La Bohème clôt avec panache la saison stéphanoise

Xl__dsc0661 © Cyrille Cauvet

Vendredi soir fut une soirée chargée : tandis que l’Opéra de Lyon donnait la Première de son Affaire Makropoulos, l’Opéra de Saint-Etienne proposait de son côté la Première de sa Bohème, en coproduction avec notamment le Théâtre des Champs-Elysées où cette mise en scène d’Eric Ruf fut créée en juin 2023. Un retour à l’essentiel dans une vie de bohème aux protagonistes « pauvres tout simplement ».

Avec cette production, preuve est faite qu’il n’y a nul besoin de travestir et d’étoffer une œuvre pour la rendre attrayante ou même actuelle. Triste preuve car le hasard fit que nous assistâmes à la production quelques minutes seulement après avoir appris le décès de Jodie Devos, happée par la maladie. Une maladie, une mort cruelle et injuste, comme celle de Mimi devant ce rideau de théâtre…


La Bohème, Opéra de Saint-Etienne © Cyrille Cauvet

Car c’est là la trouvaille d’Eric Ruf : s’il respecte le livret et l’époque – avec toutefois des jeux d’éclairage qui étaient peut-être en avance sur leur temps, de même qu’une bouteille en plastique faisant penser à du White Spirit – il n’en fait pas moins une réelle proposition scénique en faisant de la Mer Rouge peinte par Marcello le rideau d’avant-scène du Théâtre des Champs-Elysées (aujourd’hui malheureusement perdu) : « quoi de plus juste qu’un rideau pourpre à l’italienne, s’ouvrant par le milieu » pour signifier la Mer Rouge. La cage du souffleur n’est pas oubliée et tient le rôle de poêle/cheminée. Ainsi placé en avant-scène, le début de cette histoire est presque hors de la réalité, cachée des regards, et l’on ne s’étonne pas vraiment de voir descendre une couturière d’un possible atelier après que Rodolfo a malencontreusement joué avec la console des lumières… Ce n’est qu’ensuite que le rideau se lève pour laisser place à la vie, au dehors. Là aussi, Eric Ruf  prend un parti intéressant : il situe la salle et le public à l’intérieur de chez Momus, et nous assistons aux scènes comme attablés chez le restaurateur, voyant la rue par ses grandes baies-vitrées. Nouveau changement de décor une fois Musetta et Marcello enfuis. Cette fois-ci, nous voyons l’envers des décors, avec les échafaudages au dos des différentes façades de bâtiment tournées vers le fond de scène. Est-il destiné à nos yeux, ou bien à ceux d’un public invisible en face de nous, tandis que nous assistons à la tragédie qui se dessine, bien visible à nos yeux ? Finalement, retour sur l’avant-scène et le rideau de départ, où Mimi viendra s’éteindre, dans une émotion toujours aussi forte avant que le rideau ne se relève, révélant les chœurs depuis la rue, tournés vers le tableau tragique qui se dessine. Le travail global fonctionne à merveille, jusque dans les détails de l’éclairage de Bertrand Couderc et les magnifiques costumes de Christian Lacroix.

Côté voix, le directeur des lieux, Eric Blanc de la Naulte, prend le micro avant la représentation afin de nous informer que le couple principal est souffrant – nous apprendrons par la suite qu’ils souffraient de sinusite – mais qu’il sera bel et bien incarné comme prévu par Gabrielle Philiponet et Matteo Desole. Certes, il est vrai que les deux voix paraissent plus limitées que de coutume, mais les deux artistes parviennent à offrir au public un très beau chant, tenu jusqu’à la dernière note.


Matteo Desole (Rodolfo) et Gabrielle Philiponet (Mimi), La Bohème, Opéra de Saint-Etienne © Cyrille Cauvet

En Mimi, Gabrielle Philiponet s’investit totalement, donnant à voir une jeune femme pleinement habitée dont la toux plus vraie que nature a parfois tendance à engendrer quelques quintes en salles ! La voix parvient à voler dans des aigus larges et vibrants, traduisant l’insouciance, l’amour, la jovialité, puis l’inquiétude et la mort qui s’approche. C’est finalement en larmes, sous les bravos d’un public conquis, qu’elle reviendra sur scène pour les saluts. En Rodolfo, Matteo Desole force lui aussi l’admiration : bien que les premières minutes laissent entendre la fatigue dans la voix qui n’ose pas se projeter trop fort trop tôt, le reste de la soirée fait oublier l’annonce du début. Le ténor fait ensuite entendre une voix plus ample, plus assumée et expressive, mais son jeu d’acteur est pour sa part tout à fait louable dès son apparition sur scène. Lorsqu’il s’écroule devant le cadavre de sa bien-aimée, alors qu’il était presque serein quelques secondes plus tôt, on ne peut qu’être touché.


La Bohème, Opéra de Saint-Etienne © Cyrille Cauvet

Perrine Madoeuf est une Musetta ingénue, à la voix portante et portée, qui se marie bien au Marcello d’Andrea Vincenzo Bonsignore, au medium particulièrement charnu et claire, et à la ligne de chant verdoyante. Le Colline de Guilhem Worms ne passe pas inaperçu, avec une voix aux assises solides, bercée de noblesse et de charme naturels, et l’on apprécie également le Schaunard de Matteo Loi qui clôt brillamment ce groupe d’amis artistes. Matteo Peirone prête à Benoît un air buffa assez amusant qui sied parfaitement à la scène dont il est victime, avant d’endosser parfaitement le costume d’Alcindoro dans lequel sa voix prend plaisir à plonger avec la finesse d’un scalpel, le mettant au premier plan tout le temps de son intervention, au même titre que les autres protagonistes.

Les Chœur Lyrique Saint-Etienne Loire et Chœur de la Maîtrise de la Loire – respectivement préparés par Laurent Touche et Jean-Baptiste Bertrand – nous gratifient de passages agréables, se montrant homogènes et sonore juste ce qu’il faut. Quant à l’Orchestre Symphonique Saint-Etienne Loire, il s’avère particulièrement enthousiasmant sous la direction de Giuseppe Grazioli, laissant surgir de la fosse quelques vagues, tantôt des cordes, tantôt des vents, qui nous emportent dans la partition de Puccini avec art et volupté.

Avec cette Bohème, l’Opéra de Saint-Etienne termine sa saison avec brio. De quoi encourager le public à revenir et de nouveau pousser ses portes la saison prochaine !

Elodie Martinez
(A Saint-Etienne, le 16 juin 2024)

La Bohème, à Opéra de Saint-Etienne jusqu'au 18 juin.

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