Un Don Giovanni entre distanciations et vidéos au Festival de Macerata

Xl_don_giovanni_macerata-opera-festival-2020_davide-livermore © Tabocchini Zanconi

Alors que la France a annulé tous ses festivals lyriques (hormis quelques rares cas, à l’instar de l’Opéra des Landes où nous avons vu un Elixir d’amour très réussi), l’Italie a maintenu la plupart des siens : Vérone, Martina Franca, Ravenne, Torre del Lago, Pesaro… mais aussi le très attachant Festival de Macerata (où nous avons pris nos habitudes, entre Macbeth et Rigoletto l’an passé, ou Aïda et Turandot il y a trois ans). Bien sûr, la crise sanitaire a néanmoins eu une forte influence sur la programmation : exit la Tosca prévue pour deux dates, Le Trouvère se voit lui amputé d’une des trois représentations initialement prévues, et se trouve réduit à un simple format concertant ; seul le Don Giovanni auquel nous avons assisté conserve non seulement ses cinq dates, mais surtout la mise en scène de Davide Livermore, étrennée l’été dernier aux Chorégies d’Orange.


Don Giovanni (Festival d'Opéra de Macerata 2020) (c) Tabocchini Zanconi


Don Giovanni (Festival d'Opéra de Macerata 2020) (c) Tabocchini Zanconi

Entre temps, les choses ont changé et quelques ajustements ont été nécessaires pour respecter la fameuse distanciation sociale, parmi les spectateurs bien sûr, mais aussi sur scène. La chance de Macerata, c’est qu’avec son mur sans fin (le fameux Sferisterio), elle offre à la fois un écran idéal pour recevoir les vidéos conçues par le Labo D-Wok (ces photos trash de femmes violentées pendant l’air du catalogue…), mais permet surtout des déplacements et des distanciations sûrs. À cet égard, le metteur en scène a substitué au couteau utilisé à Orange (pour trucider le Commandeur) un revolver, ce qui évite un corps-à-corps devenu chose prohibée à l’ère de la Covid-19 (tout du moins sur un plateau de théâtre), et la scène est visuellement amplifiée par sa projection vidéo sur le mur. La même scène sera réitérée en toute fin de soirée, mais c'est cette fois Don Giovanni qui ne se relèvera pas, tandis que Donna Elvira circonscrit le corps de son ancien amant avec des piquets et des bandelettes jaunes comme sur une scène de crime. Entre les deux actions, on aura beaucoup ri, notamment grâce à ce Leporello chauffeur de taxi dont la voiture ne sert pas qu’à transporter son maître, mais surtout de lupanar quand il s’agit pour Don Giovanni de lutiner l’une de ses conquêtes. Peut-être Livermore aurait-il pu nous éviter le coup du Commandeur mafieux sortant d’une grosse berline, entouré de gardes du corps aux lunettes noires fixées sur le nez (on a déjà vu ça ailleurs...), mais le spectacle fonctionne très bien, et la soirée file d’autant plus agréablement que le plateau laisse entendre un Mozart des plus lumineux.


Don Giovanni (Festival d'Opéra de Macerata 2020) (c) Tabocchini Zanconi

La distribution est dominée par l’exceptionnel Don Giovanni du baryton italien Mattia Olivieri – déjà particulièrement remarqué en janvier dernier dans le Roméo et Juliette scaligère (rôle de Mercutio). Sa voix sombre, superbement timbrée et parfaitement placée, se double d’une musicalité jamais prise en défaut, d’une articulation souveraine, et surtout d’une formidable aisance scénique : sa sensualité toute animale et son énergie virile le rendent absolument irrésistible dans le rôle-titre. Dans celui de Leporello, son compatriote Tommaso Barea évolue lui aussi sur les sommets, ses qualités de phrasé égalant son incroyable verve dramatique, toute de vivacité et de truculence mêlées. Même satisfecit pour l’Ottavio de Giovanni Sala, déjà chaudement applaudi  in loco l’été passé dans la production du Macbeth précitée (rôle de Macduff). La voix est inhabituellement chaude et corsée pour ce personnage, aux accents aussi ardents que dans les rôles verdiens qu’il chante avec talent sur les plus grandes scènes internationales, mais avec un style ici parfaitement surveillé. Antonio Di Matteo possède à la fois la profondeur de grave exigée, autant que l’ampleur requise par Le Commandeur, tandis que Davide Giangregorio, déjà entendu dans le rôle de Masetto au Théâtre de Bâle en 2017, renouvelle notre enthousiasme avec un chant à la fois solide et viril.
Côté dames, la mexicaine Karen Gardeazabal est un nom à retenir, et elle surmonte avec aisance les écueils de Donna Anna grâce à un instrument sain et homogène, fluide et ample, dont la lumière va en s’intensifiant. Sa consœur italienne Valentina Mastrangelo dispose elle aussi de beaux moyens, et s’engage avec beaucoup d’élan dans le personnage de Donna Elvira. Enfin, la voix de la jeune Lavinia Bini, toute en fraîcheur, est aussi séduisante de timbre que sûre de ligne.

Nous montrerons moins d’enthousiasme vis-à-vis de la direction musicale de Francesco Lanzillotta, placé à la tête du pourtant très bien sonnant Orchestre Philharmonique des Marches. Certes le chef italien donne une lecture élégante dans la plus stricte tradition du chef d’œuvre de Mozart, mais presque toujours sage, avec des tempi pas assez contrastés à notre goût, et surtout une palette de nuances resserrée. On aurait aimé ici plus de flamme, de rage ou de poésie, là davantage de tendresse, de larmes ou de rires. À sa décharge, reconnaissons qu’il a dû être déstabilisant pour lui de perdre quatre violons sur les quatorze prévus à cause des distanciations imposées aux musiciens dans la fosse…

Emmanuel Andrieu

Don Giovanni de W. A. Mozart au Festival de Macerata, jusqu’au 8 août 2020

Crédit photographique © Tabocchini Zanconi

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