Pouvoir, oppression, intrigues et violence : personne ne s'attendait à ce que le choix de l’œuvre soit à ce point d'actualité. Le Premier ministre slovaque vient d’être victime d’une tentative d’attentat qui a mis sa vie en danger et les attaques contre les hommes politiques se multiplient. C'est précisément le sujet de La Clémence de Titus. L’opéra de Wolfgang Amadeus Mozart se dévoile dans une nouvelle mise en scène au Festival de Pentecôte de Salzbourg à la Haus für Mozart, et fera l’objet d’une reprise lors du festival d'été. Et la problématique soulevée ici repose sur le traitement des coupables ayant ourdi un complot : faut-il les exécuter ou faire preuve de clémence ? C’est cette dernière option que choisit l'empereur romain Titus Vespasianus – et ici, ce choix ne lui réussit pas puisqu’il est ensuite brutalement assassiné par les sbires de Vitellia, contrairement à ce que prévoit le livret.
C'est ce que montre la production de Robert Carsen, qui mettra également en scène Jedermann de Hugo von Hofmannsthal cet été, de nouveau à Salzbourg. Le metteur en scène semble suggérer que la clémence n'a manifestement plus sa place dans la société d’aujourd'hui. À la fin, c’est la meute qui l'emporte, sur fond de vidéos de l'assaut du Capitole américain projetées en arrière-plan lors de l'assassinat de l’empereur romain. Une image saisissante !
Et c'est ainsi que le metteur en scène canadien nous montre l'opéra, composé en 1791 pour le couronnement de Léopold II en tant que roi de Bohème, ici transposé à notre époque contemporaine. Des salles de conférence grises et le bureau d’un chef du gouvernement, équipés de micros et d'ordinateurs portables, avec une tribune en arrière-plan. Les décors signés Gideon Davy sont très sobres, voire extrêmement froids. Vitellia est ici une protagoniste impitoyable, prête à tout pour arriver au pouvoir, usant de ses charmes, soudoyant des gardes du corps et allant donc jusqu’à ordonner un assassinat. Visuellement, elle rappelle Giorgia Meloni, et ce n’est sans doute pas un hasard. Dans l'ensemble, la définition des personnages esquissée par Robert est à la fois glaçante et convaincante.
La clemenza di Tito 2024 – en bas, Daniel Behle (Tito Vespasiano) et Alexandra Marcellier (Vitellia) ; au-dessus, Mélissa Petit (Servilia), Anna Tetruashvili (Annio), Il Canto di Orfeo, Extras of the Salzburg Festival
Sur scène, toute la distribution se révèle de grande qualité : à commencer par Daniel Behle, qui interprète un rôle-titre intense et expressif, avec une belle couleur vocale. Alexandra Marcellier est une Vitellia à la fois vindicative et voluptueuse, déployant un soprano un peu faible dans les graves, mais affichant un grand art de la nuance, une richesse d’émotions et des coloratures parfaites. Dans le rôle de son instrument, Sesto, à la fois l’ami de l'empereur et le « traître » ambigu, est interprété pour la première fois sur scène par Cecilia Bartoli, accessoirement aussi intendante du festival de Pentecôte. Une fois de plus au centre de la production, elle chante le rôle avec un mezzo-soprano expressif, faisant montre d’une grande richesse de nuances – le déchirement et la dualité du personnage sont intensément perceptibles à chaque phase. Mélissa Petit est une merveilleuse Servilia aux aigus assurés. Anna Tetruashvili fait un jeune Annio particulièrement beau et harmonieux, alors qu'Ildebrando D'Arcangelo est un Publio à la prestance très solide. Il Canto di Orfeo, préparé par Jacopo Facchini, se distingue par sa belle sonorité et sa grande homogénéité.
L'ensemble Les Musiciens du Prince-Monaco, cofondé par Cecilia Bartoli et dirigé par Gianluca Capuano, interprète la partition avec de très belles nuances sur des instruments d’époque : précis, vif, hautement dramatique, mais aussi délicat et subtile, tout en étant toujours équilibré.
Le public salzbourgeois réserve de grandes acclamations à la production, et quelques huées pour la mise en scène !
traduction libre de la chronique en allemand de Helmut Christian Mayer
23 mai 2024 | Imprimer
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