La chanteuse a fait sa prise de rôle de Maria Stuarda en décembre. À partir d’avril, Stéphanie d'Oustrac retournera au baroque français avec Armide de Lully à Dijon et à Versailles, puis elle fera ses débuts à l’Opéra de Munich, dans le rôle de Mère Marie dans Dialogues des Carmélites. De surcroît, elle sera la marraine de l’édition 2023 de « Tous à l’Opéra ! », qui aura lieu début mai. Interview d’une artiste exigeante et passionnante.
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Chère Stéphanie,
Nous pourrions commencer cette discussion avec vos débuts, jusqu’au moment où votre carrière a pris une grande ampleur.
Stéphanie d'Oustrac : Ma première grande rencontre a évidemment été avec William Christie. C’était en 1998 et j’étais alors au Conservatoire ; c’était la dernière de mes quatre années d’études, l’année où je passais mes prix.
Il se trouve que j’avais étudié en tant que soprano, plutôt aigu léger, d’ailleurs ! J’étais jeune, ma voix était souple… et j’avais envie d’être soprano. Mais, à un moment, mes muscles ont commencé à « craquer ». Inutile de dire qu’en sortie de Conservatoire, alors que tout mon répertoire s’était construit avec une voix de soprano, ce fut… panique à bord !
Quelques mois avant mon prix, j’ai eu l’opportunité de faire un stage avec Margeet Honig, à l’issue duquel elle m’a dit : « Tu n’es pas dans ta tessiture ». Elle m’a fait alors tout « baisser » et donc, j’approche du moment du prix en ayant la voix qui partait un peu dans tous les sens !
Dans la même période, il se trouve qu’il y avait des auditions pour de la musique baroque pour l’Académie d’Ambronay, une musique que je n’avais pas particulièrement étudiée. Je viens donc passer l’audition à Paris… et j’y entends des voix que je considérais comme bien plus travaillées que la mienne.
Ces circonstances font que j’y arrive avec un esprit « Bon, puisque j’y suis, j’y vais ! », d’autant que j’aimais le rôle concerné… c’était Médée dans le Thésée de Lully.
L’audition se passe alors devant William Christie et devant Emmanuelle Haïm… Finalement, ce concours de circonstances a agi presque comme un « coup de foudre ».
C’est assez étonnant lorsque l’on pense aux chanteurs qui peuvent arriver mûrement préparés…
C’est un échange que j’ai régulièrement avec les jeunes chanteurs que je croise ; c’est une grande difficulté ; il faut, à la fois, y croire passionnément, avoir énormément de volonté et, en même temps, être dans une certaine forme de lâcher-prise. Parce que le stress peut amener le corps et l’esprit, à réagir d’une façon contre-productive.
Je vois beaucoup d’opéras, et ressens cette pression chez certains chanteurs…
D’autant que vous, les critiques, vous venez aux premières, aboutissement d’un mois et demi de travail, alors que l’on n’est pas encore totalement rodé et, à ce travail, s’ajoute le stress de la Première, car on sait que l’on va être jugé sur cette représentation…
Vous êtes aujourd’hui aussi professeure. À cet égard, avez-vous la possibilité d’aider les jeunes chanteurs ?
Il faut apprendre à relativiser ! Je ne connais pas de chanteurs paresseux ! Comme pour tout sportif de haut niveau, il est recommandé de se faire aider psychologiquement, d’avoir une préparation physique et technique ; l’idéal serait d’avoir une équipe autour de soi, afin de pouvoir durer.
Parce qu’il touche à des ressentis très intimes, il est important qu’un professeur de chant se questionne sur la relation qu’il a avec un élève. Il faut être très respectueux, soi-même très équilibré ; il faut avoir résolu la question de son propre besoin quand on est dans un échange avec un interlocuteur en état de demande. Il faut donc déjà savoir, soi-même, comment, par exemple, un échec vous touche, comment vous êtes capable d’y travailler pour le dépasser ; comment aussi, vous abordez vos rapports avec un chef d’orchestre, un metteur en scène, des collègues… En tous cas, il s’agit-là d’un travail passionnant !
