Rencontre avec John Osborn, Arnold au Grand-Théâtre de Genève

Xl_xl_john_osborn © DR

Nous avons récemment adoré entendre John Osborn dans Manon à Lausanne, La Donna del Lago à New-York, Otello (Rossini) au Théâtre des Champs-ElyséesSemiramide à LyonBenvenuto Cellini à Amsterdam, ou encore Norma à Salzbourg. Alors qu’il chantait le rôle d’Arnold dans Guillaume Tell au Grand-Théâtre de Genève, nous avons saisi l'opportunité de rencontrer le ténor américain, certainement l'interprète le plus emblématique aujourd'hui dans le répertoire romantique français.

***

Avez-vous toujours su que vous alliez être un ténor ?

Oui. J’ai su dès le lycée que j’étais un ténor, même si - quand j’étais plus jeune -, je tenais davantage du contralto. J’ai toujours eu beaucoup de facilités avec les notes aigus, et en grandissant et en mûrissant, les graves se sont développés, comme l’ensemble de ma voix.

Vous avez chanté Arnold dans Guillaume Tell à Genève. Aviez-vous déjà vu cette production de David Pountney qui a déjà été présentée à Cardiff et à Varsovie ?

Je n’avais jamais vu ni entendu cette production de David Pountney et du chorégraphe Amir Hosseinpour avant de venir à Genève. J’ai croisé David à la cérémonie des Opera Awards à Londres, il y a quelques mois. Je lui ai demandé s'il serait à Genève pour les répétitions, et il m'a dit que oui. Deux semaines durant, j'ai eu la chance de répéter sous sa direction. 

Cette version inclut la plupart des ballets qui occupent une place importante dans cet opéra. Aimez-vous les chorégraphies imaginées par Amir Hosseinpour ?

J’ai immédiatement pensé qu’elles seraient à l’image de ce que je connaissais d’Amir. La chorégraphie a été faite avec beaucoup de goût et de mouvements de danse moderne qui contribuent à renforcer la narration de l’œuvre. Il a assurément un style chorégraphique très personnel, qui ressort de toutes ses productions que j’ai vues jusqu’ici.

Vous allez bientôt chanter le rôle-titre de Benvenuto Cellini au Liceu de Barcelone. Comment allez-vous aborder cette partition très vivante et ce rôle créé par Duprez qui allie lyrisme et héroisme ?

Il faut se rappeler que Benvenuto Cellini est le premier opéra de Berlioz, et j’ai donc beaucoup de respect pour le génie de son écriture, comme pour toute la suite de son œuvre. Je ressens beaucoup de sentiments sombres et torturés à travers son écriture, sa musique ainsi que dans ses mots, même si bien entendu, l’histoire se termine par une fin heureuse après une évolution difficile et tourmentée. Pour être parfaitement honnête, je crois que les mêmes qualités possédées par Gilbert Duprez, sont celles qui sont nécessaires pour interpréter adéquatement la plupart du répertoire lyrique français aujourd'hui. La capacité à chanter avec un beau phrasé, beaucoup de douceur, tout en faisant face aux ascensions héroïques dans le registre vocal supérieur, résument ce à quoi s’attend le public moderne lorsqu’il assiste à de telles représentations.

Vous semblez avoir une prédisposition pour les rôles de ténor romantique, et plus particulièrement les français, comme Raoul (Les Huguenots), Leopold (La Juive) ou Arnold (Guillaume Tell)…

Je crois que grâce à ma formation lyrique et ma progression au travers des rôles du bel canto, de Mozart, ou du répertoire Français, m’ont conduit là où je suis aujourd'hui. J’aurai pu continuer à chanter des rôles plus légers tels que Almaviva (Le Nozze di Figaro) et le prince Ramiro (La Cenrentola), mais je préfère laisser ma voix se libérer et grandir tant que mes capacités me le permettent.

Certains acteurs de films sont très investis dans leur rôle. Qu’en est-il pour vous ?

Je sens que je dois dresser le portrait de ma propre interprétation individuelle d'un personnage, aussi précisément que possible, avant tout en fonction de la façon dont je lis le rôle et dont je le comprends et le perçois. Je pense que si j’apporte divers aspects de ces rôles dans ma vie personnelle, cela pourrait devenir dangereux et peut-être dommageable en raison de la nature de tant de rôles que j'intreprète. Je dois maintenir un certain sens du réalisme et être fidèle à ce que je suis en dehors du monde de l’opéra.

Vous semblez très concerné par le texte, la manière de le déclamer, dans un style très contrôlé et accompli. Est-ce le résultat de l’école du chant nord-américaine ?

Tout d'abord, merci de me dire cela, c’est un énorme compliment. Je trouve cela extrêmement important d'utiliser les mots pour créer des couleurs expressives. Je crois que chanter l'opéra classique est un moyen de communiquer à un niveau plus élevé que la parole de tous les jours. Je pense que si vous ne communiquez pas l'essence de la langue, que ce soit en italien, français, allemand ou russe, alors vous ne faites pas vraiment votre travail. Il est de notre devoir en tant qu'artistes de communiquer également ce que le compositeur et le librettiste ont écrit. J’adore la poésie, et j'ai le goût des différentes langues parlées et écrites. Tout commence toujours avec les mots, et puis, bien sûr, la dynamique des différents niveaux est la plupart du temps écrite dans la partition. Je pense que les ignorer est une honte et une irresponsabilité de la part d'un artiste, qui par exemple chanterai tout mezzo-forte, car il y a une telle palette à créer via toutes les nuances et les couleurs des mots !
Concernant ma formation américaine, je dois admettre que tout ne vous est pas enseigné par un professeur de chant. Tout cela vient de décisions conscientes, c’est le choix de l'artiste dans sa façon d'exprimer le texte et la musique. Cela s’apprend à travers l'expérience, mais aussi à travers la volonté de le faire. Ceci est en fait tout l’art de notre métier.

Avez-vous le sentiment qu’un moment particulier a lancé votre carrière ?

Je crois qu'entre La Juive à Paris et Guillaume Tell à l'Académie Santa Cecilia de Rome, une direction particulière dans ma carrière a été prise, c'est vrai. Ces deux rôles ont montré aux gens que je n’étais pas seulement un ténor rossinien de second plan, mais un interprète beaucoup plus profond, possédant autre chose que le simple répertoire de ténor léger. Je crois que je suis toujours un jeune ténor lyrique, pas nécessairement le tenore di grazia que mon répertoire du moment implique. J’ai toujours reçu des critiques très positives pour des rôles tels que Nemorino, Edgardo, et Devereux, plus encore que pour ceux du Comte dans Le Barbier de Séville ou Lindoro dans La Cenerentola par exemple. Je suis enfin en mesure de montrer ma profondeur et mon lyrisme, non seulement vocalement, mais aussi dramatiquement. Honnêtement, les rôles que je chante maintenant sont tout simplement ceux à même de dévoiler mes plus belles qualités.

Avez-vous déjà pensé à arrêter de chanter ?

Jusqu'à ce jour, il ne m'a jamais traversé l'esprit d’arrêter de chanter. Je sens que je peux bien chanter jusqu’à mes 60 ans. Qui sait ? Peut-être plus, peut-être moins...

Traduit librement à partir de l'Interview réalisée (en anglais) par Emmanuel Andrieu

John Osborn dans Guillaume Tell au Grand-Théâtre de Genève - Du 11 au 21 septembre 2015

| Imprimer

En savoir plus

Commentaires

Loading