Renaud Capuçon : « Il faut avoir de grands rêves »

Xl_renaud_capu_on__c__simon_fowler © (c) Simon Fowler

« perpetual music » un projet à l’initiative de

Rolex

Le violoniste Renaud Capuçon a été le premier à demander, début mars, un plan d’urgence au ministre de la Culture d'alors, Franck Riester, en prévision de la terrible crise qui frappe aujourd’hui les artistes de plein fouet, en pleine pandémie de coronavirus. Il a aussi été l’un des éléments déclencheurs de l’initiative solidaire « Perpetual Music », portée par Rolex au travers d’une série de concerts. Pour l’étape parisienne au Palais Garnier, il a concocté un programme de musique de chambre répondant à des segments vocaux choisis avec le ténor Rolando Villazón (que nous avons rencontré), qu’il connaît depuis nombreuses années. C’était le moment d’interroger cet artiste touche-à-tout sur le rayonnement de la musique…

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Comment avez-vous articulé ce programme de musique de chambre de Mozart à Mahler, initié avec la première suite pour violoncelle de Bach ?

Il est toujours compliqué d’organiser un concert retransmis car il faut penser aussi bien à la musique qu’aux changements de plateau. Plein de petites choses entrent en jeu dans le timing. Mais l’idée principale était de mettre en valeur et aider les jeunes artistes. J’ai essayé de faire jouer chaque musicien ou formation individuellement dans une durée assez courte. Il nous a été demandé à Rolando Villazón et à moi de participer avec les musiciens. J’ai donc choisi d’interpréter Morgen de Strauss avec Adèle Charvet et de m’adjoindre au quatuor avec piano de Mahler. Le premier mouvement est le seul que Mahler ait pu terminer. Il dure une dizaine de minutes et c’est une splendeur totale. Je trouvais ça beau de terminer le concert comme une sorte de symbole : tous les musiciens, jeunes ou moins jeunes, sont plongés dans la même vie musicale.

Vous avez à cœur de transmettre, de faire connaître, de partager la musique, notamment en tant que président d’honneur de la Live Music Now France, professeur à Lausanne, ou créateur de l’ensemble Lausanne Soloists. Vous voyez-vous comme un intermédiaire de la musique ?

En fait, je veux toujours mettre la musique au centre. Il me faudrait plusieurs vies pour faire tout ce que j’ai envie de faire au regard de mon amour pour la musique ! Quand on est passionné et habité par une chose, on a d’abord envie de la partager. Même si je le fais naturellement, ça ne me suffit pas, d’une certaine façon. J’ai aussi besoin de transmettre à des jeunes, de partager la musique avec des chefs d’orchestre et avec le public dans la programmation de festivals. Je me sens juste musicien, finalement. J’ai envie d’être interprète et acteur de la musique : pas seulement l’acteur sur scène, mais aussi dans le sens de la vie « active ». C’est une chose qui n’est peut-être pas si fréquente, mais elle fait partie de ce que je suis comme personne.

Parlez-nous de la genèse du Festival de Pâques d’Aix-en-Provence, que vous avez créé en 2013…

J’avais créé près de Chambéry (la ville de mon enfance) les Rencontres artistiques de Bel-Air, dont je m’étais occupé jusqu’à la naissance de mon fils. Cette fringale de musique m’a ensuite repris, et j’ai eu très envie de créer un festival pour la période de Pâques, un moment de l’année que j’affectionne particulièrement. En regardant vers Aix-en-Provence, j’ai immédiatement pensé à Salzbourg, avec son grand festival lyrique l’été et son festival de Pâques. Aix-en-Provence et Salzbourg sont des villes culturelles à taille humaine où je me sens bien, comme Lausanne ou Chambéry. Avec le public, on a l’impression qu’on fait de la musique de chambre, c’est une sensation difficile à expliquer. On ne sent pas écrasé par une sorte de mégalopole énorme. Je dois dire que j’ai été stupéfait, quand je me suis rendu compte que personne n’avait pensé à organiser un festival de Pâques à Aix-en-Provence, alors que le festival d’été a plus de 70 ans d’existence ! J’ai surtout eu la chance de mettre en œuvre cette idée, c’était formidable.

Au Festival de Pâques d’Aix-en-Provence, vous invitez chaque année des orchestres d’opéra (Monnaie de Bruxelles, Wiener Staatsoper, Teatro Regio de Turin, Théâtre Mariinsky, Opéra national de Paris). Qu’appréciez-vous à l’idée d’intégrer ces formations non-symphoniques dans votre programmation ?

Je fonctionne beaucoup par affinités musicales et j’entretiens des rapports musicaux et amicaux avec tous ces orchestres. J’ai joué avec eux en tant que soliste, je connais personnellement leur chef. Dans mon cahier des charges, il y a l’idée de passionner le public et de le faire rêver... ce qui est une des missions essentielles d’un programmateur de festival ! Comme dans un restaurant, le chef cuisinier doit faire plaisir. J’aime aussi l’idée que les orchestres d’opéra viennent jouer du répertoire. Du fait d’interpréter en permanence des œuvres lyriques, ils ont une sonorité très singulière. Leur façon de jouer une symphonie de Brahms ou de Schumann sera tout à fait différente d’un orchestre qui joue cela toute l’année. C’est donc aussi intéressant pour l’ « angle de vue ».

Vous avez interprété tous les concertos pour violon de Mozart, et enregistré l’intégralité de ses sonates avec piano, aux côtés de Kit Armstrong. Comment expliquez-vous le lien très fort qui vous unit à Mozart ?

