Au terme de plusieurs jours de concours au château de la Ferté-Imbault dans la Vallée de la Loire, puis d’un gala avec Ramòn Vargas, la Sumi Jo International Singing Competition s’achevait en gratifiant l’impressionnant jeune baryton chinois Zihao Li du premier prix – aux côtés notamment de Marie Lombard et Juliette Tacchino, Kiup Lee et George Ionut Virban. Compte-rendu.
Ce weekend, le château de la Ferté-Imbault (dans la vallée de la Loire) accueillait dans un mélange de joie et de tristesse la finale de la Sumi Jo International Singing Competition ainsi que son gala de clôture. La joie, car l’événement a su demeurer festif et convivial du début à la fin, tant pour les candidats que pour le public, mais triste aussi car une fin n’est jamais heureuse lorsqu’une parenthèse enchantée s’achève.
Plusieurs choses frappent dans ce concours. La première est peut-être le niveau d’excellence générale, tant dans la qualité des candidats que dans celle du jury. La deuxième est la grande bienveillance de Sumi Jo – et de l’ensemble de l’organisation, y compris de la part des propriétaires des lieux – à l’égard des jeunes artistes, mais aussi du public, accueilli presque en ami et bienvenu sur l’ensemble du concours. Une proximité rare qu’il convient de souligner dans une manifestation de ce type. La troisième, c’est l’amour de la musique qui déborde de toute part et qui ne cesse d’être rappelé. Un amour porté notamment par Sumi Jo qui, en décidant d’implanter son concours en France, participe une fois encore au rayonnement du pays et de sa culture à l’international, ce qui lui a valu la distinction de Commandeur des Arts et des Lettres.
Pas de podium, mais des noms à retenir malgré tout
La finale a donc permis d'entendre de très belles voix. Toutefois, avant de revenir sur celles qui ont été distinguées sur le podium, il convient de nommer au moins deux artistes qui, selon nous, méritent que l’on garde un œil – et une voire deux oreilles – sur eux.
Tout d’abord, le baryton ukrainien Igor Mostovoi qui a présenté un air du catalogue de Don Giovanni très convaincant. L’interprétation était particulièrement vivante, tant dans l’incarnation sur scène que dans le chant, avec un phrasé ample et léger, offert à tout le public et pas seulement dirigé vers le jury. Il enchaînait ensuite avec le Monologue de Khmelnytsky, de Bohdan Khmelnytsky (un opéra de Konstantin Dankevych). Chacun des deux airs a été exécuté sans faille apparente, avec un réel investissement et un naturel qui ont su attirer notre attention, bien que cela n’ait malheureusement suffi pour conquérir le jury.
Ensuite, la soprano géorgienne Lina Tsiklauri qui fut un véritable coup de cœur avec un divin « Trees on the mountains are cold », irréprochable, d’une justesse de ton qui rend la magie de l’instant unique. Elle est parvenue à nous « cueillir » alors que la soirée touchait à sa fin (elle chantait en avant-dernière position), et à subjuguer le public. Las, l’erreur du choix du second titre lui fut fatale, avec « Il dolce suono... Spargi d’amaro pianto » (Lucia di Lammermoor) qui regroupait en réalité deux airs. La fatigue s’est quelque peu fait sentir, mais ce qui fut réellement dommage, ce sont ces deux notes finales qu’elle n’a pas réussi à saisir et qu’elle n’a donc pas tenues. Quel dommage ! Malgré tout, sa voix de soprano charnue et profonde, sa ligne de chant lisse et mélodieuse, cette parenthèse onirique offerte par le premier air qui nous plongeait dans un monde céleste malgré une tessiture qui n’est pas la plus aérienne parmi les sopranos... tout ceci nous a marqué, et l’on retiendra son nom, en nourrissant curiosité et intérêt quant à l'avenir de sa carrière.
Les premiers lauréats du concours
Quatre prix ont finalement été remis à cinq candidats. En effet, le prix spécial du jury s’est vu partagé entre deux candidates ex aequo, les sopranos françaises Marie Lombard et Juliette Tacchino. L’excentricité de la seconde a su transparaître non seulement dans le choix des extraits choisis (avec l’air d’Adelaïde « It’s my wedding » de J.Dove), mais aussi dans l’interprétation personnelle qu’elle en a faite. Elle offre elle aussi une belle voix ambrée, fruitée et mielleuse. Un chant tout en gourmandise ! Sa consœur avait opté pour « Nel grave tormento » (Mitridate) et « Caro nome » (Rigoletto). Nous avons noté des staccatos qui auraient pu être plus mordants encore, ainsi qu’une certaine limite dans les aigus, mais le second air demeurait néanmoins très joli.
Le troisième prix est revenu au ténor coréen Kiup Lee, dont la prononciation française s’est avérée très bonne pour « Salut ! Demeure chaste et pure » (Faust). Il a su offrir une belle ligne de chant, claire, qui s’est poursuivie dans « Languir per una bella » (L’Italienne à Alger), qui laissait également entendre de belles nuances, ainsi qu’une modération appréciable et de doux piani.
