Lorsque nous avions rencontré Julie Roset en juin 2021, elle avait évoqué la création d'un ensemble avec deux de ses amies, Ana Vieira Leite et Camille Allérat, deux autres sopranos de talent. Presque deux ans plus tard, c'est donc avec plaisir que nous les retrouvons toutes les trois afin de discuter de ce projet maintenant concret, avec la sortie d'un premier disque en septembre sous le nom de leur ensemble : La Néréide. L'occasion d'échanger sur leur histoire, la création de cet ensemble, leurs projets pour celui-ci ou encore pour leur carrière personnelle.
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Opera Online : Vous vous êtes rencontrées durant vos études à la Haute Ecole de Musique de Genève. Comment en êtes-vous arrivées au projet de créer un ensemble toutes les trois ? Pourquoi l’appeler « La Néréide » ?
Camille Allérat : Nous avons participé toutes les trois à un projet scénique autour d'un opéra de Caldara, et c’est là que nous nous sommes découvertes musicalement. On s’est rendu compte que nos trois voix marchaient très bien ensemble, et qu’il était même parfois difficile de savoir qui chantait. Malgré le fait que nous ayons des timbres assez différents, il y avait une fusion qui se faisait assez facilement. On a ensuite travaillé autour du célèbre « Miserere » de Clérambault écrit pour trois voix égales, aidées par des professeurs de la HEM spécialisés dans ce répertoire. Tout naturellement nous avons eu l’envie de créer cet ensemble ! C’était alors en 2019. L’année suivante, le Covid est arrivé, ce qui a un peu coupé notre élan !
Ana Vieira Leite : Nous avons choisi le nom La Néréide d’abord pour sa signification mythologique : les Néréides sont des nymphes marines qui peuvent être assimilées aux sirènes, connues pour envoûter les marins. D’autre part nous aimions la sonorité de ce nom ainsi que son graphisme. Enfin, nous aimions le principe du singulier car il y avait cette idée d’une fusion des voix, et que ce trio devient finalement comme une même entité à trois têtes.
Julie Roset : Je voudrais ajouter que si nous avons créé cet ensemble, c’est parce que nos voix s’accordent très bien, mais aussi parce qu’on est très proche toutes les trois. Nous sommes amies avant tout, et nous sommes donc très heureuses quand nous pouvons nous retrouver !
Ensemble La Néréide(Ana Vieira Leite, Camille Allérat, Julie Roset) ;© Jean-Baptiste Millot
Est-il difficile de créer un ensemble aujourd’hui, notamment avec toutes les crises que l’on connait ?
JR : Dans notre cas, nous nous étions déjà rencontrées avant ; il n’y avait donc pas de problème pour savoir qui intégrer dans l’ensemble. Concernant le disque, il s’avère que je connaissais le directeur du label, Jérôme Lejeune, avec qui j’ai déjà beaucoup travaillé, et il nous a donc fait confiance pour ce nouveau projet.
En revanche, il est plus difficile de trouver des concerts : les gens ont tendance à aller vers des ensembles et des répertoires qu'ils connaissent déjà. Heureusement, nous avons toutes les trois un réseau assez fourni, et nous sommes aussi originaires d’endroits très différents, donc nous pouvons multiplier les opportunités de proposer nos programmes !
CA : Il y a effectivement une conjoncture qui n’est pas simple, d’autant plus que d’un point de vue administratif, nous sommes toutes les trois novices. Evidemment, un ensemble qui démarre n’a pas forcément les moyens de rémunérer un administrateur ou une administratrice, un diffuseur, d’avoir tout de suite un agent… Ce sont des choses que l’on met en place petit à petit et qui seront probablement d’actualité d’ici quelques mois.
AVL : Je crois qu’au Portugal c’est encore pire : il y a beaucoup de festivals, mais c’est vraiment difficile de trouver le bon contact, la bonne personne.
CA : Et puis il y a aussi le fait qu’on a fait les choses un peu « à l’envers » : on a commencé par enregistrer avant que les gens puissent réellement nous entendre en concert.
