Don Giovanni en 1787 est l'un des trois opéras que Mozart signe avec son librettiste de prédilection, Lorenzo Da Ponte, avec les Noces de Figaro et Così fan tutte. L’œuvre suit les pérégrinations du héros éponyme (ou plutôt le anti-héros), alors qu'il enchaine les conquêtes aisées de milliers d’amantes. Bien qu’il se fasse de nombreux ennemis dans le processus, les dames avec lesquelles il a fauté sont généralement enclines à revenir vers leur amant pour essayer de le sauver, mais à la fin, il semble immanquablement responsable de sa propre chute. Et lorsque le spectre du Commandeur qu’il vient d’assassiner l'invite à se repentir, Don Giovanni choisit plutôt de poursuivre la vie qu'il a toujours menée et se condamne ainsi à l'enfer.
Don Giovanni est une œuvre qu’on transpose aisément à différentes époques ou régions, dès lors que les hiérarchies sociales qui prévalent dans l’opéra sont respectées. La production du directeur de l’Opéra Royal Kasper Holten, qu’on a vue pour la première fois l’année dernière et qui est maintenant revisitée par Amy Lane, évolue de façon subtile. Les costumes d’Anja Vang Kragh soulignent les statuts des personnages : souvent, le Don domine la scène et chante devant son serviteur Leporello en contrebas, alors que les simples chaises de la noce des humbles Zerlina et Masetto contrastent avec le faste de la demeure de l’arrière-plan.
L’approche discrète de cette problématique clef apparait symptomatique d’une production qui, bien qu’incontestablement intelligente dans le sens où elle pénètre la psychologie du drame, échoue à restituer la dimension comique de ce récit du séduisant Don.
Le décor d’Es Devlin s’appuie sur une maison composée de cubes empilés sur deux niveaux et liés par plusieurs escaliers. S’y ajoutent les projections vidéo de Luke Hall, apparaissant sans cesse au cours du spectacle et jouant un rôle important dans la narration de l’histoire. Quand le Commandeur est tué, du sang ruisselle et se répand sur le décor, toutes les anciennes amantes de Don Giovanni sont pareillement esquissées sur les murs durant l’Ouverture puis pendant le bien nommé « Air du Catalogue », alors que les noms de ses différentes conquêtes, comme Donna Elvira, s’affichent sur les portes comme pour suggérer que toutes sont destinées à se comporter comme elles le font.
Rien de tout ça n’est foncièrement inefficace, mais la taille du décor semble enliser les interprètes. Comme ils doivent concilier avec cette imposante infrastructure, leur aptitude à camper et défendre leur personnage est amoindrie. Une construction qui influence le dynamisme de l'ensemble et quand "Don Giovanni" (ici Leporello déguisé) est saisi par cinq de ses ennemis, ils peinent à le charger puisque trois d’entre eux ne peuvent rien faire de plus que de le regarder de haut, depuis le niveau supérieur.
Ce serait une erreur de voir Don Giovanni uniquement comme une comédie, faisant fi de ses nuances les plus profondes et les plus sinistres. Mais comme il n’y a rien d’attachant dans l’âme du Don, il doit néanmoins réussir à nous embarquer avec lui pour nous faire ressentir la fascination qu’il exerce et, plus simplement, réussir à nous divertir.
Même si le décor entrave leur efficacité, les interprètes sont solides. Christopher Maltman aurait sans doute mérité d’être une « présence » plus calme et plus intrigante, notamment lorsqu’il apparait dans plusieurs incarnations du rôle-titre, silencieusement, dans les rêves des principaux personnages féminins. Dès lors qu’il doit endosser un personnage cohérent, ce jeu influence son rôle de séduisant tentateur insatiable, mais Maltman fait montre d’un engagement sans faille et son excellente voix de baryton est particulièrement adaptée à sa partition.
Alex Esposito and Nahuel di Pierro sont excellents dans les rôles de Leporello et Masetto, alors que la profonde voix de basse d’Erik Halfvarson laisse une impression qui dépasse amplement l’envergure du rôle du Commandeur. Rolando Villazón, prêtant ses traits à Don Ottavio, fait montre d’un superbe jeu d’acteur alors qu’il tente d’incarner un solide honnête homme protecteur, quand bien même il se révèle le plus souvent inefficace. Sa voix est peut-être en-deçà, mais sa performance dans l’air de l’acte II « Il moi tesoro » reste tout à fait convaincante.
Albina Shagimuratova et Dorothea Röschmann sont pleinement dans leur rôle respectivement de Donna Anna et Donna Elvira. La soprano russe Julia Lezhneva fait également des débuts remarqués au Royal Opera dans le rôle de Zerlina, avec une voix montrant une vraie sensibilité et une pleine clarté alors qu’elle essaie désespérément de ne pas succomber au Don aussi aisément qu’elle le fait.
C’est une soirée où les standards musicaux éclipsent tout le reste, et plus encore sous la direction d’Alain Altinoglu. Ce sont là ses débuts à la Royal Opera House, et bien que cette jeunesse avec l’orchestre se ressente en certaines occasions, elle est à chaque mesure digne de louanges.
traduction libre de la chronique de Sam Smith
Don Giovanni | du 12 juin au 3 juillet 2015 | Royal Opera House, Covent Garden
14 juin 2015 | Imprimer
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