David Marton a encore frappé ! Après son affligeante lecture de La Damnation de Faust à l’Opéra de Lyon il y a quelques années, c’est cette fois le Théâtre Royal de La Monnaie et La Dame de Pique de Tchaîkovky qui font les frais du travail dévastateur du pire garant du plus pur regietheater que l'on connaisse ! Car à l’instar de ses confrères Caurier et Leiser au Festpielhaus de Baden-Baden, en avril dernier, le metteur en scène hongrois fait fi de la musique de Piotr Illitch Tchaïkovki et du livret de son frère Modest, offrant un contre-sens complet à l’une et à l’autre. Ici, tout n’est que laideur et désolation, et c’est dans – et en contre-bas – des coursives d’un immeuble délabré de l’ex-Union Soviétique qu’il transpose le plus gros de l’action (photo). Tout évoque la misère ici, des costumes d’une rare disgrâce jusqu’aux éclairages blafards et tristes, en totale opposition et contradiction avec la rutilance de la musique autant que l’apparat tout aristocratique de nombre de tableaux ! Et pour enfoncer le clou, il s’autorise à triturer la partition, rajoutant des scènes (comiques) totalement exogènes à l’ouvrage, pour meubler entre les différents actes, en plus de nous infliger dès l’ouverture la présence d’un pianiste trônant au milieu du plateau (un double de Tchaïkovski ?) qui interprétera lui aussi des morceaux totalement étrangers à la partition. Passons.
Car pour faire barrage à tant de laideur et de prétention mêlées, la cheffe française Nathalie Stutzmann fait des miracles à la tête d’un luxuriant Orchestre symphonique de La Monnaie, confirmant – après son brillant Tannhaüser à l’Opéra de Monte-Carlo – que sa reconversion de chanteuse en cheffe d’orchestre est plus que réussie ! Et l’ouvrage récupère, grâce à elle, son véritable format : un souffle énorme dans les passages dramatiques, qui ne trouvent jamais les cordes ou les cuivres graves de la phalange belge à court de ressources. Mais aussi, dans la scène de la mort de la Comtesse, des subtilités chambristes, et la mise en valeur d’une modernité d’écriture annonçant déjà les futures expérimentations stravinskiennes. En bref, un éclatant démenti et soufflet aux paresse et laideur de la partie visuelle !
Côté plateau, le ténor russe Dmitry Golovnin prête à Hermann un aigu sonore et bien projeté, même si en début de soirée le timbre sonne parfois de manière un peu ingrate, avant qu’il ne s’arrondisse et se polisse ensuite. La performance séduit et convainc, même s’il ne nous fera pas oublier Gegam Grigorian (père d’Hasmik) ou Vladimir Galouzine, entendus dans ce même rôle. Déjà entendue en Lisa à la Halle aux grains de Toulouse en 2019, la soprano russe Anna Nechaeva possède une puissance appréciable, sans que cela nuise à la souplesse et à la variété des couleurs. Egal à lui-même, le baryton sud-africain Jacques Imbrailo offre à Yeletsky toute la noblesse et l’élégance dont on le sait coutumier, tandis que Laurent Naouri claironne avec beaucoup de vaillance son personnage de Tomsky, auquel il apporte une joyeuseté inaccoutumée. La grande mezzo suédoise Anne Sofie von Otter (la Comtesse), malgré les outrages du temps sur la voix (et les charentaises dont elle se voit affublée), n’en délivre pas moins un air de Grétry « Je crains de lui parler la nuit » qui capte toute l’attention, et serre les gorges. Moins âgée pourtant, la mezzo hollandaise Charlotte Hellekant (Pauline) fait entendre des duretés dans le timbre et un vibrato par trop présent. Enfin, notons, comme c’est toujours le cas à La Monnaie, d’excellents comprimari (notamment le Surin de Mischa Schelomianski et le Chaplitski de Maxime Melnik) et l’impeccable prestation des chœurs !
La Dame de pique de Piotr Illitch Tchaïkovski au Théâtre Royal de La Monnaie de Bruxelles – du 11 au 29 septembre 2022
Crédit photographique © Bernd Uhlig
13 septembre 2022 | Imprimer
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