Le point de vue d’Alain Duault : Les Puritains pour l’Elvira de Lisette Oropesa

Xl_les-puritains-opera-de-paris-24-25-c-sebastien-mathe_alain-duault © OnP / Sebastien Mathe

Bel canto sans doute – encore que le bel canto dans son acception musicologique rigoureuse soit considéré comme entrant en décadence en devenant « romantique » – mais, plus assurément, mélodie et, tout nouvellement pour l’époque, expression : Les Puritains, ultime opéra de Bellini, est déjà l’indice de ce renversement du style de l’opéra italien, dont Verdi deviendra le héraut et qui est là déjà en germe.

La voix y est toujours sollicitée prioritairement mais elle ne l’est plus exclusivement, et si le fameux « quatuor des Puritains » est célèbre, celui de la création en 1835 (le ténor Rubini, la soprano Grisi, le baryton Tamburini et la basse Lablache, les quatre gosiers stars de l’époque), il ne réduit pas l’œuvre à la seule virtuosité de ces luxueuses rencontres vocales : au-delà du chant pur, Les Puritains est un opéra romantique. Ce sera le plus grand triomphe de Bellini, créé au Théâtre Italien de Paris, où Bellini vivait depuis quelques mois, fréquentant Rossini et surtout Chopin. Il allait presque tous les soirs écouter un opéra, dans la salle de la rue Le Peletier ou au Théâtre Italien, le plus souvent avec Chopin, et quand ce même Théâtre Italien, sans doute à l’instigation de Rossini, lui commande un opéra, Bellini se plait à croire au ciel ! Le livret, tiré d’une pièce d’Ancelot et Saintine (sans aucun rapport comme on le dit encore parfois par ignorance avec un roman de Walter Scott, Old Mortality, publié en France sous le titre Les Puritains d’Ecosse – d’où la confusion de certains…), est très vite concocté par un certain Pepoli qui n’était pas d’envergure pour un tel travail. Mais Bellini sait s’en contenter pour inventer toutes ces mélodies qui font de cet opéra un sommet – ce que la France reconnut aussitôt puisque, pour ses Puritains, il devait recevoir la Légion d’Honneur qui lui sera remise sur le plateau du Théâtre Italien par Rossini lui-même. Quelques jours après le triomphe de son opéra, Bellini n’hésitait pas à écrire : « Les Puritains m’ont mis à la place que je mérite, c’est-à-dire la première après Rossini ». Comment aurait-il pu savoir qu’il ne lui restait que huit mois à vivre ? Car sa mort à 34 ans, à Puteaux, reste encore aujourd’hui un mystère : Bellini connait en effet début septembre 1835 plusieurs crises de dysenterie, doit s’aliter le 10, fait venir un médecin, le docteur Montallegri, et meurt le 23. L’autopsie conclut à une perforation intestinale dont la cause demeure inconnue. A-t-il été empoisonné ? Mais par qui ? Pourquoi ? Les frais des funérailles et de l’érection d’une statue à sa mémoire au cimetière du Père Lachaise seront couverts par une souscription organisée par Rossini. La messe a lieu aux Invalides, et Rubini, Ivanoff, Tamburini et Lablache y chantent un Lacrimosa sur la musique de… l’air d’Arturo, au dernier acte des Puritains.

Les Puritains - Opéra National de Paris - Bastille (2025) (c) OnP / Sebastien Mathe
Les Puritains - Opéra National de Paris - Bastille (2025) (c) OnP / Sebastien Mathe

Mais quel est le sens de cette reprise des Puritains à l’Opéra Bastille entre les représentations de l’Or du Rhin de Wagner (sinon que Wagner aimait beaucoup Bellini) ? Créé en 2013, le spectacle de Laurent Pelly n’a pas montré l’habituellement excellent metteur en scène français à son meilleur : bien sûr, après la laideur de L’Or du Rhin sur la même scène (voi mon Point de vue du 6 février), ça fait du bien de jouir de la musique sans être dérangé par ce qu’on voit. Pourtant ce qu’on voit n’est pas grand-chose : un décor fait de fines grilles en ferronnerie, comme des esquisses, des dessins, mais sans couleurs. Tout est en noir et blanc, décor, costumes, lumières, gestes même, une esthétique épurée et intemporelle ou plutôt atemporelle, uniformes anonymes de soldats défilant à la parade, robes raides comme flottant au-dessus du sol, direction d’acteurs étique se contentant de suivre le récit : cette reprise ne trouve en fait sa nécessité que dans la présence lumineuse de la soprano Lisette Oropesa, devenue une des plus grandes interprètes du bel canto romantique.

