Mercredi soir, l’Opéra national de Lyon donnait son traditionnel opéra en version de concert en partenariat avec le Théâtre des Champs-Elysées. Cette année, le choix s’est porté sur Andrea Chénier d’Umberto Giordano. Bien que l’œuvre ne soit peut-être pas la plus indiquée pour une version concertante, avec ces nombreux personnages et ces actions décrites parfois rapprochées, parfois légèrement décalées, le plateau parvient néanmoins à pallier amplement ces potentiels légers désagréments. Las, une fois encore, la maison lyonnaise fait le choix de l’Auditorium de Lyon pour ce concert avec son acoustique désastreuse pour les voix.
Bien qu’on ait déjà évoqué ce problème d’acoustique dans nos colonnes, il était particulièrement notable lors de ce concert où les pauvres solistes ont parfois eu beaucoup de peine à se faire entendre malgré tout leur talent – qui n’est pas à remettre en cause. Parallèlement, la salle s’avère un écrin de premier ordre pour les forces vives de l’Orchestre de l’Opéra de Lyon qui déploie ici toute sa superbe sous la direction magistrale de Daniele Rustioni. Les forces réunies décapent la partition de Giodano avec la précision d’un orfèvre nettoyant un bijou précieux, et les couleurs s’élèvent dans un miroitement à la fois céleste et solaire. Le chef offre une direction au cordeau qui se déploie avec art jusqu’à l’auditoire, faisant vivre et vibrer la partition. Il tempère la bête puissante qu’est l’orchestre tout en lui permettant de s’ébrouer plus librement dans ces notes servies avec toute l’excellence qui caractérise désormais les musiciens de la maison ainsi que son chef permanent.
Autre force locale sur laquelle nous savons pouvoir compter, le Chœur de l’Opéra a lui aussi brillé durant cette soirée, fort d’une très belle unité, mais aussi de modulations, d’exactitude, de précision et de vie. Il prend sa place de véritable c(h)œur battant au rythme de la partition afin de lui insuffler l’oxygène dont elle a besoin. Il est également les poumons indispensables qui lui donnent son souffle de vie.
Malgré l’acoustique peu généreuse – voire parfois assassine – avec eux, les solistes n’ont pas démérité lors de cette soirée, dont la deuxième partie fut globalement plus clémente acoustiquement. Dans le rôle-titre, Riccardo Massi brille particulièrement tant vocalement que par sa présence. C’est un Andrea Chénier tout en émotion et en poésie que livre le ténor, mais il n’en oublie pas pour autant la technique, une base solide sur laquelle il brode ce portrait qui sonne vrai. Anna Pirozzi est pour sa part une Madeleine de Coigny magnifique, capable d’élans superbes : à la puissance vocale, elle allie un raffinement, des nuances et des couleurs qui se plient sans contrainte apparente au portrait et aux intonations qu’elle souhaite dresser. Son air « La mamma morta » est une parenthèse enchantée qui soulève une vague d’applaudissements enthousiastes – et mérités ! – de la part du public, tandis que, présent sur scène, Amartuvshin Enkhbat s’essuie les yeux. Le baryton mongol est une autre source de joie musicale intarissable. Il incarne un Gérard puissant, qui ne bascule jamais dans la caricature trop facile et offre toutes les nuances du personnage, de la plus tonitruante à la plus fragile. L’arrogance miroite dans sa ligne de chant, qui se plie avec naturel aux élans plus dramatiques, romantiques ou mélancoliques de cet homme si complexe.
Toutefois, si l’Opéra a porté une attention particulière à son trio principal, il n’en a pas pour autant délaissé les rôles plus secondaires et c’est l’ensemble de la distribution qui est à saluer. Thandiswa Mpongwana – déjà entendue à plusieurs reprises in loco, comme dans L’Affaire Makropulos ou Béatrice et Bénédict – laisse à nouveau entendre un timbre chaud, miroitant, et une belle profondeur de voix en Bersi. C’est avec plaisir que l’on suit l’évolution solide de cette jeune artiste de l’Opéra Studio, de même que pour Robert Lewis (l’Abbé), à la voix solaire et charnue que l’on apprécie au fil des diverses productions auxquelles il participe. Issu de la même promotion, le Roucher de Pete Thanapat convainc un peu moins, notamment dans son duo avec Chénier, mais il est difficile de savoir si le problème ne relève pas surtout de l’acoustique.
Sophie Pondjiclis est une très belle Comtesse de Coigny durant la première partie, mais elle se révèle plus encore en Madelon où elle déploie toute une palette de puissance dramatique dans sa voix. Les graves tout comme les aigües sont solides et malléables, sans pour autant que les mediums soient délaissés. Citons enfin le reste des comprimari – dont certains issus du chœur – qui complètent parfaitement la distribution : Alexander de Jong (Jean-Baptiste Mathieu et Pierre Fléville), Filipp Varik (un Incroyable), Kwang-Soun Kim (Fouquier-Tinville), Antoine Saint-Espes (le Majordome) ou enfin Hugo Santos (Dumas et Schmidt), qui brille tout particulièrement par la profondeur de son timbre et une projection magistrale.
Face à de telles prouesses vocales et instrumentales, tout était réuni pour une soirée exceptionnelle. Quel dommage que la salle ne permette pas d’en profiter pleinement ! Certainement, le public du Théâtre des Champs-Elysées pourra-t-il jouir pleinement du talent de ces artistes. Les Lyonnais, pour leur part, ont tout de même su apprécier cette belle soirée et ont réservé un accueil chaleureux aux solistes lors des saluts, mais aussi – et presque surtout – à leur chef local. Une façon peut-être de lui indiquer leur attachement alors que la fin de son mandat se profile.
Elodie Martinez
(Lyon, le 15 octobre)
Andrea Chénier à l'Auditorium de Lyon le 15 octobre, puis au Théâtre des Champs-Elysées le 18 octobre.
17 octobre 2024 | Imprimer
Commentaires