Le deuxième prix du jury est quant à lui revenu au ténor roumain George Ionut Virban, dont le premier air « Love to frequently betrayde » (The Rake’s Progress) ne nous a pas particulièrement convaincu, et dont l’extrait d’Il Corsaro de Verdi a été plus enthousiasmant, porté également par le bruit d’un feu d’artifice au loin.
Enfin, le premier prix de cette première édition du concours a été remis à l’unanimité au jeune baryton chinois Zihao Li qui n’en est pas à sa première distinction malgré son jeune âge ! Best Stage Performance Award lors de la première édition du Gulangyu Shangyin Opera House Opera Competition en 2023, année durant laquelle il s'est également arrogé la première place de l'Art Song Professional Group au Concours international de chant ouvert de Lanzhou et le Best Young Potential Award. Il a également obtenu la deuxième place du groupe d’opéra au 35e Concours international de chant de Marmande en France, la Golden Peacock Cup, et bien d’autres encore, dont ni plus ni moins que le prix du meilleur baryton et du meilleur jeune chanteur au concours de chant d’opéra Polo Coni en Italie en 2020, devenant ainsi le plus jeune candidat à remporter deux prix majeurs à ce jour. Des prix que l’on comprend aisément lorsqu’on l’entend en ce soir de grande finale ! C’est avec « Mein Sehnen, Mein Wähnen » (Die Tote Stadt) qu'il tente sa chance, laissant entendre une profondeur solaire, mais certainement est-ce « They wish they would kill me » (The Ghosts of Versailles de Corigliano) qui lui a permis d’atteindre la première marche du podium. Le jeu est particulièrement mâture et naturel, et il n’hésite pas à toquer sur le piano à plusieurs reprises, passant derrière, revenant devant... Il devient véritablement le personnage et vit complètement l’air qu’il interprète – avec brio, cela va sans dire. Le phrasé est excellent : ample, il se déploie merveilleusement et laisse entendre tout un potentiel déjà particulièrement bien maîtrisé du haut de ses 22 ans ! Il tira d’ailleurs un sourire à Sumi Jo et Ramon Vargas dans le jury, mais son mérite est indiscutable. Un jeune chanteur bluffant.
Un gala de clôture enjoué
Le lendemain de la grande finale, le concours proposait un gala afin de fêter dans la joie et la musique la clôture de cette première édition extrêmement prometteuse. Nous y retrouvions l’ensemble des lauréats mais également les trois pianistes encore présents (Sébastien Joly étant parti jeudi) : Andrey Vinichenko, Emmanuelle Moriat et Adrienne Dubois. Des noms qu’il convient de nommer compte-tenu de leur engagement et de leur talent dans ce concours.
Marie Lombard ouvrait le bal avec la valse de Juliette (Roméo et Juliette), suivie par Kiup Lee et « Au mont Ida » (La belle Hélène). Une entrée en matière un peu mitigée, mais cela peut se comprendre après une semaine de concours, une nuit certainement courte et à peine une journée pour préparer le programme qui a été ficelé dans la nuit seulement ! Puis vint George Ionut Virban avec la fameuse zarzuela « No puede ser » dans lequel il a particulièrement su briller, offrant une projection, une force et une puissance maîtrisées. Un extrait des Jeux d’enfants de Bizet, « Le Bal » proposait un interlude musical savoureux avant la venue très attendue du premier prix, Zihao Li, bien moins en forme que la veille pour ce « Largo al factotum » du Barbier de Séville. Enfin, un amusant duo des chats entre Marie Lombard et Juliette Tacchino clôturait la première partie de la soirée.
Elle se poursuivait à nouveau avec Juliette Tacchino pour un air de la Folie (Platée) décapant (la soprano nous a également gâtés avec un superbe « Non monsieur mon mari » des Mamelles de Tirésias), un joli duo « Au fond du Temple saint » issu des Pêcheurs de perles entre Kiup Lee et Zihao Li, le duo de Papageno et Papagena entre le lauréat et Marie Lombard – les deux voix ne se mêlant pas forcément très bien ici –, la soprano présentant également « Un di, felice, eterea » (La Traviata) aux cotés de George Ionut Virban.
Enfin, c’est par un air collectif que se terminait le gala, le célèbre « Libiamo ne’lieti calici », qui réservait une belle surprise aux lauréats ainsi qu’au public, puisque Ramon Vargas s’est levé de son fauteuil de juré afin d’entamer l’air, rejoint par Sumi Jo.
Le bilan de cette première édition du concours est donc particulièrement positif, et celui-ci a toutes les cartes et plus encore pour devenir une référence et se hisser au rang des plus grands. Rendez-vous donc en 2026 pour sa deuxième édition qui se tiendra donc en pleine année de l’amitié franco-coréenne !
publié le 14 juillet 2024 à 10h20 par Elodie Martinez
14 juillet 2024 | Imprimer
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