Le ténor Valerio Contaldo s’est fait maître du répertoire du XVIIe siècle. À titre d’exemple, il a participé à la renaissance de La Finta Pazza de Sacrati, et s’est produit ces dernières années dans Il Diluvio universale de Falvetti. Il reprend début octobre à l’Opéra national de Lorraine – puis en décembre à l’Opéra Royal de Versailles – les rôles de Ferrau et d’Astolfo dans Le Palais enchanté de Rossi (qu’il avait interprétés pour un livestream depuis l’Opéra de Dijon fin 2020), avant d’interpréter en 2022 Morphée et le Dieu du fleuve dans Atys de Lully au Grand Théâtre de Genève et à Versailles, pour sa première incursion dans le baroque français. Avec Leonardo García Alarcón et Cappella Mediterranea, il vient d’enregistrer L’Orfeo de Monteverdi, dont il mûrit le rôle-titre depuis 2017 sur les scènes du monde entier. Nous sommes revenus avec lui sur l’importance de Monteverdi dans sa carrière et sa façon d’appréhender les œuvres du répertoire, quelles qu’elles soient…
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L’Orfeo que vous avez enregistré correspond à la partition éditée deux ans après la création à Mantoue. Quelles sont les particularités de cette version ?
Valerio Contaldo : Les didascalies essayent de donner une image aussi précise que possible des représentations de 1607 à Mantoue, mais avec une certaine ambigüité, surtout pour les parties instrumentales. Peu de marge de liberté revient finalement à l'interprète car l’écriture vocale est assez précise. Rien n'est laissé au hasard dans tout le chant montéverdien, de toute façon. J'ai souvent interprété les madrigaux – dont j'ai enregistré le septième livre avec Rinaldo Alessandrini l'année dernière – et les Vêpres de la Vierge, il y a eu Combattimento, La Théorie du cygne noir au Festival d’Aix-en-Provence cet été, et on peut constater qu’il y a toujours une correspondance entre la prosodie et le traitement musical du texte. Il y a une base de déclamation, et tout est là pour souligner le drame, le texte, la prosodie. Si l’on prend les partitions de Cavalli, il n’y a aucune indication, alors que chez Monteverdi, c’est une véritable « photographie ». Je suis certain que Monteverdi aurait pu enregistrer L’Orfeo avec des moyens techniques, car il était conscient que c'était un tournant dans l'histoire de la musique. Dans l'air « Possente spirto, e formidabil nume », par exemple, les annotations correspondent exactement aux ornements de Francesco Rasi, le créateur du rôle. Ce devait être une version agréée par Monteverdi, puisque c’est édité et réédité presque sans aucune différence.
Vous avez été biberonné à Monteverdi dès le début de votre apprentissage du chant dans le chœur Novantiqua. Considérez-vous les rôles que vous interprétez à partir de cette base prosodique montéverdienne ?
En réalité, la question de la prosodie est une remise en question perpétuelle, parce qu’évidemment la façon syllabique de dire le texte dans toutes les musiques du début du XVIIe fonctionne jusqu'au récitatif du XIXe. Évidemment, c'est autre chose quand il s'agit d'un débit de texte beaucoup plus lent avec des vocalises. Dans Così fan tutte, j'essaie de structurer le texte de la même manière que chez Monteverdi, même si ce n'est pas le même langage harmonique. Et d’ailleurs, c’est en travaillant avec des Italiens que la question revient le plus car les voyelles n’ont pas la même ouverture en fonction des régions. Mais c’est principalement à l’italien standardisé d'Alessandro Manzoni auquel on se réfère.
Les Vêpres de la Vierge, c'est un peu mon « biberon » à moi. J’y suis très attaché pour les avoir beaucoup chantées avec Michel Corboz, qui vient de disparaître. Il y a deux grandes écoles sur cette œuvre : l’oratorio (avec chœur) ou la version « madrigal » (avec dix chanteurs). Ce sont des visions différentes, mais elles sonnent bien toutes les deux. Et l'œuvre est tellement parfaite dans son genre et révolutionnaire, qu’elle fonctionne toujours.
Vous n’avez pas suivi d’études spécialisées en musique baroque. Avez-vous un fil rouge qui vous permet de faire communiquer les différents répertoires ?
J'ai à la base une formation de guitariste classique qui m’a initié à plusieurs types de répertoires, du XVIe au XXe siècles. Je ne me suis jamais senti spécialiste et je n'ai jamais voulu spécifiquement me spécialiser dans un répertoire, mais j'ai fréquenté des milieux qui étaient très attachés à la musique ancienne pendant l’adolescence et en tant que jeune adulte, donc le virage vers le baroque s'est opéré naturellement.
Vous chantez régulièrement dans des opéras très peu, voire jamais joués. Vos objectifs vocaux et théâtraux sont-ils les mêmes sur les œuvres connues et les œuvres méconnues ?
L’engagement devrait être le même dans les œuvres méconnues et dans le répertoire plus régulièrement interprété. Les œuvres connues peuvent aussi être des découvertes pour soi-même. À mon avis, plus il y a d'enregistrements et de comparaisons possibles, plus c'est difficile. Si l’on travaille Ferrando de Così fan tutte, il ne faut pas chercher l’imitation, mais trouver sa propre interprétation. On peut parfois essayer de faire comme untel pour des questions techniques et vocales ; toutefois, l'interprétation est quelque chose de très personnel, dans le respect de la partition, du chef et des collègues. Dans une œuvre méconnue, le travail peut être plus long, et il y a un aspect plus collaboratif avec le chef, c’est une découverte en temps réel. J'aime beaucoup passer du temps en répétition à découvrir des choses et à partager des points de vue dans un travail de fond au niveau du texte et de la musique. J'adore la confrontation positive.
Vous avez travaillé sur Le Palais enchanté en pleine période Covid. Avez-vous pu justement vivre cet aspect collaboratif ?
J'ai dû travailler mon rôle seul, cloîtré dans mon appartement, comme les autres chanteurs. J'avais les lignes de basse et je réalisais les accords avec ma guitare. Généralement, quand je travaille avec Cappella Mediterranea, la partition est éditée, mais il y a toujours des points d’interrogation sur certains chiffrages d’accords. J’essaye plusieurs choses lorsque je suis seul, je me prépare à plusieurs éventualités. Même si on a pu prendre le temps d’échanger en répétition, il m’a un peu manqué le côté social et humain, qui apporte beaucoup dans ce genre de productions. La mise en scène de Fabrice Murgia est très précise, avec un minutage pour les mouvements de plateau et les caméras. Il fallait avoir une attitude assez stricte, mais tout le monde y a mis du sien et a su s’adapter.
Orphée se retourne vers Eurydice. Sur quoi vous retourneriez-vous dans votre passé pour le modifier ?
Peut-être quelques mots de travers, des petites imprudences que j'aurais dites. Au niveau de mon parcours, je n'ai pas envie de changer, je suis bien où je suis. Je pense que les choses se présentent telles quelles pour une raison et que je dois vivre ces moments, même s’ils ne dépendent en général pas de moi, comme la pandémie de l'an dernier. Je suis heureux de continuer à faire ce que j'aime.
Propos recueillis le 14 septembre 2021 par Thibault Vicq
21 septembre 2021 | Imprimer
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