Armide, Théâtre des Champs-Élysées. © Éric Mahoudeau
Revenons à Ambronay et à William Christie…
Je dois dire que William est assurément quelqu’un de très exigeant, tout en restant très humain ! Il m’a offert sa confiance et m’a dit « étonne-moi » ! J’ai vraiment eu cette formidable opportunité… d’autant que c’est ainsi que je veux travailler. Je suis, naturellement, dans l’émerveillement.
Dans l’opéra baroque, ce qui est extraordinaire, c’est que l’on peut plus facilement dialoguer avec les musiciens d’orchestre. Tout cela m’a permis de voir comment tout le monde peut être impliqué pour travailler de concert dans la même direction.
On constate d’ailleurs que la question de se tromper de tessiture est la même chez des artistes affirmés. Cela parait être une question compliquée.
Quand on est jeune, les muscles sont très souples, donc, on peut se permettre d’aller dans différentes directions. Et alors, les professeurs doivent être très vigilants, ne pas faire de projections… c’est un peu comme lorsque des parents font une projection sur leurs enfants !...
Et parfois, parce que l’on veut un résultat rapide, parce que l’on entend qu’un étudiant a des facilités dans tel ou tel domaine, l’on peut alors, être tenté de le mener dans une direction donnée.
Donc, je le répète, il faut travailler la confiance en soi et le respect de soi-même. On doit alors pouvoir dire à l’étudiant « Écoute-toi ! Fais-toi confiance ! », parce qu’il n’y a que le chanteur lui-même qui sait, qui ressent ! Ce ne doit pas être « Je sais ! Je te dis ce qu’il faut faire ! ». Il faut que la personne alors se fasse confiance, sans se faire enfermer dans des cases.
Et donc, lorsqu’il y a une difficulté technique, la ressent-on physiquement ?
Exactement ! La tessiture, c’est très compliqué. Il y a, par exemple, des écritures un peu hautes qui conviennent aux mezzos, parce qu’ensuite, la voix peut redescendre.
C’est une question d’écriture musicale. Ce n’est pas seulement la question « d’avoir les notes ». C’est beaucoup plus subtil !
Par ailleurs, il y a le personnage ! Je sais que, par rapport à mon tempérament théâtral, certains personnages vont me porter : par exemple, celui de Maria Stuarda ! L’écriture touche mes limites aiguës, mais je sens que je peux défendre ce personnage, un personnage qui va me porter et, ainsi, m’aider « techniquement ».
Les « cases » dans lesquelles les artistes sont « rangés » ne seraient-elles pas artificielles ? Dans une interview Karine Deshayes me disait qu’elle se considère comme « soprano II ».
Avec Karine, nous avons été confrontées aux mêmes problèmes ! Le sujet, c’est « dans quel registre je me sens confortable ? » En tant que prof, ces catégorisations ne m’intéressent pas. Ces cases sont là pour rassurer la profession…
… Voire le spectateur !
Quand on m’a proposé Carmen, certaines personnes m’ont dit : « Toi ? Carmen ? » parce que je « faisais » du baroque. En fait, ce genre de remarque ne parle que de la personne qui émet ce jugement… Voilà !
Avec le temps, j’ai appris à me définir par rapport au personnage. Ainsi, prenez Nicklausse (des Contes dHoffmann), plus jeune, je n’arrivais pas à l’incarner ; je n’ai pas réussi à trouver en ce personnage, quelque chose qui m’appartenait. Alors que pour Médée, Armide… il n’y a eu aucun problème !
Ce sont des méchantes ! (rire)
Mais pas que ! Médée a le pouvoir de détruire certes, mais elle n’a pas envie de l’utiliser ! Elle a envie d’être aimée ! Elle n’est entourée que de d’individus lâches, malhonnêtes. Elle est tellement blessée par la trahison de Jason, qu’elle va détruire tout ce qui lui rappelle Jason… dont ses enfants. Je souhaite que le public puisse penser « Ah oui ! Armide ou Médée n’est pas qu’une méchante ! Il y a plus de profondeur dans le personnage ! » Le chanteur, comme le metteur en scène doivent en être convaincus.
