Giampaolo Bisanti dirige une Traviata grand format à l’Opéra Royal de Wallonie-Liège

Xl_ensemble__c__j_berger_-_orw-lie_ge__2_ © J Berger - Opéra Raoyl de Wallonie-Liège

Une ouverture de saison s’accompagne de son lot de grand spectacle pour annoncer les productions à venir. La récente nomination de l‘Opéra Royal de Wallonie-Liège dans la catégorie « Meilleure compagnie lyrique » aux International Opera Awards 2024 arrive à point nommé, au moment où La Traviata effectue ses levers de rideau à Liège, avec un budget conséquent de décors et de costumes.

L’univers pailleté de Thaddeus Strassberger cherche à en mettre plein les yeux, comme son Aïda cet été au Festival de St Margarethen. Les frasques de Violetta, meneuse de revue, se situent entièrement dans un théâtre à l’italienne, où brillent les tenues extravagantes de danseurs, où s’amoncellent les accessoires et les témoignages d’une usine à rêves… parfois jusqu’au kitsch excessif. Le mauvais goût du premier acte – pourquoi autant de lumière rose saturée et de vulgarité ? D’autant qu’on n’y croit pas un seul instant – noie parfois les personnages dans un tsunami qui empêche de les identifier visuellement. Toujours plus : des éléments descendent des cintres, et l’agonie finale de Violetta se déroule au milieu d’un entrepôt avec tout ce qui a servi à ses précédents spectacles. Thaddeus Strassberger cherche à transcrire la violence d’une vie sans show, en contraste avec le bouillonnement de la scène. Ce n’est pas un hasard si la vie à la campagne de Violetta et Alfredo, dans la première moitié du II, revêt tous les artifices de l’art dramatique. Dans un intérieur minutieusement meublé et devant une toile représentant un pavillon de famille idéale – un inventaire d’objets que des huissiers enlèveront un à un, pour la transition directe avec le bal de Flora –, Violetta continue peut-être à jouer, et Alfredo participe sans doute au spectacle sans même le savoir. Ce qui doit les éloigner n’est pas forcément la réputation de la sœur d’Alfredo, mais leur perception divergente du moment présent – un « réel » de vie pour Alfredo, un « réel » de scène pour Violetta. Cet acte est donc le plus réussi, car les deux autres se contentent de mettre l’histoire en images, sans réellement creuser l’affect, d’où une sensation de satiété relative à l’issue du spectacle.


La Traviata - Opéra Royal de Wallonie-Liège (2024) (c) J Berger - Opéra Royal de Wallonie-Liège

Le rôle-signature de Violetta semble un lointain souvenir pour Irina Lungu. L’émission capiteuse et le timbre friable l’éloignent rapidement des subtilités du rôle. Dès que les pianissimos retentissent dans la voix, le vibrato ralentit dangereusement. Si elle semble d’abord vouloir s’économiser dans l’acte I, son « Sempre libera » doloriste la dessert fissa. L’acte II lui est un peu moins fatal, même si elle continue à ignorer les flux vocaux de ses collègues. La vie rangée et la vie de star lui inspirent le même monolithisme ou les mêmes décibels. C’est en revenant à une projection plus frugale dans « Addio del passato » que la soprano parvient à faire passer davantage d’émotion, mais elle réplique sans relâche le filon, au même titre que ses nuances en soufflets. Pour un rôle qu’elle connaît aussi bien, la déception est de mise.

Le Germont de Simone Piazzola ne réserve guère plus de réjouissances, par sa raideur sinistre et spectrale, refusant les interactions musicales, et ne pensant qu’à travers lui-même. Dans le grand duo avec Violetta, les lignes s’effleurent et ne se mélangent jamais. Ses graves falots n’élèvent nullement le personnage vers l’affirmation. Le baryton chante de ce fait un martyr en rédemption consommée, un père unidirectionnel qui a perdu tout contact avec le monde. On se tournera plutôt vers Dmitry Korchak (à peine sorti de Bianca e Falliero au Rossini Opera Festival de Pesaro) pour entendre une véritable proposition. Si son Alfredo aventureux ne commence en réalité à s’épanouir qu’après un premier duo embarrassé avec Violetta, il restera extatique et fluorescent jusqu’au bout, brûlant la terre et l’air dans un chemin mélodique organique de cristal soyeux. Car le ténor croit à ce qu’il interprète, et fait croire à Alfredo le monde de faux-semblants que lui transmet Violetta. On notera par ailleurs le vicomte Gastone très solide de Francesco Pittari, et surtout le baron Douphol impeccable et plein de Pierre Doyen. Le Chœur de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège est en dents de scie ce soir, alternant décalages (avance ou retard) et prise en main collective d’une couleur unique, au fond du son.


La Traviata - Opéra Royal de Wallonie-Liège (2024) (c) J Berger - Opéra Royal de Wallonie-Liège

L’attraction principale de la représentation reste cependant la partie instrumentale et la direction intranquille de Giampaolo Bisanti. Le Prélude de l’acte I, en sublime langueur horizontale, montre que the show must go on, que rien ne peut arrêter le spectacle d’avoir lieu. Des forces magnétiques contraires entrent alors dans l’arène, des tempos insaisissables se chevauchent, alors même que les poum-poum des temps faibles résonnent crânement : la cohabitation de la scène effusive et du cœur indécis ne cessent d’étonner, pour laisser derrière elle une écume fluide que le chef italien sculpte avec ardeur. L’Orchestre de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège enivre jusque dans les extrêmes de l’écriture verdienne, c’est-à-dire dans ce qu’elle peut avoir de plus « industriel », lyrique, doux ou « divertissant ». Giampaolo Bisanti garde un œil sur les graves sourds et la primauté de l’accompagnement, pour révéler le fond de la partition par ce qu’on imagine secondaire. Encore une nouvelle saison qui s’annonce excitante pour le directeur musical de l’institution liégeoise !

Thibault Vicq
(Liège, 13 septembre 2024)

La Traviata, de Giuseppe Verdi, à l’Opéra Royal de Wallonie-Liège jusqu’au 24 septembre 2024

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