Bien qu’étant un des premiers opéras de Verdi (il date de 1847, c’est-à-dire cinq ans seulement après Nabucco) Macbeth est un ouvrage d’une étonnante modernité. Il lui faut donc, outre une interprétation musicale de haut vol, une réponse scénique puissante, propre à donner à voir ce que la pièce recèle de profondeur et de nœuds entrelacés, plongée dans les tréfonds de l’âme humaine en même temps que miroir tendu à toute société où le pouvoir et le désir se mêlent.
Macbeth - Théaâtre Royal de la Monnaie (2016)
Macbeth - Théâtre Royal de la Monnaie (2016)
La mise en scène d’Olivier Fredj, pour cette nouvelle production de la Monnaie de Bruxelles, répond intelligemment à ce double aspect : on y assiste bien à une théâtralité sociale, projetée dans un univers contemporain, celui d’un hôtel où tout passe et se passe, mais on y assiste aussi à une réflexion frémissante sur le couple Macbeth / Lady Macbeth, sur le désir et le pouvoir – ce pouvoir qui, dans ce couple déséquilibré, interroge sur une autre dichotomie, celle de la puissance et de l’impuissance : rien ne semble lier Macbeth à son épouse, en tout cas pas la sensualité, et tout se cristallise donc sur ce substitut sexuel que représente le pouvoir.
La direction d’acteur d’Olivier Fredj est bien celle d’un homme de théâtre, précise, dynamique, constituée de toute une gestuelle qui construit une personnalité, Lady Macbeth par exemple, dès son entrée, en pantalon, cigarette à la main, affirmant cette liberté virile qui renversera les rôles dans le couple, alors que Macbeth, avec cette jupe-kilt qui recouvre son pantalon et l’entrave quelque peu, apparait d’emblée face à elle comme un homme soumis à son désir, à son emprise. On regrettera seulement deux aspects discutables de cette mise en scène : d’une part la présence par trop envahissante d’une troupe de danseurs et danseuses (affligés d’une chorégraphie indigente) qui tire un certain nombre de scènes vers le décoratif alors que tout devrait être pris dans des tenailles tragiques. De surcroit, remplacer par des danseurs les sorcières, qu’on entend en coulisses mais qu’on ne voit jamais, accentue cet effet décoratif en obérant la dimension monstrueuse qui doit passer par la matérialité des corps : à l’opéra, c’est le corps qui chante, pas un ersatz ! L’autre point discutable, dans le même esprit, est le traitement du chœur, figé à l’arrière scène sur une estrade comme dans le théâtre élisabéthain, d’où il semble assister de loin au spectacle : là encore, l’absence des corps, absence visuelle mais aussi sonore (il manque par exemple l’épaisseur du chœur, sa formidable présence projetée, au moment de la découverte du corps du roi Duncan assassiné), déréalise la force pulsionnelle de ce chœur qui semble réduit.
La preuve de cette dommageable réduction en est donnée a contrario par cette superbe scène, au début du dernier acte, quand le peuple désolé, accablé de malheurs et de morts, entre dans la salle, s’insinue entre les spectateurs et, comme le prenant à témoin de son affliction, déploie un chœur admirable comme une sorte de requiem poignant qui bouleverse tout le monde : excellente idée de théâtre qui vient critiquer la réduction de ce même chœur tout le reste du temps. Dommage car le geste théâtral d’ensemble et la belle direction d’acteurs donnent à ce spectacle une réelle puissance.
Béatrice Uria Monzon, Scott Hendricks
Cette puissante théâtrale, elle est dynamisée par l’excellence de la réalisation musicale, assise d’abord sur la direction de Paolo Carignani, riche en couleurs, sachant impressionner quand il le faut, se retirer aussi quand il le faut, sachant respirer avec les chanteurs. Et le plateau réuni par Peter de Caluwe est exceptionnel : tous jusqu’aux plus petits rôles sont superlatifs, avec trois grandes personnalités, le Banquo de la basse italienne Carlo Colombara, splendide de ligne et de profondeur, le Macbeth du baryton américain Scott Hendricks, voix pleine, colorée, chant parfaitement mené, avec un souffle qui ne retombe jamais et lui permet de souligner toutes les inflexions de ce personnage qu’il incarne dans ses dimensions les plus intimes, enfin la Lady Macbeth très attendue de Béatrice Uria Monzon.
La célèbre mezzo française qui, de plus en plus régulièrement, aborde depuis quelques années les grands rôles de soprano dramatique, semble avoir trouvé là un personnage à sa mesure. Le timbre chaud et ardent de Béatrice Uria Monzon est connu : il fait merveille ici, ouvrant des vertiges dans la personnalité troublante de Lady Macbeth. Mais c’est ce qu’elle fait de cette voix reconnaissable entre toutes qui saisit d’admiration devant l’interprétation de cette Lady jamais tirée vers une noirceur hystérique mais au contraire – et c’est bien plus terrible – femme secouée de désirs et de déchirures, hantée par le pouvoir, le désir du pouvoir, mais dépassée par les forces qui l’habitent. Les airs se succèdent pour affirmer cette personnalité aux éclats multiples, « Vieni t’affreta », le premier, peut-être le plus fort, en tout cas le plus difficile vocalement, qui affirme d’emblée que cette voix est faite pour ce rôle : timbre projeté avec insolence, colorations sombres, longueur de souffle, énergie intérieure dans les intervalles meurtriers, tout y est, le personnage est là. Mais « La luce langue » montre un autre aspect, une intériorité bouleversante, comme si la noirceur pouvait creuser un abîme plus profond encore. Et, après l’éclat d’un Brindisi qui mobilise encore une fois la projection de la voix, la formidable scène de somnambulisme, « Una macchia », grand arioso nerveux, intériorisé, habité de manière hallucinante par Béatrice Uria Monzon, signe définitivement le contrat entre ce rôle terrifiant et cette chanteuse au sommet de ses possibilités. C’est vraiment la naissance d’une Lady Macbeth à laquelle cette nouvelle production de Macbeth permet d’assister !
Macbeth à la Monnaie de Bruxelles | du 13 au 29 septembre 2016
15 septembre 2016 | Imprimer
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