En revanche, je n’ai pas encore rencontré un metteur en scène qui me propose une Poppée qui me plaise. J’ai envie que ce personnage me touche ! Qu’elle m’émeuve, même !
C’est beau de vous voir défendre ainsi les personnages… Donc, dans le baroque, il y a eu Lully, Charpentier…
Oui. Même si j’ai chanté du Haendel et Didon de Purcell… et aussi du Monteverdi ainsi que Les Paladins de Rameau.
Est -ce que l’on peut considérer que la langue (française)a joué dans vos choix ?
Ce n’est pas forcément plus facile à chanter, mais je peux, plus facilement, aller dans les subtilités du langage. Tout est une question de travail et j’aime monter sur scène une fois que j’ai bien « mâché » et « ingurgité »les rôles.
Comment cela s’ouvre-t-il ensuitevers d’autres répertoires ?
Ensuite, il y a eu Mozart, Offenbach et Berlioz. C’est vraiment Carmen qui a représenté le tournant, moins d’ailleurs pour moi qu’au regard du monde musical et des employeurs.
On vous l’a proposé cette Carmen ?
Oui, ce fut Caroline Sonrier, à Lille, et je l’en remercie. La mise en scène était de Jean-François Sivadier. Il a été extraordinaire. Sivadier « fonctionne » en construisant progressivement. C’est très différent de ce que fait Dmitri Tcherniakov par exemple, qui va t’amener dans des directions absolument contre-intuitives, c’est passionnant aussi !
Quand j’ai demandé à Sivadier comment il imaginait le personnage, il m’a répondu : « Mais, Carmen, c’est toi ! » Alors, nous l’avons cherchée et l’avons construite ensemble. J’aime incarner des personnages totalement différents de moi-même. Je peux être tout… Pour ma première Carmen, ma fierté a été d’être la Carmen que je ressentais, le plus justement. Mon travail personnel a été de repartir de l’œuvre ; d’être respectueuse du fait qu’à la base, c’est de l’opéra-comique.
Voulez-vous dire que l’on a un peu dénaturé le rôle parce qu’on le chante à Bastille et pas à l’Opéra-Comique ?
Absolument ! Et j’en profite pour dire que l’on peut, aussi, faire des nuances à Bastille ! Mais il y a des chanteurs et du public qui « veulent du son » ; et d’autres qui préfèrent être touchés par autre chose.
Ma grande fierté a été de faire la Carmen, premièrement dont j’étais capable, et ensuite, en essayant de ne pas m’enfermer en fonction des attentes du public. Et de fait, je pouvais chanter Carmen deux fois de suite. Je me rappelle des choristes qui me disaient : « Tu arrives à la fin et tu n’es pas fatiguée… ». C’est normal si on ne s’oblige pas à entrer dans une sorte de « norme du son ».
Il est tout de même logique d’être fatigué en fin de représentation…
Évidemment ! Mais ce doit être une fatigue physique, émotionnelle ! On est épuisé parce ce que l’on donne, grâce à l’adrénaline, mais vocalement, normalement, on ne doit pas toucher au capital.
Cela ne dépend-il que du chanteur ?
Nous devons absolument nous questionner sur l’équipe qui nous entoure et comment l’on est porté, par rapport à des équilibres qui ne dépendent pas que de nous. Franchement, j’assiste parfois à des opéras où les chanteurs sont maltraités parce le décor est ouvert, parce que le chef joue trop fort.
Je me souviens avoir assisté à une générale avec des « stars » et un chef pourtant très connu et les chanteurs souffraient ! Ce qui était d’ailleurs surprenant, c’est qu’eux-mêmes finalement aient accepté cela… Il devrait être normal que, parfois, des chanteurs puissent refuser ce qui leur est proposé. Il faut savoir que le public ne va pas forcément se rendre compte du fait qu’un chef maltraite un chanteur ; le public ne va considérer que le résultat.
