Armide de Lully à l’Opéra-Comique, dans une douce danse des heurts

Xl_16_armide_dr_s._brion © Stefan Brion

Après Armide de Gluck par Lilo Baur, l’Opéra-Comique présente Armide de Lully (sur le même livret) par Lilo Baur. La première production ne nous ayant pas enchantés en novembre 2022, nous n’étions à vrai dire pas particulièrement impatients de découvrir la deuxième œuvre, avec les mêmes décors et peu ou prou la même équipe artisitque.

Et pourtant, le charme opère ici, dans un spectacle qui invite à ralentir, à trouver son chemin par la danse, de la même façon que le destin musical de Lully est inextricablement lié à la discipline chorégraphique. La metteuse en scène impose un univers du réel volontairement statique (quasiment en deux dimensions), dans lequel Armide se sent à l’étroit et s’ennuie, entre des rideaux qui compartimentent l’espace, jusqu’à l’arrivée du fameux arbre (vu il y a un an et demi) au milieu d’une plaine superbement éclairée (Laurent Castaingt), où le mouvement révèle les sortilèges de la princesse sous son désir le plus vrai, le plus intime aussi. Ces danses de la dernière chance, plus lentes que la façon impulsive dont Armide se déplace entre ses suivantes et ses sujets, trahissent leur irréalité, leur impossibilité à accomplir les volontés d’une femme perdue par son amour pour Renaud. Cláudia de Serpa Soares règle ainsi une expressivité des corps, soit en un amas rampant, soit en une synchronisation de petits riens gestuels, qui, alliés avec le placement dans l’espace, font d’Armide une ode désespérée à l’attente et à l’espoir, pour cette tragédie en musique – la dernière de Lully – appréciée à Paris en 1686, et ghostée par Louis XIV…


Ambroisine Bré et Anas Séguin - Armide - Opéra-Comique (2024)

Le Chœur de chambre Les éléments y met autant du sien que les excellents danseurs (Emilio Urbina, Fabien Almakiewicz, Mai Ishiwata, Nicolas Diguet, Panagiota Kallimani, Rafael Pardillo). Bien que les sopranos manquent d’unité et de rigueur dans les passages où elles sont sous le feu des projecteurs musicaux, la pâte vocale des tutti est tout bonnement stupéfiante, comme un pupitre à part entière des Talens Lyriques, gainant les flux orchestraux. Christophe Rousset dirige son ensemble en gardant l’air nécessaire entre les notes, pour assimiler le mouvement du plateau et garantir les zones d’ombre (entre les lignes) des personnages. Aigus et graves restent à niveau équivalent et parallèle, aux aguets des transformations des mondes réel et magique qui cohabitent sur scène. La musique prend du galon grâce à sa capacité à être dansée plutôt que jouée, et atteint une transe extatique dans la méga-passacaille de l’acte V, passage éminemment attendu mais qui ne constitue pas le bout du chemin pour Christophe Rousset, attentif dès le début à la ductilité et aux métamorphoses que son orchestre lui rendent si bien.

Est-il si compliqué de distribuer une Armide francophone qui se fasse comprendre dans notre langue ? Ambroisine Bré ne fait donc pas partie des rares élues (à l’instar de Stéphanie d’Oustrac, l’année dernière à l’Opéra de Dijon), et même si son engagement musical reste palpable, voire haletant, dans un kaléidoscope de nuances et de textures, son taux de tolérance de la justesse au quart de ton ne peut satisfaire. Étonnante approche, également, de Cyrille Dubois, désagréablement hurleur dans les forte, en subtil pas de chat en-deçà du mezzo-piano. Nous sentons presque la voix affaiblie dans son legato stellaire, mais en pleine phase avec l’émotion friable de Renaud. Edwin Crossley-Mercer prête son timbre profond et son soutien sans faille à Hidraot, Anas Seguin incarne Haine avec une projection salutaire et un charisme indéniable. Florie Valiquette et Apolline Raï-Westphal forment un excellent duo Gloire-Sagesse, et savent montrer ensuite leur individualité avec une maîtrise constante. Il en est de même pour le végétal et poétique Enguerrand de Hys, ainsi que pour l’opulent et mordoré Lysandre Châlon, qui servent le chant sous la meilleure étoile. Le ténor Abel Zamora, à l’Académie de l’Opéra-Comique, vient quant à lui diffuser une lumière d’été à chacune de ses phrases luxuriantes, et vient ancrer l’excellence des seconds rôles.

Thibault Vicq
(Paris, 19 juin 2024)

Armide, de Jean-Baptiste Lully, à l’Opéra-Comique (Paris 2e) jusqu’au 25 juin 2024

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