Aux côtés de deux ouvrages proposés en version de concert de Beatrice di Tenda de Bellini (nous y étions) et de La Scuola dei gelosi de Salieri (nous y reviendrons), deux opéras sont donnés en version scénique au 48ème Festival della Valle d’Itria : Le Joueur de Prokoviev dans sa version originale française et Il Xerse de Francesco Cavalli, dans une nouvelle édition critique. Rappelons que l’ouvrage fut créé à Venise en 1755, et qu'il est surtout resté célèbre après avoir été retenu pour servir d'entertainment juste après le mariage de Louis XIV avec l’Infante d’Espagne (en 1660, dans la colonnade du Louvre), mais dans une version en cinq actes augmentée par de nombreux ballets signés de la main de son compatriote Jean-Baptiste Lully.
Et reconnaissons d’emblée que les mérites de la partition du maître vénitien ne sont pas minces, soutenue par un livret de Nicolo Minasi qui s’avère également excellent. Il s’agit d’un sujet historique où, face aux sujets de fiction pure, les livrets fondés sur l’histoire commencent à acquérir un nouveau statut dans l’opéra. C’est le livret qu’utilisera Haendel (en 1738) pour son fameux Serse, et les deux œuvres commencent d’ailleurs par la non moins célèbre aria « Ombra mai fu », scène un peu mystérieuse du platane dont Xerxès, le roi de Perse qui s’apprête à aller détruire Athènes, est amoureux. La musique est typique de la dernière période de la vie de Cavalli... qui n'écrira pas moins de 33 opéras en 34 ans ! Même si les récitatifs sont longs et omniprésents, l’évolution vers le belcanto y est manifeste. Face aux personnages sérieux, dont chacun a au moins un lamento, les personnages comiques sont excellemment caractérisés. L’esprit de la comédie domine, mais aussi avec des moments de pure émotion, destinés à faire couler les larmes comme Adalenta au deuxième acte, qui aime Arsamene, mais qui lui préfère Romilda (courtisée également par Xerse, qui finalement se rabattra sur Amastre !), et qui ne participera donc pas à l’heureux dénouement final, dans lequel chacun retrouve sa chacune.
Dans le cadre du joli mais exigu Teatro Verdi (400 places), construit en 1932 et servant à la fois de théâtre et de salle de cinéma pour la ville de Martina Franca, la mise en scène confiée à Leo Muscato (originaire de la cité apulienne) vise à l’essentiel, avec des moyens plutôt spartiates. L’unique décor montre dix portes d’inspiration orientale surmontées de moucharabieh (dessinées par Andrea Belli), et comme seuls autres accessoires – durant les trois heures que dure la représentation – des lanternes tombant des cintres, que les protagonistes s’amuseront à balancer, pour un bel effet visuel (et un peu de gymnastique... pour ne pas être percutés !). On peut cependant regretter qu’il n’ait retenu que le coté farce de ce « dramma per musica », avec des costumes et coiffures très colorées et délirantes pour la plupart des protagonistes (conçus par Giovanna Fiorentini), et que la seule véritable idée de son travail repose sur le fait de faire claquer des mains les chanteurs dès qu’ils ont une tirade à déclamer en aparté (ici extrêmement nombreuses) : ce geste fige les autres personnages dans le temps, qui reprennent vie à la fin de l'aparté avec un nouveau claquement des mains : un procédé qui est utilisé ici à l’envi et qui s’avère aussi parfaitement anti-musical que totalement agaçant !
Un mois après son excellent Tolomeo dans Giulio Cesare à Montpellier, le contre-ténor italien Carlo Vistoli enchante à nouveau dans le rôle-titre, avec son superbe timbre et sa riche émission, soutenus par une remarquable maîtrise du souffle. Il émeut par ailleurs fortement dans son air de déploration, au III, « Lasciatemi morir, stelle spietate ». Bonheur également de retrouver sa compatriote alto Gaia Petrone, déjà plébiscitée in loco il y a trois ans dans Margherita d’Anjou de Meyerbeer, qui offre au rôle travesti d’Arsamene ses magnifiques graves, et sa musicalité sans faille, en même temps qu’un jeu très convaincant. De son côté, la soprano Carolina Lippo chante une Romilda aux aigus pleins et faciles, avec une vraie aisance dans les vocalises ornées de sa partie. La chanteuse kosovar Dioklea Hoxha retient également l’attention dans le rôle d’Adelanta, à qui sont confiés les airs les plus languissants de la partition : avec son soprano sombre et corsé, elle possède une réelle capacité à émouvoir l’auditoire, du moins après avoir joué son rôle de manipulatrice démoniaque avec des arie di furore dans lesquels elle brille tout autant. La tendre Arsamene est confiée à la soprano russo-autrichienne Ekaterina Protsenko, au timbre frais et fruité, parfait pour le rôle. Et si Carlo Allemano (Ariodate) fait entendre désormais une voix un peu fatiguée, rien de tel avec les pétulants Nicolo Donini (Aristone), Nicolo Balducci (Periarco) et Aco Biscevic (Elviro), distribués dans les rôles comiques du livret.
Enfin, last but not least, à la tête de son ensemble baroque Modo Antiquo (fondé en 1987), le chef italien Federico Maria Sardelli sait insuffler à la parole faite musique tous les reliefs d’un lyrisme envoûtant.
Il Xerse de Francesco Cavalli au 48ème Festival internazionale della Valle d’Itria, jusqu’au 31 juillet 2022
Crédit photographique © Clarissa Lapolla
30 juillet 2022 | Imprimer
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