Même nous, les critiques, ne percevons pas forcément ces déséquilibres…
Absolument ! Et c’est pour cela que, parfois, nous devrions pouvoir avoir un « droit de réponse » pour expliquer comment les choses se sont passées.
Combien de productions avez-vous faites de Carmen ?
Cinq, je pense. Jean-François Sivadier, Dmitri Tcherniakov… David McVicar à Glyndebourne. Classique et magnifique. J’en ai aussi interprété une à Cologne… dans une boucherie (rire).
Considérez-vous, aujourd’hui, que c’est un rôle qui est derrière vous ?
Ah non ! Je ne l’espère pas ! (rire)
Il y a des rôles dont « j’ai fait le tour ». C’est le cas pour Rosine (du Barbier de Séville). C’est, certes, jouissif à chanter, mais il y a une posture de jeune fille que j’ai de plus en plus mal à incarner.
En revanche, Charlotte de Werther, elle peut bien avoir 19 ans, l’écriture fait que je m’y sens à l’aise. J’aimerais beaucoup, aussi, rechanter Cassandre (Les Troyens).
C’est dans ce rôle que je vous ai vraiment découverte à l’Opéra Bastille.
Heureusement, je connaissais un peu Tcherniakov et quand il m’a présenté le personnage, j’avoue que ce fut quelque peu un choc !
Il la voyait comme une jeune fille androgyne, probablement abusée par son père ; mais c’était « drôlement bien ficelé ». L’écriture de Berlioz vous amène naturellement vers la tragédie ; et là, j’incarnais, une sale gamine, un peu revancharde, qui voulait « bouffer du lion » et tuer ses parents. Donc je dois avouer que combiner l’écriture musicale et le personnage…ça a été une expérience !
Auparavant, j’avais déjà vécu cela avec Laurent Pelly pour Béatrice et Bénédict - encore Berlioz, d’ailleurs - et encore, un personnage pas facile ! Dans la musique de Berlioz, il existe une forme de grandiloquence et Pelly me demandait d’être plus pragmatique et concrète, donc de faire un véritable « grand écart ». Voilà quelque chose de vraiment passionnant ! De toute façon, j’adore Berlioz, le français, l’écriture vocale… C’est assez instrumental, pas si facile pour la voix, mais je m’y retrouve bien.
Carmen, Festival d'Aix-en-Provence 2017
Je refais référence à la Carmen de Tcherniakov à Aix… Qu’éprouve-t-on lorsque l’on est dans une mise en scène dérangeante ? Comment le ressent-on, en tant qu’interprète, quand on fait partie d’une entreprise qui se solde par beaucoup de sifflets à la Première ?
Nous, en tant qu’interprètes, quel est notre pouvoir ? Sur quoi peut-on agir par rapport à ce que le metteur en scène demande ? Suis-je convaincue par ce qu’il me propose ? Ce sont les seules choses qui importent. Ensuite, comment c’est reçu ?... Nous n’y pouvons rien !
Mais vous ne prenez pas cela personnellement…
La seule chose qui va m’amener à me poser la question, c’est : « Suis-je, moi, à la hauteur du projet qui a été engagé et ai-je bien défendu le rôle ? Est-ce que je le chante bien ? Est-ce que je le joue bien ? » C’est tout !
Nous n’avons pas beaucoup parlé de Mozart…
Mozart a été présent, dès le début, dans mon répertoire ; ce furent Chérubin, Zerline… La Clémence de Titus aussi, bien sûr. Du baroque français à Haendel et Mozart, j’ai finalement eu un début de carrière très linéaire.
Citez-moi un des rôles les plus lourds que vous ayez abordés.