Je n’ai pas entendu Maria Callas dans Les Puritains – sauf en disque bien sûr, Callas déchirée, Callas ravagée par la folie, Callas au sommet de son art (mais dramatiquement seule, mal entourée). Je n’ai pas entendu Joan Sutherland non plus dans Les Puritains – sauf en disque là encore, dirigée par son mari Richard Bonynge, et supérieurement entourée (Pavarotti, Cappuccilli, Ghiaurov), Sutherland jetant des brassées d’étincelles vocales, Sutherland éblouissante. Elles ont été des légendes. Plus près, June Anderson, en 1987 à l’Opéra-Comique, avait su redonner un feu ardent à cette œuvre qui faisait alors seulement son entrée au répertoire de l’Opéra de Paris et le souvenir en est inoubliable.

Les Puritains - Opéra National de Paris - Bastille (2025) (c) OnP / Sebastien Mathe
Les Puritains - Opéra National de Paris - Bastille (2025) (c) OnP / Sebastien Mathe

Mais quoi qu’il en soit, entendre Les Puritains en direct, à la scène, fait percevoir l’engagement physique et vocal de la soprano qui interprète le rôle d’Elvira, ce lyrisme nécessairement éperdu, cette sonorité qui doit résonner, ce legato qui exige des phrases à la souplesse ambrée comme une caresse vocale et qui doit accueillir la fièvre des passions. Lisette Oropesa, sans bien sûr les immenses moyens de ses grandes devancières, y offre pourtant une leçon de poésie – de la voix, du corps, du regard : elle chante d’abord son insouciance, « Son vergin vezzosa » (Je suis une vierge charmante) comme le cri de confiance d’une âme trop candide. Un peu plus tard, corps douloureusement ployé, voix ombrée, elle chante sa douleur avec la même beauté, « O rendetemi la speme, o lasciatemi morir » (Oh, rendez-moi l’espoir, ou laissez-moi mourir), puis elle fait entendre la folie qui monte en elle, « Qui la voce sua soave mi chiamava » (C’est ici que sa voix suave m’appelait), une folie qui culmine en gerbes de vocalises meurtrières (« Vien diletto » – Viens, mon aimé). Ce sont pour ces moments qu’on salue cette reprise, ces moments où Lisette Oropesa sait nous toucher par la fragilité d’un corps, d’un souffle, d’une voix dont le chant fait entendre son évidence purement poétique.

On ne peut pas dire qu’elle soit vraiment entourée à sa mesure, à l’exception du magnifique et émouvant Giorgio de la basse italienne Roberto Tagliavini et de l’Arturo stylé, mais un rien monochrome, de Lawrence Brownlee. On regrette la brièveté du rôle de la reine, qui fait découvrir le mezzo fruité de Maria Warenberg… Et on s’enthousiasme encore une fois pour la splendeur des Chœurs que Ching-Lien Wu, cheffe de chœurs superlative, sait déployer aussi bien dans la puissance que dans la subtilité (et les chœurs sont un véritable personnage de l’action des Puritains !). La direction de Corrado Rovaris ne marque pas mais ne dérange pas, d’autant que ce répertoire n’exige ni grandes envolées ni parti pris spécifique. En fait, c’est pour Lisette Oropesa qu’on vient assister à cette reprise des Puritains – et c’est grâce à Lisette Oropesa qu’on repart ébloui, touché, ému : heureux.

Alain Duault
Paris, 6 février 2025

Les Puritains à l'Opéra Bastille du 6 février au 5 mars 2025

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