Sublime de part en part ! Ce Parsifal donné au BOZAR dans le cadre de la saison du Théâtre Royal de La Monnaie restera dans les annales de la maison bruxelloise, grâce à un orchestre glorieux et des solistes investis dans leur rôle. Une production menée au sommet par un Alain Altinoglu qui semble extasié devant le Grand Œuvre de Richard Wagner, après avoir pleinement convaincu, dans cette même ville, avec ses directions de Lohengrin en 2018, puis de Tristan und Isolde la saison d'après. Mais cette fois, c’est dans un simple format concertant que l’ouvrage wagnérien est donné, sans la « scène » (bühne) pourtant voulue expressément par le génie de Bayreuth pour son « Festival scénique sacré » (Bühnenweihfestpiele). Et cependant, en cette matinée du samedi 21 mai, la musique et le chant sont tellement bien servis par les artistes que ces derniers parviennent à recréer l’illusion du théâtre, au point d’en suggérer les lieux et les accessoires. Et de toute façon, l’aspect cérémoniel de Parsifal en fait un opéra qui s’accommode du concert, car il parle à l’imagination de tous, sans recours aux images.
Ceux, donc, qui ont eu la chance d’assister à l’une des trois représentations, dans la magnifique Salle Henry le Bœuf du Palais des Beaux-Arts (dit BOZAR), ne sont pas près de l’oublier. D’abord en raison de la qualité des voix, et de l’équilibre entre les couleurs et les timbres des solistes choisis par Peter de Caluwe. Mais avant de les détailler, il convient de rendre hommage au Chœur du Théâtre Royal de La Monnaie, à la fois irréprochable et bouleversant, d’une qualité qu’on n’entend que rarement, même à Bayreuth ! Quant à la phalange maison, elle possède une vieille tradition wagnérienne, et cela s’entend, suivant par ailleurs le chef dans son habituel enthousiasme : l’acte de Klingsor se révèle ainsi comme une tapisserie de haute lisse, piquée des diamants des Filles-Fleurs.
Du côté des personnages principaux, le ténor britannique Julian Hubbard traverse le rôle-titre avec une certaine aisance, doublée d'élégance ; son chant solaire est à la fois puissant et raffiné, même s’il ne parvient pas toujours à soutenir les décibels émis par l’orchestre ou sa partenaire féminine (Kundry). Le passage de l’insouciance du I au savoir plein de compassion au III est parfaitement assumé, d’autant que l’acteur possède un physique idéal pour incarner le « chaste fol ». Déjà entendue à Bayreuth dans ce même rôle de Kundry, la soprano russe Elena Pankratova dessine à nouveau un portrait d’une magnifique complexité psychologique, grâce à sa voix chaude, aux nuances flamboyantes, et aux aigus fulgurants. De son côté, la grande basse allemande Franz-Josef Selig est égale à elle-même en Gurnemanz (nous l’y avions entendue au Teatro Real de Madrid en 2016) : ses monologues sont phrasés avec une ampleur veloutée qui ne cesse de nous impressionner, et la diction, incroyablement nette, donne à ces longs moments d’introspection narrative une emphase qui ne vire jamais à la grandiloquence. Le baryton belge Werner van Mechelen convainc pleinement en Amfortas, par la souplesse et la clarté de l’émission, autant que pour sa projection d’un bel éclat, y compris dans les passages les plus tendus de son plaidoyer du III. Le baryton-basse chinois Shenyang apporte à Klingsor un timbre d’une noirceur idéalement adaptée, tandis que la basse russe Konstantin Gorny confère également à Titurel la dimension d’un autre monde. Enfin, sans toutes les nommer, saluons également les voix magiques des fameuses Filles-Fleurs.
Au bout des cinq heures que dure le spectacle, des acclamations triomphales viennent très légitimement couronner cette dernière représentation !
Parsifal de Richard Wagner au BOZAR de Bruxelles (Salle Henry le Bœuf), le 21 mai 2022
Crédit photographique © Simon van Rompay
22 mai 2022 | Imprimer
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