L’Opéra de Stuttgart donne actuellement Sancta, spectacle performatif de la chorégraphe autrichienne Florentina Holzinger reposant sur l’opéra miniature Sancta Susanna de Paul Hindemith. Sa lecture en est radicale. Dix-huit spectateurs ont fait un malaise lors des deux premières représentations.
L’art n’a pas vocation à laisser indifférent. L’Opéra de Stuttgart en fait la démonstration : lors des deux premières représentations du spectacle Sancta de la chorégraphe Florentina Holzinger, un total de 18 spectateurs se sont trouvés mal ou ont fait des malaises dans la salle (huit lors de la représentation du samedi, dix le dimanche). Selon Sebastian Ebling, le porte-parole de l’Opéra de Stuttgart, trois ont dû être pris en charge par un médecin.
Il faut dire que les ingrédients étaient réunis pour marquer le public. La chorégraphe et metteuse en scène Florentina Holzinger est connue pour son travail radical sur les corps féminins et dans son spectacle, elle s’empare de Sancta Susanna, l’opéra miniature de Paul Hindemith réputé sulfureux – dans Sancta, Florentina Holzinger associe les quelque 30 minutes de musique de Sancta Susanna à une série de performances de sa troupe de danseuses et cascadeuses.
Sancta Susanna, une œuvre « scandaleuse »
Après la première guerre mondiale, Paul Hindemith s’inscrivait dans un courant artistique reposant sur un nouveau langage musical visant à faire partager au public « les sensations extrêmes d’une réalité fortement émotionnelle ». Il s’attelle à l’époque à la composition de trois opéras miniatures, les deux premiers seront créés à Stuttgart en 1921, le troisième (Sancta Susanna) sera refusé en raison de son sujet : la frustration et les fantasmes sexuels d’une religieuse qui surprend les ébats d’un couple. Le sujet fait scandale (encore lors de sa création française en 2003 à Montpellier) et si l’ouvrage est donné actuellement à l’Opéra national de Lorraine sans susciter de polémiques, à Stuttgart, Florentina Holzinger en propose une lecture très radicale.
Le public de Stuttgart était prévenu : Sancta est interdit aux spectateurs de moins de 18 ans, et l’institution lyrique a également abondamment communiqué sur le contenu de la production – qui évoque « la spiritualité et la sexualité, mais aussi une critique de la religion et un examen critique de la violence sociétale et religieuse ». Nudité, actes de violence et actes sexuels, en plus d’effets de lumière stroboscopiques, un volume sonore élevé et des effluves d’encens étaient annoncés. Autant d’éléments « susceptibles de causer un inconfort chez certains spectateurs, voire d’être traumatisants ».
Une relecture assumée
Dans un souci de pédagogie, l’Opéra de Stuttgart détaillait également les raisons de cette programmation : Sancta Susanna aurait dû être créé à Stuttgart en 1921 avant que l’opéra de Paul Hindemith n’y soit censuré, l’œuvre s’inscrit donc dans l’histoire de l’établissement. Quant à la lecture qu’en fait Florentina Holzinger, le directeur artistique de l’institution, Viktor Schoner, y voit le rôle de l’art : « explorer les frontières et les franchir avec délectation a toujours été le principal objet de l'art. Je me réjouis de travailler avec Florentina Holzinger et son équipe, et surtout avec le légendaire public expérimental de Stuttgart, afin de sortir de notre propre zone de confort et idéalement la dépasser (...) de manière spectaculaire et certainement surprenante ! ».
Malgré les malaises dans le public, le porte-parole de l'établissement Sebastian Ebling précise que les représentations suivantes de la production ne seront pas modifiées. Le travail de Florentina Holzinger est performatif, c’est-à-dire le fait de montrer la réalité sur scène, par opposition au théâtre qui la simule, et Sancta s’adresse à un public « en quête, avec audace, de nouvelles expériences théâtrales ». Il se dit par ailleurs persuadé que la grande majorité des spectateurs avait conscience de ce à quoi ils allaient assister. Il précise que la première a été acclamée – et toutes les prochaines représentations, jusqu'au 3 novembre, affichent complet.
publié le 11 octobre 2024 à 10h24 par Aurelien Pfeffer
11 octobre 2024 | Imprimer
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