Ambronay passe à l'heure anglaise avec Lea Desandre et l'ensemble Jupiter

Xl_thumbnail__dsc6037_dxo_ens_jupiter_l_desandre_t_dunford_fest_amb_15092024___bertrand_pichene-ccr_ambronay © Bertrand Pichène

Le Festival d'Ambronay réservait bien des surprises alléchantes pour son weekend d’ouverture : après un sublime Stabat Mater puis la rare Alcina de Caccini, c’était au tour de Lea Desandre et de l’ensemble Jupiter (accompagné au luth et dirigé par Thomas Dunford) de nous régaler dimanche pour un tea time tardif intitulé « Songs of Passion » autour de John Dowland et Henry Purcell. 

Le concert se compose de deux parties, chacune consacrée à l’un des compositeurs. La première présente ainsi des œuvres de Dowland et débute par « Come again » (du First Book of Ayres) dans lequel les musiciens n’hésitent pas à donner de la voix pour accompagner la mezzo-soprano en chœur. Puis Thomas Dunford prend le micro afin de présenter le compositeur, l’œuvre, le programme donc de cette première partie est un mélange de larmes, d’amour, de mélancolie... Il partage ainsi avec le public et rend la scène accessible à l’auditoire pour un moment convivial. On ressent d’ailleurs un esprit de troupe entre l’ensemble des artistes sur scène, Lea Desandre incluse. Il faut dire que tous se connaissent depuis quelque temps maintenant, et que ce projet n'est pas le premier qu'ils ont en commun – on se souvient par exemple du disque Amazone dans lequel l'harmonie entre eux se ressentait déjà particulièrement.

Mais au-delà de la sympathie qu’il nous inspire, l’ensemble Jupiter impose également le respect par son excellence : d’un simple regard, Thomas Dunford dirige, oriente, dialogue avec les autres musiciens – les regards complices se multiplient et les sourires s’échangent, notamment avec la violiste – et c’est dans une bonne humeur communicative que se déroule l’après-midi. Une bonne humeur qui n’empêche toutefois pas d’être pleinement investis par la mélancolie profonde de Dowland et la beauté de textes particulièrement sombres (« Je reste assis à soupirer, à pleurer, je défaille et je meurs dans de terribles souffrances et une détresse infinie » pour ne citer que ce passage). Les harmonies riches se déploient dans une palette superlative qui vient nourrir les nuances de gris mélancoliques du compositeur, mais l’excellence n’est pas moindre dans la seconde partie dédiée à Purcell. On sourit de voir Myriam Rignol (à la viole de gambe) regarder autour d’elle, amusée et faussement surprise d’être seule à encore jouer à la fin de « Strike the viol » (Orpheus Britannicus). Le talent n’a décidément pas besoin d’austérité pour s’exprimer, et l’on savoure celui de chacun des musiciens présents.

Quant à Lea Desandre, on ne peut qu’être séduit tant par la voix que l’interprétation, et il est finalement assez difficile de n’indiquer que quelques titres de cette soirée tant chaque œuvre ou extrait était un vrai plaisir. Tentons néanmoins, en citant « Sorrow, stay » de Dowland, qui résonne particulièrement dans l’abbaye, et qui laisse la voix se déployer avec naturel et une force tout en douceur aux côtés du luth. « Flow my tears » (Lachrimae Antiquae) est un autre très beau moment qui met particulièrement bien en valeur la musique et la voix : si l’acoustique du lieu n’est pas toujours évidente, surtout vocalement, elle semble accueillir à bras ouverts le chant de Lea Desandre, pour finalement s’adapter à la voix de la mezzo-soprano et non l’inverse. La ligne est nette et sans faille, robuste et flexible, malléable et maîtrisée, concentrée dans une projection lumineuse. Le souffle est puissant, mais jamais au détriment de l’émotion.

Du côté de Purcell, citons « O let me weep » (The Fairy Queen), magnifique moment avec le violon où les notes coulent telles les larmes qu’elles dépeignent, tandis que « Ah Belinda » (Dido and AEneas) permet à la mezzo-soprano de déployer tout le talent interprétatif qui la caractérise. Mais comment ne pas se remémorer également « Thanks to these lonesome vales », autre très beau moment de la soirée – même si, finalement, la soirée n’est qu’une succession de très beaux moments.

L’enthousiasme festif des artistes trouve écho dans celui du public qui applaudit chaleureusement cette « joyeuse troupe » qui a su nous faire voyager dans l’âme humaine (anglaise) le temps d’un récital que l’on voudrait sans fin. Un bis vient toutefois clore l’après-midi (qui a laissé place au début de soirée) avec « We are the ocean », une composition de Thomas Dunford sur l’universalité : individuellement, nous ne sommes que des gouttes d’eau, mais ensemble nous formons un océan. Une manière de nous quitter sur une note un peu plus joyeuse.

Elodie Martinez
(Ambronay, le 15 septembre 2024)

"Songs of Passion" au Festival d'Ambronay le 14 septembre 2024.

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