à Toulouse dans une mise en scène de Shirley et Dino, mais le premier confinement vous en a empêchée. Avez-vous de regrets vis à vis tant du rôle que du spectacle en général, et comment vivez-vous la nouvelle fermeture des lieux de culture ?

L’annonce du confinement du 17 mars a coïncidé avec mes premiers pas dans les décors de cette production, sur la scène du Théâtre du Capitole que je découvrais également ce jour-là. Cette rupture brutale en pleine création, vécue par tous comme un déchirement, a été apaisée par la possibilité de revenir jouer en mars 2022. Le débat actuel sur l’aspect essentiel ou non essentiel des artistes en période de crise est complexe et douloureux. Protéger nos personnels soignants et nos concitoyens doit être une priorité mais une société sans culture est une société mourante. A mes yeux, il est nécessaire de trouver un équilibre pour que nous surmontions cette crise.

On vous a entendue hier à l’Opéra-Comédie de Montpellier lors la Générale du Voyage dans la lune de Jacques Offenbach dans lequel vous interprétiez le rôle de Caprice (en double distribution avec Violette Polchi). Pouvez-vous nous présenter, selon votre propre ressenti, à la fois votre personnage et plus globalement l’ouvrage d’Offenbach ?

Le Voyage dans la lune est un opéra-féérie, forme peu commune dans l’histoire de l’opéra. Malgré les coupes importantes - l’ouvrage dure normalement plus de trois heures -, l'œuvre ne perd en rien de sa poésie et de sa tendresse. La relation entre le Prince Caprice et la Princesse Fantasia est centrale. Ils découvrent ensemble l’amour par un biais amusant : en croquant des pommes ! Le plus marquant en tant qu’interprète est certainement le grand duo d’amour de l’acte II. Pour éviter de se toucher tout en traduisant leurs émois, Olivier Fredj a imaginé que leux protagonistes chanteraient suspendus ! J’ai un peu le vertige et le premier vol restera un sacré souvenir... Je prends maintenant un plaisir infini à chanter à six mètres du sol, avec une vue imprenable sur la salle et l’orchestre ! (rires)

Comment s’est passé le travail avec le metteur en scène Olivier Fredj et le chef d’orchestre Pierre Dumoussaud à Montpellier, première ville à accueillir ce spectacle promu par le Centre Français de Promotion Lyrique (en collaboration avec le Palazzetto Bru Zane), et qui a vocation à tourner ensuite dans une quinzaine d’autres villes en France sur une période de trois ans ?...

Très simplement ! Et cela même si les conditions de travail étaient particulières car conditionnées par les nombreuses mais nécessaires contraintes sanitaires. L’expérience de la double distribution s’est révélée inspirante - et regarder Violette travailler m’a permis de nourrir mon personnage de façon plus riche -, mais également frustrante, car être dans la salle sans pouvoir monter sur scène un jour sur deux, c’est très dur ! La mise en scène d’Olivier Fredj situe Le voyage dans la lune au cœur d’un tournage de cinéma, avec des « effets spéciaux » dont les trucages et les ficelles sont volontairement révélés. Une troupe de danseurs/acrobates fabuleux joue les techniciens de ce film. C’est une mise en scène exigeante pour les responsables techniques des différentes salles, c’est cet aspect qui sera le véritable défi de cette tournée.

A titre très personnel, comment avez-vous vécu cette Générale hier ? Quels sont les impressions et les sentiments que vous avez éprouvés à l’issue de la représentation ? La salle quasi vide ne vous a-t-elle pas gênée par exemple ?

Par les temps qui courent, chanter même devant une salle vide est une chance ! Et surtout dans un lieu exceptionnel comme la salle de l'Opéra-Comédie de Montpellier. C’était la première fois que je chantais ce rôle sans masque, l’extase ! (rires) La palette de couleurs apportée par l’orchestre a donné tout son sens à la musique d’Offenbach. J’ai vécu cette générale comme une première et une dernière car je ne sais pas quand j‘aurai de nouveau la possibilité d’être sur scène avec du public présent physiquement…

A vous avoir vu évoluer avec tant d’aisance et même de joie perceptible sur la scène de l’Opéra-Comédie, on a senti que le jeu et la scène sont vraiment primordiaux pour vous ?

De façon générale et dans ce répertoire en particulier, jouer est intrinsèquement lié au chant. Notre voix devient la voix de ce personnage. Construire et incarner un autre est un plaisir, c'est comme visiter une autre vie ! C'est cette magie que j'adore. D'autant plus dans Le Voyage dans la lune, où je suis un jeune garçon...

Laissons de côté le chant. Avez-vous d'autres passions qui jalonnent votre vie ?

Un de mes professeurs me disait : « Le chant, c’est un métier de bouche ». Mon autre passion est sans aucun doute la gastronomie ! Que ce soit en tant que cuisinière qu’en tant qu’épicurienne ! (rires)

À ce stade de votre carrière, comment espérez-vous le futur à moyen terme ?

« La nouvelle normalité, c’est l’anormalité » : la situation actuelle bouleverse notre profession. Je vais me laisser le temps de m’inventer de nouveaux rêves...

Propos recueillis le 19 décembre 2020 par Emmanuel Andrieu

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