En 1695, Henry Purcell met en musique l'intrigue de The Indian Queen, n s’inspirant d’une pièce populaire de John Dryden et Robert Howard. Le compositeur en fait un semi-opéra qui restera néanmoins inachevé (Purcell meurt fin 1695 et l’ouvrage fut complété par son frère Daniel Purcell), engendrant une œuvre à la fois bizarre et iconoclaste. Le livret met en scène un conflit fictif et une intrigue improbable entre Aztèques et Incas, visant à étancher la soif d’exotisme du public de l’époque. Dès 2013, le célèbre metteur en scène Peter Sellars se saisissait de l’ouvrage et en proposait une nouvelle version présentée au Festival de Salzbourg, à la Felsenreitschule. L’homme de théâtre l’a complétée avec des extraits du roman La niña blanca y los pájaros sin pies (La petite fille et les oiseaux) de l'autrice nicaraguayenne Rosario Aguilar pour élargir le propos et raconter l’histoire de la conquête espagnole de l’Amérique centrale du point de vue de trois femmes, afin de donner au livret une dimension plus contemporaine. La « reine des indiens » dont il est question ici apparait sous les traits de la fille d’un puissant chef maya, offerte comme concubine à un conquistador de sorte qu’elle l’espionne pour le compte de son peuple. Elle tombe néanmoins amoureuse de l’Espagnol et lui donne des enfants, avant de se rendre à l’évidence : ses espoirs de le voir se détourner de sa conquête et de la destruction de son pays au profit de son amour sont vains.
Le texte est néanmoins parfois un peu indigeste, en plus d’être interprété de façon très emphatique et parfois exagéré par la comédienne Amira Casar, en anglais.
Comme la partition originale ne dure que 50 minutes, Peter Sellars et le chef d'orchestre Teodor Currentzis l'ont complétée avec des chants, des airs et des chœurs sacrés de Purcell, de sorte que la représentation dure finalement trois heures sans entracte. Là aussi, une réduction aurait été bienvenue. La musique de Purcell n’a en revanche rien perdu de sa puissance et de son émotion, a fortiori interprétée par l'Orchestre Utopia, le plus souvent debout, sous la direction de Teodor Currentzis. Le chef déploie une direction au style très affirmé et d’une grande vitalité, repoussant la dynamique de l’orchestre à l'extrême, tantôt en proposant une lecture de la partition à peine audible, tantôt en en faisant éclater les phrases les plus sauvages.
Sur scène, la distribution vocale est tout aussi exquise, à commencer par une Jeanine De Bique toute en émotion dans le rôle-titre (Teculihuatzin/Dona Luisa). À ses côtés, la subtile Rachel Redmond (Dona Isabel), le ténor merveilleusement lyrique de Julian Prégardien (Don Pedrarias Dávila), le baryton corsé de Jarrett Ott (Don Pedro de Alavardo), la basse puissante d’Andrey Nemzer (Ixbalanqué) se révèlent tout aussi impressionnants. Les comprimari Dennis Orellana et Nicholas Newton ne sont pas en reste et offrent une excellente prestation. Le Chœur Utopia, en partie installé au cœur de l'orchestre, interprète sa partition de façon richement nuancée et homogène.
Après d’intenses moments d’émotion, le public enthousiaste réserve une standing ovation à l’ensemble des artistes !
traduction libre de la critique en allemand de Helmut Christian Mayer
Salzbourg, 2 août 2023
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