À l’approche du centenaire du Festival de Salzbourg, en août prochain, comment ne pas évoquer Mozart dans l’histoire de la manifestation ? Le compositeur est évidemment indissociable de la cité autrichienne, mais la place des œuvres de l’enfant du pays a été variable au cours des cent ans d’existence du Festival, tantôt pour y présenter ses grands classiques, tantôt y redécouvrir certaines de ses œuvres moins connues, voire pour nous rappeler qu’encore aujourd’hui, « Mozart a beaucoup à nous dire ».
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1. Cent ans d’idéaux artistiques
2. Salzbourg, festival politique
3. Mozart à Salzbourg, les visages changeants de l’enfant du pays
4. Salzbourg de salle en salle
5. Salzbourg et ses voix
6. Salzbourg et son temps
Mozart au festival de Salzbourg, quoi de plus évident ? Certaines des premières éditions du festival lui ont été consacrées presque entièrement, un ou plusieurs de ses opéras sont présents à chaque édition, et nombreuses sont les séries de concerts qui lui sont consacrées. Une salle a même été construite en 2006 avec comme objectif avoué d’être un écrin idéal pour ses œuvres – 2006, le 250e anniversaire de la naissance de Mozart, où le festival avait choisi de donner une inédite intégrale de ses opéras.
Mais l’évidence est au moins en partie trompeuse : la place des œuvres de l’enfant du pays a été variable dans l’histoire ancienne et récente du festival. La mal nommée Haus für Mozart n’a accueilli certains étés aucune œuvre de son éponyme ; en résidence au Festival depuis les origines, l’Orchestre philharmonique de Vienne ne lui accorde que peu de place dans ses programmes salzbourgeois, bien moins qu’à Mahler ou Bruckner, comme si le gigantisme seul avait ses faveurs ; et, ces dernières années, l’effort historique du festival pour mettre en avant les œuvres de jeunesse de Mozart s’est enrayé – après l’intégrale de 2006, la trilogie Da Ponte et La Flûte enchantée constituent l’écrasante majorité des représentations d’opéras de Mozart.
L’excellence mozartienne, à Salzbourg, est longtemps venue de Vienne : dans les années 1920-1930, la fragilité financière du festival ne permet pas de faire plus en matière d’opéra que de servir de résidence estivale de l’opéra de Vienne, qui obtient ainsi la possibilité de se présenter sous ses meilleurs atours à un public international. L’un des collaborateurs des fondateurs du festival, Erwin Kerber, prend la direction de l’Opéra de Vienne en 1936, et la troupe de l’Opéra de Vienne continue même après la seconde guerre mondiale à contribuer fortement au rayonnement de Salzbourg comme haut lieu de l’esprit mozartien.
Dans les années 1930, Salzbourg joue un rôle important dans un mouvement alors tout neuf, et bien adapté au caractère international du festival : sous l’impulsion de Bruno Walter, Don Giovanni est donné pour la première fois en 1936 en italien et non en traduction allemande ; Les Noces de Figaro suit en 1937, et l’enregistrement préservé témoigne du naturel et de la force vitale de ce que peut alors proposer Salzbourg. Les distributions ne sont dès lors plus uniquement celles de l’Opéra de Vienne : comme aujourd’hui, ces spectacles affichent des chanteurs venus d’un peu partout, et d’abord, naturellement, des Italiens habitués à chanter ces œuvres dans leur langue originale. Après la guerre, la langue originale s’impose presque naturellement à Salzbourg ; Les Noces sont certes encore chantées en allemand en 1953, mais c’est à la demande de Furtwängler, plus familier de la version traduite, et ce n’est qu’un épisode isolé. L’Opéra de Vienne lui-même donne après guerre Les Noces en allemand ; la version originale ne s’impose à Vienne qu’au début de 1958… sous forme d’importation de la production salzbourgeoise de l’été précédent !
L’histoire du festival est longtemps marquée par un effort considérable pour faire mieux connaître tout l’œuvre mozartien dans sa diversité, au-delà des œuvres couramment à l’affiche partout ailleurs. Le premier opéra de l’histoire du festival, en 1921, est bien de Mozart : il ne s’agit pas d’un des grands opéras précédemment cités, mais de Bastien et Bastienne. Ce rôle de redécouverte d’œuvres délaissées de Mozart ne se limite pas à l’opéra : la série des Mozart-Matineen, créées en 1949 par Bernhard Paumgartner et données en général par l’orchestre du Mozarteum, a fait beaucoup pour la redécouverte des nombreuses (et passionnantes) sérénades composées par Mozart avant son départ pour Vienne, mais aussi, en matière vocale, pour celle des airs de concert. Les solistes sont souvent des jeunes chanteurs, mais on y retrouve précocement les noms de Teresa Stich Randall, Lisa della Casa ou Christa Ludwig.
En matière d’opéra, pourtant, cette mission d’exploration n’est que tardivement entreprise. Jusqu’en 1948, à l’exception du Bastien et Bastienne inaugural, seuls L’Enlèvement au Sérail, La Flûte enchantée et la trilogie Da Ponte sont au programme de Salzbourg. Il faut attendre 1949 pour que La Clémence de Titus fasse une première apparition ; Idomeneo est au programme pour la première fois en 1956, d’abord en janvier dans le cadre de la première Mozart-Woche, puis en été ; cinq ans plus tard, c’est à nouveau Idomeneo qui a les honneurs de Grande salle du festival, inaugurée l’année précédente, de façon à démontrer sa capacité à accueillir les œuvres de Mozart. Le sommet du culte mozartien au Festival est naturellement atteint en 2006, pour le 250e anniversaire de la naissance de Mozart : une édition en DVD garde la trace de l’intégrale de ses opéras, donnés à vrai dire pour certains dans des versions très amputées qui ne leur rendaient pas service.
Mozart est un passage obligé à Salzbourg, et beaucoup de festivaliers n’envisagent pas un séjour salzbourgeois sans un opéra de Mozart ; pour autant, ce sont souvent des œuvres très différentes qui ont fait l’événement ces dernières années. En 2017, Markus Hinterhäuser réussit pour sa première programmation à donner enfin à Mozart la place qu’il mérite : La Clemenza di Tito conquiert le public salzbourgeois par surprise, grâce à la direction inspirée de Teodor Currentzis, à la mise en scène déchirante de Peter Sellars, mais aussi à une chanteuse exceptionnelle, Marianne Crebassa. Juste retour des choses dans la ville natale du compositeur, et fondement prometteur pour l’avenir : si Mozart a le premier rôle à Salzbourg, ce n’est pas simplement pour l’anecdote biographique, c’est surtout parce que, dans un festival toujours en prise avec son temps, il a encore beaucoup à nous dire.
Dominique Adrian
01 juillet 2020 | Imprimer
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