Justement, vous allez sortir votre premier disque autour des madrigaux pour les « Tre Donne » de Ferrare. Qu’est-ce qui vous a amené à ce programme, et comment l’avez-vous créé (entre les œuvres de Luzzaschi, majoritaires, et celles de Caccini, Marenzio et Monteverdi) ?
AVL : Au début, nous avions envisagé un programme français parce que c’est la musique qui nous a réuni. Puis le directeur du label nous a proposé d’enregistrer celui-ci, qui est assez différent de ce que l’on fait d’habitude. Et nous nous sommes totalement laissées embarquer par cette musique extraordinaire !
JR : Il avait effectivement peur qu’en sortant un premier disque axé sur la musique française, on nous catégorise dans ce répertoire précis. De plus, un programme italien nous permet davantage de moments virtuoses qu’on aime beaucoup travailler. Et pour ce qui est de ces trois Dames, elles étaient de véritables figures de l’époque : il fallait avoir une invitation pour avoir la chance d’assister à leurs concerts, même si l’on appartenait à la Noblesse. C’était assez secret, et je trouve aussi cela important de voir la place de ces femmes à une époque où celle-ci étaient généralement reléguée à la maison… Nous avons aussi ajouté des pièces de l'Alcina de Francesca Caccini qui est un opéra où l’on trouve des sirènes (entre autres personnages), mais leur ordre dans le disque n’est pas représentatif de l’œuvre : on a adapté la partition à notre effectif, en créant une sorte de pastiche.
CA : En ajoutant d’autres pièces, l’idée est aussi de rendre le disque un peu plus « digeste », car la musique de Luzzaschi est très dense, difficile à chanter, et il peut y avoir quelque chose d’envahissant pour l’auditeur avec toutes ces vocalises. Après, il y a un tel répertoire en Italie que l’on a simplement choisi des choses qui nous plaisaient, dans lesquelles on se sentait bien et qui permettaient d’insuffler un peu d’air dans le disque.
Vous préparez un concert, vous avez évoqué un deuxième disque… Pouvez-vous nous parler plus en détails des projets de votre ensemble ?
AVL : Nous avons plusieurs concerts autour de la sortie de notre album : nous avons donné le premier en mai à Avignon, nous serons au festival de Namur le 4 juillet, à l’Opéra de Dijon et à Paris en octobre. Le disque sortira officiellement le 8 septembre.
CA : Bien qu’il soit difficile de trouver du temps ensemble, nous avons quand même déjà planifié le prochain disque pour septembre 2024, durant la seule semaine que nous avions en commun de toute l’année ! Nous avons énormément de projets, d’idées pour de nouveaux programmes… La musique baroque compte beaucoup dans nos parcours respectifs, mais nous ne nous interdisons pas d’explorer un jour le répertoire à voix égales plus récent, jusqu’au XXè siècle.
JR : Ca me rappelle notre tout premier concert. C’était dans un bar à Genève, où des camarades de la HEM organisaient des petits concerts, et on avait justement fait des extraits de la Messe de Caplet… avant de finir sur « Eternal Flame » arrangé à trois voix ! Mais pour notre deuxième disque, nous savons déjà que nous enregistrerons le répertoire baroque français que nous affectionnons particulièrement.
Comme vous l’avez dit, vous avez aussi des carrières solistes. Comment parvenez-vous à gérer d’un côté celles-ci, et de l’autre La Néréide ? Est-ce que, par exemple, ces projets se nourrissent les uns les autres ? Il y a par exemple eu un disque dernièrement Didon et Enée, où vous étiez présentes toutes les trois, mais pas en tant qu’ensemble…
AVL : Effectivement, c’est difficile, notamment pour trouver des dates communes. Mais je crois que nos carrières solistes aident un peu, notamment pour trouver des concerts, des contacts.
JR : Nous avons toutes les trois participé à l’enregistrement de « Dido and Aeneas » car Jonas Descotte, le chef des Argonautes, est aussi un ami que nous avons connu à Genève. C’est vrai que même si nous avons notre ensemble, il nous arrive d’avoir des projets – notamment avec lui – où nous nous retrouvons.
