Le monde de la culture, qui se considère comme le grand oublié de la crise actuelle, attendait impatiemment les annonces du président de la République promises pour aujourd'hui. Après avoir auditionné plusieurs acteurs du secteur (notamment Sabine Devieilhe), le chef de l'Etat réaffirmait donc son attachement à la culture en France, formulait quelques annonces (notamment à destination des intermittents du spectacle) et invitait le secteur à se réinventer pour mieux préparer l'avenir.
À court terme, on retient notamment que les salles de spectacles pourraient rouvrir leurs portes dès ce 11 mai, notamment pour y organiser des répétitions à défaut d'y accueillir le public dans l'immédiat.
« Il faut que les lieux de création revivent (...) La culture a un rôle à part. Le 11 mai, beaucoup de choses vont reprendre en évitant le brassage. On va rouvrir des choses, on doit pouvoir rouvrir musées, librairies, galeries. On doit aussi pouvoir à rouvrir les théâtres pour que les gens puissent répéter en respectant les consignes. Les lieux de création doivent revivre, les artistes recréer. Et puis on aura un point fin mai et début juin, on va regarder comment les choses se passent ».
Le président évoque donc la possibilité de reprendre les répétitions, évidemment dans le respect des mesures sanitaires, mais sans pour autant évoquer l'après – on le sait, pour l'instant, les grands rassemblements restent interdits jusqu'à la fin août. Quid alors de l'avenir de la filière culturelle ?
Dans un premier temps, on retient principalement que les intermittents du spectacle bénéficieront de « l’année blanche » (même si le président dit ne pas apprécier ce terme, on y reviendra) qu’ils réclamaient depuis maintenant plusieurs semaines. On connait le mécanisme de l’intermittence : les cachets des artistes alimentent les droits qui leur permettent de vivre entre deux engagements. Actuellement, non seulement les artistes qui ne peuvent plus travailler n’ont plus de rémunération (et n'auront sans doute pas d'activités normales avant quelques mois), mais ils ne cotisent pas non plus pour les mois qui suivront la reprise. Si le gel de l’intermittence le temps du confinement était déjà acté, l’adoption de « l’année blanche » leur garantit un maintien de leurs droits actuels pour un an, c’est à dire jusqu’en août 2021. C’était là la principale demande des artistes et elle est acquise.
Pour autant, le chef de l’Etat ne considère pas cette « année blanche » comme une « année d’inactivité » pour les artistes et il enjoint le secteur culturel à profiter de cette période de crise pour mieux se réinventer et préparer l'avenir – « imaginer une saison qui soit un temps de refondation ».
Comment ? Grâce à un accompagnement économique. Pour accompagner le secteur culturel, le président promet notamment un « grand programme de commandes publiques » à destination des (jeunes) artistes. De façon plus pragmatique, la BPI (la banque publique d’investissements) a vocation à accompagner financièrement les festivals et le Centre national de la musique doit bénéficier d'une dotation de 50 millions d'euros. Les entreprises du secteur culturel bénéficient aussi du fond de solidarité ouvert aux TPE. On sait par ailleurs que la reprise des activités culturelles est très tributaire des assurances : les assureurs rechignent à garantir les organisateurs de spectacles contre les risques liés au Covid-19 (quid de l'assurance d’un chanteur lyrique qui perdrait sa voix après avoir contracté le virus à l’occasion d’un spectacle ou d’une tournée ?). À défaut de pouvoir forcer les assureurs à assurer les organisateurs de spectacles, l’Etat promet la création d’un « fond de garantie » (l’Etat endossera le rôle d’assureur pour les organisateurs de spectacles), abondé à la fois par les pouvoirs publics, les assureurs ou encore les banques.
Quant au fait de pouvoir accueillir le public, un « point d’étape » est prévu « fin mai ou début juin » afin d’étudier la progression (ou la régression) de la pandémie et déterminer un planning de reprise des activités culturelles en conséquence. Le ministre de la culture Franck Riester affine le propos : « les artistes pourront réinvestir les lieux et nous nous interrogerons fin mai si on peut aller plus loin dans le déconfinement en étant inventifs. Cela devra être discuté avec les maires et les préfets ».
D’ici là, le président de la République et son ministre de la culture entendent encourager le secteur à « refonder l’action culturelle pour le pays », en plus « d’inventer de nouvelles relations avec le public ». Emmanuel Macron introduit l'idée de « nouvelles formes culturelle », avec « un public moins nombreux » ou encore sous forme « de captations ». Il ajoute « qu'il faut encourager, densifier et relancer justement nos coproductions européennes et une Europe de la culture encore plus forte, dont on a besoin (...). On a besoin de défendre une créativité à l'européenne ». Il enjoint donc à réinventer la culture, et lance l'idée de faire intervenir les artistes auprès des enfants – dès sa prise de fonction, le gouvernement avait promu le développement d’une « éducation culturelle et artistique » à l’école, notamment au travers du chant choral. Les artistes qui le souhaitent pourraient s’associer à ce type d’initiatives – et la mesure fait râler l'ensemble des acteurs du secteur culturel qui ne sont pas artistes (tous les techniciens, notamment), qui semble avoir été oublié dans cette équation.
Plus spéciquement dans le monde de l'art lyrique, en réponse aux propos de Stéphane Lissner, le directeur de l’Opéra de Paris qui estimait récemment que les mesures sanitaires envisagées étaient « inapplicables » dans le cadre des grandes productions de la maison lyrique parisienne, Franck Riester l’enjoint à « réinventer l’opéra » : imaginer des formats de productions plus petits ou des spectacles hors les murs, comme ça se fait déjà parfois (on se souvient par exemple des déambulations lyriques au Château de Versailles ou des productions de l’Opéra-Comique dans le parking du Centre Pompidou).
Si d’autres réunions avec les acteurs du monde de la culture sont prévues ultérieurement pour préciser l’avenir de la filière (on attend maintenant un agenda précis de reprise d’activité), on retiendra ici les garanties obtenues par les intermittents du spectacle qui doivent leur permettre de tenir jusqu’à la sortie de crise. On notera sans doute aussi l’opportunité que pourrait être cette crise du Covid-19, et la volonté du chef de l’Etat de s’en saisir pour mieux réinventer la culture dans toutes ses dimensions : « vitale, morale et économique » selon Emmanuel Macron.
06 mai 2020 | Imprimer
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