Le dernier opus de sa trilogie discographique dédiée aux Tragédiennes montre que la soprano française est bel et bien sortie du baroque pour de nouvelles reconnaissances vocales.
Son parcours musical riche de nombreuses raretés – pas moins de trois CD pour croquer les Héroïnes baroques, tragiques et maintenant romantiques (CD Virgin Classics) – répond à une noble ambition : faire découvrir des personnages magnifiques dont beaucoup tombés dans l’oubli et inviter les producteurs à sortir des chemins battus. Qui se souvient encore de Catherine d’Aragon dans Henry VIII de Saint-Saëns, d’Alde dans Roland à Roncevaux, de Mermet ou d’Ina dans Ariondant de Méhul ? De belles découvertes pour l’amateur alors que tout se concentre sur quelques figures rabâchées, mais aussi des regrets – de l'aveu même de l'équipe de ces magnifiques récitals.
La soprano et son complice, le chef Christophe Rousset, ont dû se limiter dans la pléthore d’airs magnifiques d’héroïnes blessées, anéanties, meurtries ou furieuses… pour ne garder que celles qui correspondent le mieux à son tempérament et à sa voix. Le moins que l’on puisse dire est qu’elle n’en manque pas pour donner vie à ces femmes explosives. Véronique Gens déroule, somptueuse, l’étendue de ses registres, sa capacité à ciseler ses airs vengeurs et déchirants sans tomber ni dans la grandiloquence ni l’artifice. Un grand art qui souligne combien l’étiquette de ‘baroqueuse’ dont on l’affuble est désormais trop réductrice pour embrasser ses registres.
Certes, il y a ses débuts et son rôle héroïque au sens propre et figuré dans ce qui deviendra la vague baroque française, depuis 1987 dans l’Atys version Christie / Villégier où elle incarne La Fontaine qui fredonne ‘Et l’effort dans la constance / à la fin doit vaincre de tout’, puis devenue l’égérie des chefs les plus intrépides de Jean-Claude Malgoire à Gérard Lesnes, elle ressuscite avec un naturel et une science maitrisée les personnages de Charpentier à Rameau en passant par Purcell ou Jomelli. La soprano est de toutes les conquêtes et sa prodigieuse discographie en témoigne.
Depuis son Elvire (Don Giovanni) mise en scène par Peter Brook à Aix en Provence, elle a aussi parcouru du chemin dans le répertoire… de Berlioz jusqu’à Wagner ! Sa voix elle aussi a évolué : le timbre s’est intensifié, ce que la chanteuse définit joliment comme un « entre deux », ni tout à fait soprano ni complètement mezzo. Cette femme de tête démontre avec panache, au travers de ce florilège d’héroïnes sublimes, qu’elle est prête pour une Mélisande ou la Maréchale du Chevalier à la Rose.
Bonne nouvelle ! Alors que les scènes étrangères ont déjà compris ses atouts, la France commence à lui faire confiance loin du baroque. Elle fait son entrée (enfin) à la Bastille en mars 2012 dans la production de Don Giovanni du cinéaste autrichien Michael Haneke ; en attendant Falstaff à Nantes et Le Dialogue des Carmélites au Théâtre des Champs-Elysées… et un ultime récital de ses Tragédiennes romantiques à l’Opéra Comique le 10 avril 2012.
Alain Duault
14 novembre 2011 | Imprimer
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