CA : Je pense que c’est effectivement intéressant que l’on arrive à dissocier les moments où on se présente en tant qu’ensemble, où il s’agit de nos choix artistiques, et les moments où on nous embauche séparément. Dans le cas des Argonautes, il a été clair que l’on ne voulait pas tout mélanger. Pour ce qui est de concilier carrières solistes et de l’ensemble, le plus compliqué est effectivement de trouver du temps, et surtout du temps en même temps.
AVL : En tout cas, nous avons toutes les trois l’envie d’emmener La Néréide aussi loin que possible et donc nous nous investissons au maximum : parfois il peut arriver que nous ayons à faire des choix et à prioriser notre ensemble face à d’autres projets.
Ensemble La Néréide (Camille Allérat, Julie Roset et (Ana Vieira Leite) ;© Jean-Baptiste Millot
En plus de La Néréide, vous avez donc également des projets chacune de votre côté. Quels sont-ils ?
CA : De mon côté, j’étais la semaine dernière à Genève avec les Argonautes autour du Dixit de Haendel et celui de Lotti. C’est un programme qu’on enregistre en septembre dans une configuration assez particulière à un par voix. Par rapport à Didon et Enée, nous avons créé avec Laure Subreville – une artiste vidéaste – un film d’art contemporain qui utilise à la fois les pistes sonores du disque mais aussi les acteurs : j’interprète Didon dans les deux cas, Jonas, le chef des Argonautes dans le disque, est Enée dans le film...
En juin, je serai avec Pygmalion à Bordeaux pour un projet autour de l'Orphée et Eurydice de Glück. Ça sera assez étonnant : ce sera dans la Halle 47, une halle désaffectée à Floirac. Enfin je prépare pour juillet plusieurs récitals d’air d’opéra avec un ensemble de cordes.
JR : De mon côté, je travaille justement avec Holland Baroque et je viens de faire une tournée à leurs côtés. Je vais également faire Zémire et Azore à l’Opéra-Comique en juin. J’interprèterai Zémire, ce qui n’est pas une mince affaire avec du texte en vers, mais cela me ravit, j’ai hâte de travailler dessus, c’est nouveau pour moi ! J’ai également des concerts au festival de Saint-Denis avec Julien Chauvin et le Concert de la Loge, avec qui je vais faire La Création en français, que l’on va également enregistrer. Je serai avec Stanislas de Barbeyrac et Nahuel di Pierro. J’adore ces chanteurs, et j’ai vraiment hâte ! J’ai aussi un autre concert, cette fois avec Leonardo García Alarcón, pour une création d’une de ses œuvres, La Passione di Gesù. Je ferai l’Ange. Je ne pourrai pas être présente à la première date à Namur, car entre Zémire et Azore et La Création, cela fait beaucoup de projets, mais j’ai vraiment hâte ! Il s’est inspiré de plein de styles différents qu’il a réussi à agencer à sa manière : certaines pièce se rapprochent de Debussy, d’autres font un peu plus Renaissance, et d’autres partent plus sur du contemporain. Après ça, je n’ai presque rien cet été, je vais donc en profiter pour rentrer aux Etats-Unis… Enfin, j’ai tout de même le festival de Salzbourg en août, avec les « Mozart Matinée », dirigées par Adam Fischer ! Ça va être génial ! Il y aura également Daniel Behle, Emöke Baráth, Nikola Hillebrand et David Fischer. La saison prochaine, il y aura de nombreux concerts, mais aussi nos débuts avec Ana à l’Opéra de Paris, avec Les Arts Florissants.
AVL : Effectivement : je serai Créuse dans la Médée mise en scène par David McVicar, aux côtés de Lea Desandre qui fera Médée, et Julie qui sera Amour. J’ai également d’autres projets cet été avec Les Arts Florissants car je fais partie du Jardin des Voix. J’aurai donc Partenope de Haendel – où je tiens le rôle-titre – au Canada en juillet. Avant ça, en juin, je serai Belinda dans Didon et Enée, aussi avec Les Arts Florissants, cette fois au Liceu de Barcelone. Je ferai aussi beaucoup de concerts de musique baroque, ou encore Ariodante à Dijon et Genève où je serai Dalinda.
Propos recueillis par Elodie Martinez
06 juin 2023 | Imprimer
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