Sophie de Lint, ancienne directrice artistique de l’Opernhaus Zürich, a pris la succession de Pierre Audi à la direction générale du Dutch National Opera, et a concocté sa première saison intégrale dans la maison amstellodamoise. Son objectif : élargir le répertoire et accorder l’opéra avec notre époque.
Le cahier des charges sera pleinement rempli avec Innocence de Kaija Saariaho, en octobre, après sa création mondiale en juillet au Festival d’Aix-en-Provence dans la mise en scène de Simon Stone. Exceptés les rôles de Tereza (Paula Murrihy) et Stela (Lillian Farahani), le reste de la distribution reste inchangé : Sandrine Piau, Tuomas Pursio, Markus Nykänen, Jukka Rasilainen, Lucy Shelton, Vilma Jääskeläinen. Susanna Mälkki reprend la baguette pour diriger le Residentie Orkest La Hague et Cappella Amsterdam.
L’Opera Forward Festival, au mois de mars, demeure un point d’orgue pour les œuvres nouvelles. 2021 fera cohabiter trois rendez-vous, dont le retour de l’artiste total Michel van der Aa (composition, mise en scène et livret) pour Upload, première mondiale posant la question de la vie éternelle à l’ère du numérique. Un père (Roderick Williams) transfère à sa fille (Julia Bullock) sa mémoire vivante sous forme de données qu’il avait fait télécharger pour faire face à un traumatisme. Sa fille sera-t-elle capable d’encaisser toute une existence qui ne lui appartient pas, ou lui faudra-t-elle amorcer une « euthanasie » de cet héritage contraint ? Otto Tausk, sera à la tête de l’Ensemble MusikFabrik pour cette œuvre mêlant 3D et motion capture, en coproduction avec l’Oper Köln, le Festival de Bregenz, et Park Avenue Armory (New York).
Dans Œdipus Rex, il est aussi question de filiation compliquée (c’est le moins qu’on puisse dire). La miniature de Stravinski sera présentée en diptyque avec le ballet From ‘Antigone’ du chorégraphe Wayne McGregor (musique du Canadien Samy Moussa), qui signera la production, comme il l’avait fait dans Orphée et Eurydice à Londres à l’automne dernier. Sean Panikkar, en Œdipe, subira les affres du destin auprès de Dame Sarah Connolly, Bastiaan Everink, Rafał Siwek et Ramsey Nasr, quand résonnera en fosse le Rotterdam Philharmonic Orchestra laissé aux soins d’Erik Nielsen.
En parallèle à cette commande groupée du Dutch National Opera et du Norske Opera & Ballett d’Oslo, le pacte avec le diable sera la préoccupation première de Club Faust, « opéra rave » investissant tous les espaces du DeLaMar Theater dans une mise en scène de la Néerlandaise Belle van Heerikhuizen. Schubert et Gounod feront partie d’un drame construit avec des chanteurs du Dutch National Opera Studio, de compositeurs, percussionnistes, danseurs et DJs, réunis sous la houlette artistique de Romain Bischoff (spécialiste du théâtre musical expérimental aux Pays-Bas avec le collectif Silbersee).
Le pacte faustien de Mefistofele, de Boito, (coproduction avec l’Opéra national de Paris) ouvrira la saison pour les débuts de Tatjana Gürbaca du chef Marco Armiliato et du ténor Charles Castronovo au Dutch National Opera. Christian Van Horn, Olga Busuioc et Guanqun Yu seront à leurs côtés. Les derniers levers de rideau du mois de juin accueilleront Calixto Bieito pour la première fois à Amsterdam dans La Damnation de Faust de Berlioz, autour de François-Xavier Roth, du Royal Concertgebouw Orchestra, et d’Anna Stephany, John Osborn et Kyle Ketelsen.
Un autre regard sans concession proviendra sans doute de Dmitri Tcherniakov, invité pour Aïda de Verdi, absent des bords d’Amstel depuis vingt ans. L’amour de l’esclave éthiopienne (Elena Stikhina) et du général Radamès (Yonghoon Lee) sera contrecarré par l’Amneris d’Anita Rachvelishvili, au milieu de Mika Kares, Rafał Siwek, Markus Brück et d’instrumentistes illuminés par Andrea Battistoni (dont la direction avait ravi à Gênes fin 2018).
Les jeux de pouvoir seront aussi légion dans une Agrippina de Haendel sous le spectre de Barrie Kosky (en coproduction avec la Bayerische Staatsoper, la Royal Opera House et le Staatsoper Hamburg, et que nous avions vue à Londres). Ottavio Dantone et son Accademia Bizantina donneront le la (aux alentours de 423 Hz) à Dame Sarah Connolly, Franco Fagioli (exquis en Nerone au Théâtre des Champs-Élysées l’année dernière), Ying Fang, Gianluca Buratto, Tim Mead, Eric Jurenas et Nahuel di Pierro.
Anna Bolena, en collaboration avec le Palau de les Arts Reina Sofía de Valence, marquera le début de la trilogie royale Donizetti sur trois saisons (suivront Maria Stuarda et Roberto Devereux). Du beau monde, encore : Marina Rebeka (Anne Boleyn) contre J’Nai Bridges (Jane Seymour), Roberto Tagliavini (Henry VIII), Ismael Jordi et Cecilia Molinari, et l’énergie d’Enrique Mazzola, pour le premier travail de mise en scène de Jetske Mijnssen au Dutch National Opera.
L’abolition des privilèges et le mouvement #metoo transparaîtront dans la reprise des Noces de Figaro par David Bösch, et tenue par la fougue de Riccardo Minasi. La Comtesse prendra les traits de Ruzan Mantashyan ou Natalia Tanasii, entourée du Comte de Davide Luciano, du Figaro de Riccardo Fassi et de Ying Fang, Polly Leech, Iris van Wijnen et Michael Hauenstein.
Légèreté et gravité, enfin : l’entrée au répertoire amstellodamois de La Veuve joyeuse imaginée par Christof Loy (spectacle étrenné au Grand-Théâtre de Genève), et la production de François Girard du Vaisseau fantôme importée du Metropolitan Opera de New York. Annette Dasch, Thomas Oliemans, Norman Reinhardt et Theresa Kronthaler se partageront l’affiche de l’opérette de Léhar sous l’œil musical de Marko Letonja, tandis que les remous wagnériens seront chantés par l’étoile montante Joana Mallwitz, Brian Mulligan et Elza van den Heever (tous deux en prise de rôle), Ain Anger, Benjamin Bruns et Katia Ledoux.
Trois opéras familiaux colorent davantage ce panorama enthousiasmant : Kriebel (représentation sonore de la « démangeaison ») et Goud! De Leonard Evers, ainsi qu’Alice’s Adventures Under Ground de Gerald Barry (d’après Lewis Carroll), respectivement à partir de 2, 4 et 7 ans.
Enfin, l’identité visuelle du Théâtre reste fidèle à ses GIFs animés pour chaque production. Sophie de Lint a apporté sa patte en faisant appel à des artistes de motion capture. Le résultat illustre à merveille l’ancrage de la modernité d’une programmation tout feu tout flamme pour tous les goûts.
Thibault Vicq
* Bien que l’édition 2020 actuelle n’ait pas lieu en raison du COVID-19, le Dutch National Opera donne accès en ligne à la création de Ritratto, de Willem Jeths
21 mars 2020 | Imprimer
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