En dehors du fait que nous partageons la même date de naissance (mais c’est tout à fait anecdotique !), j’ai entendu ses œuvres très jeune. J’ai été bercé par les opéras de Mozart qu’écoutaient mes parents, et la vie de Mozart racontée par Gérard Philipe. La première sonate que j’ai jouée a été celle en mi mineur de Mozart, mon premier concerto a été le Troisième de Mozart. D’aussi loin que je me souvienne, ce sont des œuvres qui me parlent. J’ai par la suite développé un lien privilégié avec Salzbourg. J’y vais au moins une fois par an depuis une quinzaine d’années, ou bien à la Semaine Mozart, ou bien l’été, ou bien avec la Camerata Salzburg. Je crois que la musique de Mozart rythme complètement ma vie. C’est un répertoire que j’aime, que je joue, et que je vais bientôt diriger, avec l’Orchestre de Chambre de Lausanne. On ne peut pas être musicien et passer à côté de Mozart.

Et puisque nous sommes dans l’année Beethoven, racontez-nous votre lien à sa musique…

La deuxième sonate que j’ai jouée a été « Le Printemps », après celle de Mozart. On a la chance d’avoir dix sonates pour violon chez Beethoven. Il y a un seul concerto, mais quelle splendeur ! Ce sont des œuvres que je joue depuis toujours, que je porte en moi. J’aime le tempérament insolent de Beethoven, sa modernité incroyable et ce côté tempétueux dans toutes ses œuvres. Son 250e anniversaire a sans doute été un peu tronqué par la Covid, mais les musiciens se rattraperont forcément car on revient toujours à Beethoven. Ce n’est pas comme si c’était l‘anniversaire d’un compositeur qu’on ne joue jamais !

Quel est votre solo de violon préféré à l’opéra ?

Il y a un court solo que je trouve splendide dans La Bohème. Celui de la Missa solemnis de Beethoven (même si c’est une œuvre chantée, et non un opéra) est peut-être une des choses les plus belles qu’il ait écrites pour le violon. Et bien sûr, il y a tous les solos des opéras de Strauss, en particulier ceux du Chevalier à la rose, qui sont à tomber !

Quel compositeur incarne pour vous le pas en avant perpétuel ?

Peut-être Berlioz et Beethoven, parce que ce sont des révolutionnaires, qui n’ont cessé d’innover. On peut toutefois se placer différemment et répondre Bach, parce qu’il a tout inventé. Si je ne devais en citer qu’un seul, ce serait lui : on s’appuie toujours sur lui, on est toujours ébahi par sa musique incroyable.

Vous avez affirmé un jour sur un plateau de télévision : « Si les hommes politiques étaient plus cultivés, les pays pourraient un peu plus avancer ». À votre avis, comment les hommes politiques pourraient-ils être plus cultivés ?

Alors c’est une chose qu’on peut me retourner dans l’autre sens parce que dans l’extrême, Adolf Hitler adorait la musique... Ce que je voulais dire à travers cette phrase, c’est que je suis assez idéaliste de rêver que les gens qui nous gouvernent aient toutes les qualités. Je crois profondément que la culture, qu’on soit homme politique ou non, enrichit l’être humain. On s’est d’ailleurs rendu compte de l’épaisseur de la culture dans nos vies pendant le confinement. On n’a jamais eu autant besoin de lire, d’écouter de la musique, de voir des films. Quelqu’un qui a lu, qui a une connaissance générale (mais pas nécessairement pointue), a une ouverture d’esprit et une ouverture sur la vie.

Vous avez joué deux représentations de Capriccio dans la fosse du Palais Garnier, sous la direction de Philippe Jordan, et vous avez vous-même commencé à diriger. La direction d’orchestre à l’opéra est-il votre rêve ultime ?

Voilà, la réponse est dans votre question ! Je suis persuadé qu’à partir du moment où on rêve de diriger, on rêve forcément de diriger un opéra un jour, encore une fois parce qu’on aime la musique. Pour ma part, ça serait sans doute du Mozart ou du Strauss, mais j’en suis encore très loin ! Quand on aime la musique, il faut avoir de grands rêves. Par exemple, pour le quatuor à cordes, on m’avait toujours dit qu’il ne fallait en faire que si on ne se dédiait qu’à ça. Ça n’a pas de sens ! J’ai donc décidé de créer un quatuor avec Guillaume Chilemme, Adrien La Marca et Edgar Moreau parce que je ne voulais pas passer à côté des chefs-d’œuvre des derniers quatuors de Beethoven.

Vous avez depuis quelques mois votre statue de cire au Musée Grévin, à Paris. Est-ce selon vous un pas en avant vers la démocratisation de la musique classique auprès d’un public qui ne s’en sent pas forcément proche ?

Ce qui me fait plaisir, c’est de montrer aux jeunes qui vont au Musée Grévin que la musique classique n’est pas forcément si ringarde. Ils y voient des stars de la chanson, des comédiens, donc c’est plutôt un bon signal qu’ils y voient des musiciens classiques pas complètement morts (rires) ! Le monde de la musique classique souffre d’une image ringarde, souvent due à l’entre-soi des artistes. On s’y complait parfois, la question est de mettre le curseur au bon endroit. Si on veut faire de la musique pour tous, ce que je pense vraiment, il faut garder l’excellence. Si on s’abaisse à faire des émissions de mauvaise qualité, on perd son âme. Je vois l’excellence comme une discipline, quelle que soit la direction que je prends pour le choix d’un programme. C’est la notion d’amener la musique à tous au plus haut niveau possible.

Propos recueillis le 31 août 2020 par Thibault Vicq

Crédit photo (c) Simon Fowler

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