Vendredi dernier, le 2 juin, Sir Jeffrey Tate est décédé d’une crise cardiaque durant une visite de l’Accademia Carrara (musée d’art et Ecole des Beaux-Arts à Bergame, en Italie). Il était âgé de 74 ans et venait d’être anobli commandeur de l’ordre de l’Empire britannique par le prince William le 19 avril 2017, soit une quinzaine de jours plus tôt seulement.
Né à Salisbury le 28 avril 1943, Jeffrey Tate ne s’oriente pas vers la musique de prime abord, mais vers la médecine – il débute à l’Universite de Cambridge puis à l’Hôpital Saint-Thomas de Londres en se spécialisant dans la chirurgie de l’oeil. Un choix qui peut s'expliquer, entre autres, par ses propres problèmes de santé : en effet, il nait avec une spina bifida, une malformation du tube neural (MTN) dans laquelle soit le cerveau et la colonne vertébrale, soit la colonne vertébrale seule, ne se développent pas normalement dans l'utérus. Par ailleurs, il souffre également de cyphose, une courbe anormale de la colonne vertébrale.
Il renonce finalement à la médecine pour se vouer à la musique : il commence par assister des chefs tels que Sir Georg Solti, Colin Davis, Rudolf Kempe ou Carlos Kleiber à Covent Garden, mais aussi Herbert von Karajan à Berlin. Son parcours l’amène également en France dans les années 70 où il devient l’assistant de Pierre Boulez pour deux événements musicaux très importants : la Tétralogie de Wagner à Bayreuth, dans la mise en scène d’anthologie de Patrice Chéreau à l’occasion du centenaire de l’œuvre en 1976, ainsi que la création mondiale en 1979 de la version en trois actes de Lulu d’Alban Berg au Palais Garnier.
Sa carrière prend alors un nouvel essor : la même année que Lulu, Jeffrey Tate fait ses débuts dans la fosse du Metropolitan Opera de New York avant d’être le premier chef nommé chef principal de l’English Chamber Orchestra en 1985. Entre 1989 et 1998, l’Orchestre national de France le nomme premier chef invité entre 1989 et 1998, période durant laquelle il prend également les rênes de l’Orchestre philharmonique de Rotterdam (de 1991 à 1995). En 2005, il devient le directeur musical du Teatro San Carlo de Naples et il le reste durant cinq ans. Il part ensuite diriger l’Orchestre symphonique de Hambourg où son contrat avait été dernièrement prolongé jusqu’en 2019.
Outre le Ring en 1991 et Lulu en 1994 qu’il avait dirigé en France et qui ont marqué les esprits des mélomanes (Lulu a par ailleurs fait l’objet d’une captation au Châtelet avec l’Orchestre national de France), Sir Jeffrey Tate a également dirigé à l’Opéra de Paris Billy Budd de Britten ou encore The Rake’s progress de Stravinsky. Stéphane Lissner, qui l’a longuement côtoyé, déclare à son sujet :
« C’est un compagnonnage de près de trente-cinq ans qui a lié ce grand artiste aux équipes de l’Opéra. Assistant de Pierre Boulez pour la Lulu donnée au Palais Garnier en 1979, Jeffrey Tate a débuté dans notre maison avec Ariane à Naxos quatre ans plus tard, Salle Favart, avant de diriger Cosi fan tutte au Palais Garnier. Il a régulièrement alterné, entre Bastille – Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny, Wozzeck que nous venons de reprendre et Billy Budd – et le Palais Garnier, deux scènes qu’il connaissait très bien. Chacun se rappelle encore sa dernière production, The Rake’s Progress, il y a à peine plus de quatre ans. »
Le chef britannique a donc fait une partie importante de sa carrière en France et son talent lui permettait de s’ouvrir à des directions assez larges, tant dans le répertoire classique que dans le contemporain comme en témoignent l’abondante discographie qu’il laisse derrière lui. Ainsi, malgré sa malformation qui le faisait beaucoup souffrir, il a mené une carrière de haut niveau dans différents pays où il fut apprécié tant par les musiciens que par les chanteurs qu'il dirigeait. Ses soucis de santé ne le quittant pas, c’est naturellement qu’il présidait l'Association for Spina Bifida and Hydrocephalus (ASBAH) depuis 1989. Enfin, Sir Jeffrey Tate ne cachait pas son homosexualité et vivait avec un scientifique allemand.
07 juin 2017 | Imprimer
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