La soprano Angela Meade s’est fait connaître pour ses interprétations magnétiques dans l’opéra italien sur les scènes les plus prestigieuses. Nous l’avons rencontrée au Verbier Festival, où elle participait à une version de concert d’Un bal masqué de Verdi, dans le rôle d’Amelia.
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Opera Online : Amelia est sans doute le personnage le plus sincère d’Un Bal masqué. Comment cela se reflète-t-il dans le chant ?
Angela Meade : Dans la technique, il n’y a pas que la puissance vocale qui importe. Il faut trouver une vérité et une douceur du chant, suivre une ligne de legato plutôt qu’être dans l’attaque. Ces choses sont à prendre en compte dans l’interprétation parce qu’on a d’abord tendance à chanter fort, mais on est plus dans un développement psychologique en temps réel. Amelia n’a pas forcément peur de mourir, elle a surtout peur de faire défaut aux gens qui l’entourent, ou de salir sa réputation. Ça n’a rien de superficiel. Si elle devait mourir, elle porterait toute cette douleur.
Dans quelle mesure évoluez-vous artistiquement avec les opéras de Verdi ?
J’adore Verdi, et je suis maintenant capable de m’attaquer à des rôles verdiens plus lourds. Je vais chanter pour la première fois dans La Force du destin à La Corogne (Espagne) en septembre, et pour la deuxième fois dans Don Carlo, au Metropolitan Opera. En tant que femme, je me reconnais au fil de l’âge en ces femmes ultra-vulnérables que Verdi a beaucoup dépeintes en femmes d’expérience. Pour ces personnages, on arrive sans mal à piocher dans notre vie de famille de quadragénaire mariée. Il y a beaucoup de liens avec la vraie vie.
Quels sont les lieux que vous préférez pour interpréter l’opéra italien ?
Je ne sais pas vraiment s’il y a un public spécifique à chaque maison d’opéra, et je ne pense pas qu’il y ait de public meilleur qu’un autre. Le public du Teatro alla Scala peut même être le même que celui du Metropolitan Opera. Chaque soir est différent. Parfois, on se dit en sortant qu’on a senti un véritable lien avec les gens, ou qu’au contraire on s’est senti isolé. Pour ma part, j’adore avoir eu l’impression de n’avoir fait qu’une avec le public, comme dans une grande étreinte qui ferait la synthèse à grande échelle de la proximité et de l’énergie. À la première ou à la dernière représentation, ce n’est jamais pareil, mais je me suis toujours sentie bien partout.
Vous avez chanté l’année dernière dans La Walkyrie à Seattle. Wagner constituerait-il un nouveau tournant dans votre carrière ?
Tout à fait. On me le demande depuis très longtemps et je n’ai cessé de reporter l’échéance parce que je voulais garder une voix suffisamment aiguë pour le bel canto, mais avec l’âge et la maturité j’ai réussi à trouver le moyen d’utiliser ma technique dans Wagner et Strauss, ainsi que dans les derniers Verdi. Donc oui, je ferai encore plus de Wagner à l’avenir. Je peux chanter Norma, Anna Bolena ou Roberto Devereux toute ma vie sans m’en lasser, c’est certain, mais c’est bien aussi d’explorer de nouveaux territoires. J’avais chanté des airs en allemand pour des auditions, et des Lieder en récital, mais jamais d’opéra complet en allemand. C’est une nouvelle aventure pour moi.
La musique en allemand vous paraît-elle caractéristique du rythme de la langue ?
J’ai fait beaucoup de bel canto, avec de magnifiques lignes de legato. L’allemand rend la musique sans doute un peu plus anguleuse, mais on doit justement marier cette angularité avec le legato. C'est de la géométrie, en fait. Les opéras italiens seraient des cercles, et les opéras allemands, plutôt des parallélogrammes. Les triangles seraient les opéras tchèques ou russes, avec tout ce débit de consonnes.
Propos recueillis le 23 juillet 2022 et traduits de l’anglais par Thibault Vicq
Le Verbier Festival (Suisse) se tient jusqu’au 31 juillet
La Force du destin, de Giuseppe Verdi, à l’Ópera de A Coruña le 3 septembre 2022
Lucrèce Borgia, de Gaetano Donizetti, à la Bayerische Staatsoper (Munich) du 12 au 22 octobre 2022
Don Carlo, de Giuseppe Verdi, au Metropolitan Opera (New York) du 23 novembre au 3 décembre 2022
Ernani, de Giuseppe Verdi, au Palau de les Arts Reina Sofía (Valence) du 7 au 18 juin 2023
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