C’était le concert à ne pas manquer ! « Concert exceptionnel » était-il annoncé : il l’a été. Pour prendre congé de l’Opéra de Paris dont il a été, douze ans durant, le directeur musical salué et apprécié tant du public que de la critique et des musiciens, Philippe Jordan a choisi un programme de haut vol pour tirer sa révérence en beauté.
La Faust-Symphonie de Liszt, composée en 1854 (Liszt a 43 ans), est une œuvre très rarement montée du fait de l’importance des moyens qu’elle nécessite, un orchestre très fourni, un chœur d’hommes et un ténor solo, pour une durée d’un peu plus d’une heure. Philippe Jordan a voulu, à travers cette œuvre, mettre en valeur l’Orchestre de l’Opéra National de Paris aussi bien dans sa puissance que dans ses détails, dans sa masse que dans ses subtilités. L’effet de ces trois « portraits » que constitue la Symphonie (Faust, Marguerite, Méphistophélès) est saisissant : un vaste déploiement symphonique d’abord, qui sollicite tous les pupitres dans un tissage complexe symbolisant les méandres de l’esprit de Faust, une méditation plus tendre et apaisée pour peindre celui de Marguerite, sa tendresse et son trouble, enfin une géniale exacerbation sonore qui exprime parfaitement la définition par Goethe de Méphistophélès : « Je suis l’esprit qui nie ». Dans ce troisième mouvement, l’acmé de l’œuvre, les thèmes initiaux, ceux de Faust, sont repris mais déformés, torturés, ricanant ou grimaçant, l’orchestre étant sollicité dans toutes ses possibilités (et c’est un hommage que Philippe Jordan a ainsi voulu lui rendre) jusqu’à cette péroraison finale portée par le chœur d’hommes, superbe dans sa résonance mystique, d’où jaillit le lumineux solo du ténor proclamant la rédemption venue de l’ « Eternel féminin ». Une œuvre exaltante portée par un grand artiste, Philippe Jordan, à la tête de troupes à sa totale dévotion : la première partie de ce concert méritait déjà ce qualificatif d’« exceptionnel ».
La seconde est allée encore plus loin dans l’accomplissement. Le troisième acte de Parsifal avait bien sûr quelque chose de symbolique dans l’esprit de Philippe Jordan : c’est une œuvre testamentaire et le chef en a fait autant un « adieu » (mais aussi, il l’a dit à l’issue de l’immense ovation finale, « un au revoir ») qu’un encouragement à poursuivre, à fouetter encore ce coursier luxueux de l’Orchestre de l’Opéra de Paris, du Chœur de l’Opéra de Paris, de cette maison qu’il a servie parce qu’il l’a aimée et qui, en retour, l’a aimé et continue de l’aimer. Et quelle distribution ! Peut-on réunir mieux que le Parsifal d’Andreas Schager, voix lumineuse, timbre d’airain, ardeur jamais forcée, le Gurnemanz de René Pape, grain sombre sans être crépusculaire, mélancolie sans être désespoir, l’Amfortas de Peter Mattei, expression bouleversante de la désespérance en même temps que foyer sonore somptueux – et, luxe en forme de clin d’œil de Philippe Jordan à cette nouvelle génération de chanteurs français dont elle est un des plus beaux fleurons, la Kundry d’Eve-Maud Hubeaux (en fait Suisse comme lui !), pour les trois brèves interventions du début de l’acte, qui néanmoins signent un timbre et une présence. Mais la richesse des textures mises en valeur, l’harmonie déployée comme jamais avec en particulier cette gourmandise sonore des cuivres, toute une fusion maintenue de bout en bout par cet orchestre en état de grâce, sa communion ardente avec les voix, ce souffle répandu comme un baume pour consoler du départ de ce chef tant aimé, et le chœur superlatif, et le public suspendu à cette baguette frémissante : tout était au sommet !
En sortant, d’aucuns se disaient qu’un tel Parsifal, sans le fatras encombrant qui tient parfois lieu de « mise en scène », ça fait du bien et ça montre que la musique seule est victorieuse. Oui, vraiment un concert exceptionnel !
03 juillet 2021 | Imprimer
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