La cause est entendue, cette Cenerentola à l’Opéra Garnier est un ratage : pourquoi ? Peut-être en attendions-nous trop – de la mise en scène d’abord. Il est vrai que l’idée de départ de Stéphane Lissner quand il a proposé à Guillaume Gallienne de monter ce « drama giocoso » de Rossini était séduisante : « Ca parle de la famille, c’est drôle et c’est cruel ». Le résumé est bon et l’on pouvait imaginer que celui qui nous a plongé avec Guillaume et les garçons, à table ! dans les affres à la fois joyeuses et cruelles de cette famille un peu secouée qui est la sienne, allait faire son miel de ce chef-d’œuvre doux-amer.
Hélas, comme souvent les débutant à l’opéra, il a été impressionné et il n’a pas osé se laisser aller au plaisir de mettre en scène cette musique. Il a au contraire pris au sérieux le livret, plus qu’au sérieux même : à la lettre ! Ainsi de cette coulée de boue qui envahit le plateau : il nous dit que c’est une coulée de lave, pourquoi pas, mais comment le savoir ? Un effet théâtral qui a besoin d’une explication est raté ! Quant à la justification : Cendrillon = cendre, d’où la lave… elle est pour le moins spécieuse.
Le décor d’Eric Ruf, lui, est beau certes, très beau même, mais en rien adapté à la légèreté de la musique de Rossini : c’est un décor pour Macbeth. En fait tout est lourd parce que Guillaume Gallienne a voulu faire un sort à chaque phrase, à chaque didascalie, en oubliant seulement deux choses : le sous-titre de l’ouvrage « ossia la bontà in trionfo » qui nécessitait qu’on perçoive cette bonté de la malheureuse Angelina au-delà du seul affrontement familial, et surtout l’impérieuse nécessité à l’opéra de donner le primat à la musique, surtout quand cette musique est celle, vélivole, de Rossini (et non Verdi ou Wagner) ! On aurait pu enfin espérer, de la part d’un comédien aussi fin, une direction d’acteur qui aurait donné à cette proposition une dynamique : hélas, là encore, on reste sur notre faim. Dommage !
La Cenerentola © Vincent Pontet / OnP
La Cenerentola © Vincent Pontet / OnP
Demeure la musique qui eût pu éviter le naufrage. Mais force est de reconnaître que l’on reste là aussi sur sa faim. La direction d’Ottavio Dantone est brouillonne, sans ligne, sans direction, parfois vive et nerveuse, parfois bien retenue sans qu’on en comprenne la raison, les décalages sont fréquents avec les solistes comme avec les chœurs, très réduits (sans doute du fait de la fréquentation par Ottavio Dantone de l’univers baroque) et le spumante se fait attendre… sans jamais venir ! Quant à l’ « innovation » de faire accompagner plusieurs des récitatifs par la harpe au lieu du pianoforte, elle tombe à plat, n’apporte rien mais, au contraire, retire beaucoup de la dynamique acérée qu’ils doivent porter ! Tout cela de surcroit sans la moindre justification…
Les voix auraient-elles pu tout sauver ? Peut-être… mais ce n’est pas vraiment le cas ! Un ténor dépassé, Juan José De Léon, aux aigus coincés dans le nez, sans style et sans conviction, un baryton banal, Alessio Arduini, qui tire la note au tarif syndical, une basse bouffe, Maurizio Muraro, un peu usé et peu charismatique, tout cela n’est pas follement attirant. Bien sûr, les deux sœurs chipies, comme souvent, tirent leur épingle du jeu : elles sont charmantes, elles jouent bien, elles ont du peps et de jolies voix, Chiara Skerath d’abord, élégant soprano à la légèreté non dépourvue de couleurs affirmées, Isabelle Druet ensuite, beau timbre profond qui trouve en Tisbè de quoi marquer son passage. Reste la problématique Angelina de Teresa Iervolino : le timbre n’est pas laid mais banal, le chant n’est pas mal conduit mais indifférent, le personnage est sans contre-sens mais sans charisme, tout relève d’un style appliqué, scolaire, sans la moindre incarnation. De ce point de vue, le rondo final, qui doit tout emporter sur son passage, a l’énergie d’une tisane tiède. Alors ? Alors il y a une voix enthousiasmante, une voix au timbre de bronze, au chant ardent, à la présence rayonnante, celle de Roberto Tagliavini ! Malheureusement Alidoro n’a qu’un air : on voudrait le bisser, le trisser… Mais il passe et ne revient guère que pour de brèves phrases qui nous laissent espérer d’autres rôles...
Au final, on avoue qu’on s’est ennuyé : c’est impardonnable avec Rossini ! Dommage.
25 juin 2017 | Imprimer
Commentaires