« La pièce est terminée. On a fait de son mieux pour vous faire envoler par les beaux pays bleus » : ces derniers mots, chantés à la face par toute la distribution au son d’une fanfare joyeuse, sont la « morale » de cette pièce sous-titrée « contes de fées en quatre actes ». Et c’est vrai qu’on passe une bien agréable soirée en dégustant cette musique pleine de charme, qui s’amuse de quasi citations stylistiques déployées de Mozart à Wagner ou à Richard Strauss voire à Johann Strauss, à partir d’un livret qui revisite le conte de Perrault avec un chic d’époque. Car, si (on peut s’en étonner) il entre seulement à cette occasion au répertoire de l’Opéra de Paris, l’ouvrage date de 1899, de ce tournant du siècle où la machine va prendre le pas sur les rêves. C’est ce qu’a parfaitement compris Mariame Clément qui met en scène cette Cendrillon avec l’intelligence et l’humour qui sont aussi tissés à ce conte de fées pour des adultes qui veulent se réenchanter. En cette période bouleversée, c’est une bouffée d’air pur et de souvenirs d’enfance enrobés de sucre candi qui enveloppe et distrait d’un réel par trop pesant, tout en faisant réfléchir finement sur la trame humaine de ce conte.
En exergue de chaque acte, un petit film muet comme on en pouvait voir à l’époque de la création, celle où Mariame Clément situe la pièce. Et le rideau se lève, dévoilant alors une sorte de formidable machine à vapeur avec cylindres, tuyaux, engrenages, cheminées, étincelles et lâchers de vapeur, œuvre de Julia Hansen, l’habituelle décoratrice de Mariame Clément. On comprend qu’on est plongé dans une vraie féérie, mais une féérie 1900. Car ce mastodonte est une machine à fabriquer des princesses : ainsi on y introduit deux jeunes femmes, les deux demi-sœurs de Cendrillon, et il en ressort deux poupées Disney, avec robes roses volumineuses, perruques blondes et sourires bêtas. Pour autant, le propos du spectacle n’est pas que de divertir : il est aussi de décrire ce monde au pli du siècle nouveau, alors que les femmes sont encore des objets dont un « beau mariage » est l’horizon indépassable. La trame du conte se déroule avec des clins d’œil nombreux et savoureux, tel ce Prince, rebelle à l’idée de faire un mariage sans amour, qui se balade en baskets rouges, rappelant d’autres baskets, roses, celles de la Marie-Antoinette de Sofia Coppola. Telle aussi cette (splendide) verrière du deuxième acte, celui du bal, à l’esthétique mi Tour Eiffel mi serre du parc de Schönbrunn. Ou l’envol de Cendrillon en ballon à la Gambetta ! Mais il y a aussi des plongées passionnantes sur l’inconscient, figuré par ce sous-sol glauque du palais, planté d’une myriade de cuves mystérieuses, où Cendrillon et son Prince charmant se cherchent sans se voir : le désir y dessine ses frémissements, comme l’inverse du monde de poupées d’un faux réel. Par petites touches subtiles, sans jamais rien souligner au crayon rouge, Mariame Clément, grâce à une direction d’acteurs d’un rare accomplissement, fait vivre chaque scène à la fois théâtralement et musicalement. Réussite complète !
Il faut dire que cette réussite s’appuie aussi sur une distribution sans faille, avec d’abord l’adorable Cendrillon joliment poupine de la jeune irlandaise Tara Erraught, voix tendre et colorée, longueur de souffle qui déploie le chant sans effort. Avec aussi la truculente Daniela Barcellona en Madame de la Haltière, tornade vocale et physique qui emporte tout sur son passage. Avec encore le timbre délicat d’Anna Stephany, Prince véritablement charmant, au jeu aussi délié que son chant. Et la fée de Kathleen Kim, aux aigus colorature filés avec grâce jusqu’aux étoiles, comme les deux sœurs pas méchantes de Charlotte Bonnet et Marion Lebègue complètent une distribution féminine qui offre une palette de couleurs exquises. Face à ce gynécée vocal, le baryton belge Lionel Lhote en Pandolfe, le père de Cendrillon (qui s’appelle ici Lucette), fait encore une fois preuve de son excellence vocale et de son aplomb scénique – même si l’on peut douter que, dans cet ouvrage, « du côté de la barbe soit la toute puissance » ainsi que le fait chanter Henri Cain, le librettiste, citant les Précieuses ridicules.
Avec le Chœur de l’Opéra de Paris, toujours impeccablement préparé par Ching-Lien Wu, et l’Orchestre de l’Opéra de Paris distillant sous la baguette experte de Carlo Rizzi des couleurs et même, pourrait-on dire, des saveurs sonores particulièrement goûteuses, cette soirée est, autant à voir qu’à entendre, un plaisir continu qui n’est pas dénué de réflexions bienvenues.
Alain Duault
Paris, 26 mars 2022
Cendrillon, Opéra national de Paris - Bastille, jusqu'au 28 avril 2022
La production fera l'objet d'une captation et d'une diffusion en direct dans les cinémas UGC partenaires le 7 avril à 19h30 dans le cadre de la programmation Viva l'Opéra!
28 mars 2022 | Imprimer
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