J’ai interprété L’Aiglon de Honneger, une partition plutôt sopranisante. À l’Opéra de Marseille, René Auphan m’avait dit « J’aimerai le remonter avec toi ! » Il fallait un chef très au fait que c’était moi, avec mon type de voix ; ce fut Jean-Yves Ossonce et il a été formidable dans le processus de travail !
J’en profite pour faire le lien avec la Maria Stuarda de Genève ; Mariame Clément, la metteuse en scène, est une amie et elle m’a proposé le projet de trilogie de Donizetti. Par ailleurs, Stefano Montanari est un chef qui vient du baroque ; donc finalement tout devait se passer pour le mieux dans le respect des équilibres.
Finalement, c’est un nouveau chef qui a remplacé Montanari. Il est arrivé avec ses références personnelles ; il l’avait déjà dirigé avec deux sopranos et je me suis retrouvée en difficulté… Je suis ressortie de cette situation en étant obligée d’annuler Roberto Devereux à Zurich, car j’étais trop fatiguée ! D’autant que Sara dans Devereux était une autre prise de rôle et que les répétitions arrivaient immédiatement après. J’avais besoin de récupérer et si je l’avais fait, cela aurait mis en danger ce qui arrivait après.
Pourtant, est-ce que le bel canto n'est pas l’un de ces répertoires où l’on peut sortir des schémas préétablis de rôles tels qu’ils ont été imposés par l’histoire, notamment dans les années 1950 à 1970, avec des interprètes qui ont imprimé leurs marques dans les premiers enregistrements ? Comment ose-t-on proposer quelque chose de différent de ces « normes » ?
Oui, une Cecilia Bartoli, par exemple, ose mettre des coups de pied dans la fourmilière en disant « On peut le faire ! » ; j’ajoute de mon côté : avec un chef et des partenaires prêts à requestionner l’œuvre. Une bonne partie du monde musical est très enfermé dans un « Ce doit être fait comme ça ! »
Est-ce parce que je viens du baroque où il y a peu de références que j’ose questionner certaines traditions ?
Je prends un exemple : Don José dans Carmen. Un de mes amis, un ténor, se mettait en difficulté, car il pensait qu’il fallait absolument faire son point d’orgue sur une note aiguë. Je voyais qu’il se fatiguait ; j’ai regardé la partition et ai alors constaté que la note n’était pas écrite… «… Oui, mais la tradition ? Le public attend… » Non ! Je crois qu’il faut commencer par se dire : « Je suis dans mon bon droit, cela ne me convient pas et, de plus, ce n’est pas écrit ! »
Qu’est-ce qui est le plus important ? Faire plaisir au public et s’abimer les cordes vocales ? Surtout quand théâtralement, cela n’apporte rien ?
Les jeunes chanteurs, eux, n’ont pas toujours le choix…
Il faut se dire qu’on a toujours le choix ! Dès mes débuts, j’ai moi-même, été appelée à faire des choix que je n’ai jamais regrettés, comme refuser une tournée avec le Festival d’Aix-en-Provence, comme refuser Eurydice au Châtelet parce que c’est un rôle de soprano. Et cela, même si, à mes débuts, refuser ce rôle, dans ce théâtre, ne fut pas chose facile… Finalement, j’ai su m’écouter… et, aujourd’hui, je suis là où j’en suis.
Est-ce que je me trompe si je dis qu’Elsa Dreisig a une philosophie comparable à la vôtre ?
Mais évidemment ! Nous avons appris à nous connaître sur Anna Bolena, l’an dernier. À l’opéra, on a un mois, un mois et demi pour apprendre à se connaître, à créer la confiance, pour se mettre d’accord sur nos esthétiques et nos envies respectives.
Comme nous avions toutes deux nos appréhensions, j’ai dit à Elsa « Ne t’inquiète pas ; on a les mêmes « trouilles »… donc, on va avancer ensemble ! » Du fait de ma maturité, j’ai moins d’a priori à exprimer mes peurs.
