Raffaella Lupinacci : « Le belcanto, c’est l’élégance ; l’attention portée au son, au phrasé, au mot »

Xl_raffaella_lupinacci__2_ © DR

Si nous avions découvert la mezzo italienne Raffaella Lupinacci lors de l’édition 2018 du Festival de Martina Franca (dans Giuletta e Romeo de Vaccai), c’est au Théâtre Royal de La Monnaie de Bruxelles - dans une adaptation de La Favorite de Donizetti - qu’elle nous avait fait grande impression au point de parler de « révélation ». Une place dans l’échiquier lyrique mondial qu’elle vient de confirmer par son incandescente Adalgisa sur cette même scène le mois dernier dans la production iconoclaste de Christophe Coppens (compte-rendu ici). L’occasion de revenir avec elle sur le travail du trublion belge, mais aussi des origines de sa passion pour le chant, ou sa vision du belcanto et du chant français qu’elle affectionne particulièrement…               

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Opera-Online : Où et quand votre vocation pour le chant est-elle née ?

Raffaella Lupinacci : C’est une passion qui est née lorsque j’étais enfant. À l’âge de six ans, j’ai entrepris des études de piano mais, comme j’aimais chanter, j’ai donc en parallèle intégré le chœur polyphonique d’Acri, ma ville d’origine. J’ai commencé à découvrir le monde magique de l’opéra dès mon entrée en classe de chant lyrique au conservatoire, à l’âge de quinze ans. L’étincelle « fatale », ce fut l’écoute de la voix de Maria Callas, une révélation renforcée grâce au charme magnétique de cette femme et artiste extraordinaire.

Vous venez d’interpréter le rôle d’Adalgisa dans la production de Norma signée par Christophe Coppens au Théâtre Royal de la Monnaie de Bruxelles, une mise en scène très « moderne »... Pouvez-vous nous en parler et, de manière générale, que pensez-vous des « transpositions contemporaines » ?

Sans aucun doute, la version du chef d’œuvre de Bellini proposée à Bruxelles est très particulière, elle n’est pas conventionnelle. Le metteur en scène Christophe Coppens vient bousculer la doxa que nous pouvons partager. Ici, Norma est une activiste dans un groupe de néo-nazis qui vivent dans des villages fantômes à l’écart de la société, selon leur propre vision du monde, faite d’extrémisme et de fanatisme. Adalgisa aussi se retrouve également dans l’idéologie de ces individus.
Christophe Coppens situe les personnages dans un monde brutal, gris, où la nature n’a plus sa place, un monde de ciment, aride, qui est représenté sur scène par la présence de voitures, souvent des carcasses. L’appareil scénique de cette production est vraiment imposant. Mon premier duo avec le ténor, par exemple, est chanté en partie dans une voiture qui s’élève vers les cintres, jusqu’à disparaître hors du champ de vision des spectateurs. De la même façon, dans le terzetto qui conclut le premier acte, nous sommes en l’air à l’intérieur d’une construction faite d’un enchevêtrement de tôles, qui symbolise les pensées confuses et destructrices de Norma.
Pour ma part, j’accueille toujours avec une grande curiosité les propositions modernes et innovantes des metteurs en scène, surtout quand elles sont mues par l’intelligence d’exalter le chant et la musique. Parfois, je peux ne pas partager pleinement la vision du metteur en scène, mais je cherche toujours le compromis pour rendre au mieux le personnage. J’apprécie bien moins les mises en scène qui ne privilégient que l’aspect esthétique et chorégraphique, sans porter la moindre attention au développement du chemin intérieur, émotif et mental du personnage.

Nous avons eu l’occasion de vous entendre trois fois, ici à Bruxelles dans cette fameuse Norma et dans La Favorite de Donizetti, ainsi qu’au Festival de Martina Franca dans Giuletta e Romeo de Vaccai. Pensez-vous que votre voix se prête particulièrement au belcanto et que signifie exactement pour vous le belcanto ?

Je suis parfaitement à l’aise dans la pratique du belcanto, tant au plan vocal que mental. Le belcanto, c’est l’élégance, l’attention portée au son, au phrasé, au mot : rien n’est laissé au hasard.

Vous interprétez aussi le répertoire français, comme le rôle de Mallika, celui de Carmen ou encore la Muse dans Les Contes d’Hoffmann. Chanter en français vous plait-il ? Quelles sont, selon vous, les exigences particulières de notre répertoire ?

Je trouve le répertoire français très adapté à mon type de voix, et il y a tant de rôles que j’espère interpréter à l’avenir. Au-delà du charme qui caractérise la musique française, d’un point de vue exclusivement technique, c’est la valeur que la langue française ajoute au chant qui est intéressante : je trouve que, techniquement, le français assure une meilleure émission du son ; le français permet de trouver des positions harmonieuses qu’il est difficile de découvrir dans d’autres langues, même en Italien.

Qu’y a-t-il à venir dans votre agenda ?

Des prises de rôles, mais aussi des emplois déjà expérimentés, m’attendent. Juste après Norma à La Monnaie, j’interprèterai pour la première fois le personnage de Autonoe dans L’Orfeo de Nicola Porpora au Theater an der Wien. Je serai ensuite à Tokyo, au Festival belcanto, où je reproposerai une interprétation de Romeo dans Giulietta e Romeo de Vaccai. En mai 2022, je chanterai pour la première fois au Nationale Opera & Ballet d’Amsterdam avec le rôle de Giovanna Seymour dans Anna Bolena. Et pour ce qui est d’autres prises de rôles, je peux aussi déjà citer celui de Sara dans Roberto Devereux et celui de Desdemona dans l’Otello de Rossini… J’ai vraiment hâte !

Propos recueillis en décembre 2021 par Emmanuel Andrieu

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