Orphée aux Enfers sur un rythme trépidant à l’Opéra national du Capitole

Xl__mir1114-migliorato-nr © Mirco Magliocca

Et si c’était d’Offenbach dont nous avions tous besoin ? Pour garder intacte la liberté d’expression à travers la satire, pour montrer du théâtre exigeant en interactions humaines, pour témoigner d’artisanat transformiste, pour revendiquer la nécessité de toutes les forces opératiques. La deuxième d’Orphée aux Enfers à l’Opéra national du Capitole (en coproduction avec l’Opéra de Lausanne, où le spectacle a été étrenné l’an dernier, et avec l’Opéra de Tours) s’ouvre d’ailleurs sur quelques mots de son directeur artistique Christophe Ghristi et d’un discours très juste de la représentante du personnel, en soutien au Chœur de l’Opéra de Toulon, dont le licenciement a été annoncé trois jours plus tôt, avant que ne retentisse, le « Va pensiero » de Nabucco interprété par l’orchestre et les chanteurs, devant une salle allumée. Orphée aux Enfers, premier opéra « grand format » (en plus d’un acte) d’Offenbach, requiert la somme de nombreuses disciplines évoluant main dans la main, un défi que la maison toulousaine relève plutôt positivement.

Commençons par nos réserves, alors. L’opérette et le bouffe doivent trouver leur rythme, et avant toute chose par la fosse. Or la cheffe Chloé Dufresne, pourtant aguerrie par une tournée du Voyage dans la Lune et par sa récente expérience dans La Fille de madame Angot à l’Opéra Nice Côte d’Azur, joue la carte de la tartinade et de l’étalement, dénuée de respiration entre les notes. Un cancan chez Bruckner, difficile à tenir sur la durée… Ce manque de légèreté est exacerbé par une routine de tempo et par une surreprésentation de certains pupitres (notamment aigus), qui entravent à la pâte instrumentale de se lever et à la forme de se déraidir. Les accélérations de tempo tombent ainsi pour la plupart à l’eau avec ce procédé industriel qui bride quelque peu l’Orchestre national du Capitole, pourtant aux moyens considérables. Le violon solo et les bois (entre autres) font des merveilles, et les cordes se liguent uniformément dans la longueur de son et dans la retenue d’articulation, en configuration symphonique, alors qu’ils auraient pu tout aussi bien, avec d’autres indications gestuelles, embrasser la pétillance.

Orphée aux Enfers - Opéra National du Capitole de Toulouse (2025) (c) Mirco Magliocca
Orphée aux Enfers - Opéra National du Capitole de Toulouse (2025) (c) Mirco Magliocca

Heureusement, les facéties scéniques d’Olivier Py éloignent cet Orphée aux Enfers de l’inertie. La scénographie et les costumes de Pierre-André Weitz concourent à un univers visuel dynamique, revêtu des lumières vigoureuses de Bertrand Killy. Et le mouvement « humain », mené tambour battant, devient continuité de cette amovibilité des décors et des tenues portées. Même lorsqu’un segment fonctionne à moitié, le suivant arrive bien vite pour y remédier. Le premier acte, sur Terre, où défilent des détails du Jardin des délices de Jérome Bosch, lance le bal assez mollement, puis l’acte sur l’Olympe commence à s’encanailler avec une utilisation complète de l’espace (horizontal et vertical), mais toujours assez sagement. Il faut attendre le post-entracte, aux Enfers, pour davantage de grivoiserie assumée et de gags qui aillent droit au but. Si les chorégraphies d’Ivo Bauchiero, quoique bien réalisées, ont dans leur conception un je-ne-sais-quoi qui statufie le rythme du plateau, le tourbillon de vitalité qui s’empare du reste de la scène ne peut laisser indifférent, d’autant que la direction d’acteurs est réglée au millimètre, dans des caractères extrêmement bien croqués.

L’infaillible Chœur de l’Opéra national du Capitole assure les assises, les arrières et les contours de la ligne vocale générale. Puis, chaque chanteur soliste écrit son histoire propre. Marie Perbost (Eurydice), la première, insuffle une prodigieuse énergie comique à ses passages parlés. Musicalement parlant, elle tient peut-être trop à garder cette vigueur prosodique (sans pour autant rester vraiment claire dans la diction et le placement), ce qui lui fait moins voir la phrase dans sa globalité. Les arrondis et vocalises se stabilisent dès l’hilarant air de la mouche, au III, moment où la soprano commence à aligner ses idées musicales et la technique associée. Cyrille Dubois abuse d’une projection conquérante, qui tend à forcer la voix, et d’un jeu hystérique pour dépeindre Orphée. Cette prestation fatigante est sauvée par celle de ses comparses : Mathias Vidal et son accomplissement du texte par un chant de l’exceptionnelle exactitude, Adriana Bignani Lesca et sa sculpture de matière dans un timbre poignant, Marc Scoffoni et sa robustesse tout-terrain dans une aura bouffe, Anaïs Constans et son carillon fédérateur de sociabilité, Julie Goussot et son soutien ininterrompu de la ligne pour une gourmandise sensuelle de l’émission. N’oublions pas Marie-Laure Garnier, Rodolphe Briand, Enguerrand De Hys ou Kamil Ben Hsaïn Lachiri, qui, chacun à sa manière, donne du sien pour élargir la perspective festive d’un spectacle entraînant.

Thibault Vicq
(Toulouse, 26 janvier 2025)

Orphée aux Enfers, de Jacques Offenbach, à l’Opéra national du Capitole (Toulouse) jusqu’au 2 février 2025

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