Maria Stuarda, Grand Théâtre de Genève (2022)
Une question sur une scène folle de Maria Stuarda, celle du fameux « Vil Bastarda » : Que ressent-on en tant qu’interprète ? N’est-ce pas jouissif ? jubilatoire ?
Oui ! Ce qui a été formidable, c’est qu’en répétition, Elsa m’a dit « Mais, là, rassure-moi, tu es déjà à fond, non ? Parce que là, euh…» (rire). Son retour était amusant. Je lui ai répondu « oui », car, en répétition, je donne à peu près les mêmes choses qu’en représentation. Quoi qu’il en soit, après s’être « balancé » de telles horreurs, il n’y a pas d’autres solutions que de s’embrasser !
Je rappelle tout de même qu’à la création, les deux sopranos se détestaient autant en scène que dans la vie. Aujourd’hui encore, il y a, parfois, des comédiens qui n’arrivent pas à sortir de leurs rôles… L’ego sans doute.
Il se trouve que, ou pour ma part, j’ai déjà un tempérament assez explosif, donc pour mourir sur scène, avoir des fureurs, il n’y a aucun problème. Je crois même que ça développe encore plus chez moi ma nature (rire). Sur scène, tout est permis !
Sur cette Maria Stuarda, parce que l’on a lu un peu tout et n’importe quoi…
Comme critiques ?
Notamment ! Et sur les forums… On voit parfois des personnes, se déchaîner derrière leurs claviers, cachés derrière un pseudo, sans photo, etc.
Les réseaux sociaux sont un fléau ! Les propos de ces individus ne parlent, en fait, que d’eux ! Pas de moi ! Je me dis : « Je suis engagée pour cela ; je sais pourquoi cette Stuarda a pu être difficile ; et, en même temps, cela ne correspondra pas à toute ma carrière ».
Mais il est sûr qu’il existe des artistes « fracassés » par ces retours qui peuvent leur donner l’envie de tout arrêter ! Oui, cela peut être dévastateur !
Mais il peuty avoir des avis sur le mode : « Ce n’est pas un rôle pour cette voix ; ce n’est pas un rôle pour d’Oustrac »…
Mais moi, je m’en fiche ! C’est moi qui suis là et c’est moi que l’on a engagée ! Il y a des rôles où l’on va toujours chercher la Callas… Ce débat ne m’intéresse vraiment pas ! C’est nous, les artistes d’aujourd’hui, qui sommes dans l’action, qui « faisons ». Donc, on peut nous huer… « les chiens aboient…la caravane passe »…
On ne peut pas plaire à tout le monde. Au départ, j’étais forcément décriée, car je ne fais pas partie du monde du bel canto, etc. tout comme ma première Carmen n’était pas à l’image de ce qui se faisait à ce moment-là. Avec le recul, je pense, tout de même, être devenue une Carmen qui a quelque peu compté. Comme quoi, il faut accepter que notre rôle en tant qu’interprète, est, aussi, celui de faire évoluer, de faire bouger les lignes. J’en reviens à une Cecilia Bartoli qui a le pouvoir et la mentalité de « faire », dans les conditions dans lesquelles elle veut que cela se passe.
En ce qui concerne notre métier de critiques, je plaide pour que nous fassions preuve d’humilité. Je ne suis pas capable de d’émettre correctement une note. Et je suis un spectateur lambda qui, il se trouve, va ensuite, écrire…
Vous vous mettez forcément dans une posture de « juge ». Or, en France, si tu n’émets pas un jugement un peu négatif, tu es, d’office, classé dans la catégorie des « béni oui-oui ».
Donc, tu sais aussi que tu vas être jugé si tu es « trop gentil ». Nous sommes, tous, dans des postures qui sont compliquées à défendre. J’ai un ami écrivain qui a été critique musical et qui, à la fin de sa carrière, s’est excusé auprès des artistes et qui a dit : « Je n’ai jamais émis un son ; est-ce que je me rendais vraiment compte de ce que c’était ? ».
Stéphanie, quels sont vos projets ?
Je retrouve bientôt Armide à Dijon et à Versailles, avec le Poème harmonique et la mise en scène de Dominique Pitoiset, le directeur de l’Opéra de Dijon.
Ensuite, ce sera Mère Marie à Munich, dans la production de Tcherniakov des Dialogues des Carmélites. Je suis vraiment impatiente de voir cette production. Mère Marie est un rôle très lourd. Orchestralement, les équilibres sont très difficiles à trouver. Lorsque je l’ai chanté en Avignon, Jean-Yves Ossonce a réduit certaines parties de violon. Je le dis d’autant plus librement que Dieu sait si j’aime Poulenc d’amour (le compositeur est son arrière-grand-oncle, Ndlr).
Pour ce rôle, il est important que je puisse faire autant « piano » que « forte ». Si c’est pour aller s’égosiller sur scène… Rappelons-nous que le rôle est bien différent de celui de Madame de Croissy.
Après Dialogues, il y aura Agrippina à Amsterdam avec Barrie Kosky. C’est un metteur en scène que j’ai rencontré à Strasbourg alors que j’étais allée voir son West Side Story à l’Opéra de Strasbourg. Il m’avait beaucoup plu humainement ; il a un rapport enthousiaste à l’autre.
Puis, il y aura Roberto Devereux à Genève (2024), toujours avec Mariame Clément à la mise en scène, et nous reprendrons aussi les trois opéras en alternance.
Cela fait un peu écho à ce qui va être donné, ce printemps à Bruxelles avec Bastarda ! C’est une recomposition à partir des quatre opéras de Donizetti qui traitent de la vie d’Elizabeth.
Nous aurons, dans les années à venir, un projet similaire avec Monteverdi à Bruxelles.
Parlons un peu des théâtres où vous travaillez.
À part en France, j’ai aussi pas mal « bossé » en Espagne. Moins en Allemagne, parce que je dois dire que le « regie theater », ce n’est pas vraiment « ma came ». J’avais un peu souffert avec la Carmen que j’avais chantée à Cologne.
Il y a aussi eu la Belgique, la Hollande, l’Italie avec Rome et Milan. Par contre, très peu de théâtres de répertoire, car il y a peu de répétitions.
Ce n’est pas ma façon de travailler. Je n’ai pas envie d’arriver une semaine avant, dans un théâtre et d’être propulsée sur scène. J’adore répéter ! C’est mon espace de prédilection ; plus on va m’imposer de contraintes, plus je vais trouver de libertés.
Qu’en est-il des festivals ?
Glyndebourne ! La Voix humaine, l’été dernier… Quel bonheur ! Robin Ticciati, le chef était présent en permanence, le directeur artistique Stephen Langridge aussi ; un homme formidable que j’avais connu en tant que metteur en scène pour Theodora de Haendel au Théâtre des Champs-Élysées. Les propriétaires terriens du domaine viennent aussi assister aux répétitions. Vraiment, humainement, c’est formidable ! On se sent porté. Le public, aussi, n’est pas passif. C’est vraiment dans ces moments que l’on réalise ce qui fait la qualité de ce métier !
En mai prochain, vous serez la marraine de la manifestation « Tous à l’Opéra ! » Comment concevez-vous ce rôle ?
C’est pour moi une opportunité de faire connaître ma passion au plus grand nombre ! Et dans la période que nous vivons, il me paraît important de soutenir le monde artistique et les théâtres, partout en France.
Propos recueillis par Paul Fourier
mars 2023
On retrouvera Stéphanie d'Oustrac, notamment dans :
- Armide à l'Opéra de Dijon du 25 au 29 avril puis l'Opéra Royal de Versailles du 11 au 14 mai 2023 ;
- Concert inaugural Tous à l'Opéra à l'Opéra de Rennes, le 4 mai ;
- Dialogues des Carmélites au Bayerische Staatsoper de Munich les 5, 8 et 11 juin ;
- La Damnation de Faust au Festival Berlioz à la Côte St André le 27 août
13 avril 2023 | Imprimer
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