Du 3 au 22 juillet 2017 se tient l’édition 2017 du Festival International d’Art Lyrique d’Aix-en-Provence, l’un des plus anciens de France puisque son histoire débute en 1948. Toutefois, son ancienneté ne l’empêche pas de se montrer novateur (notamment dans ses mises en scène) et de créer cette année encore des productions qui seront ensuite reprises par plusieurs maisons d’opéras.
Des origines passionnées et modestes
A l’origine du festival se trouve un homme, Gabriel Dussurget, mélomane et amateur d’art souhaitant mettre à l’honneur l’art lyrique dans un festival.
Gabriel Dussurget, 1972 ; © DR
Malheureusement, il ne peut s’atteler seul à cette tâche, rêvant d’un projet de grande envergure, et c’est pourquoi il se tourne vers la comtesse Lily Pastré et surtout vers ses finances, elle qui est une grande amie des arts et qui n’avait pas hésité à s’entourer d’artistes juifs malgré le danger que cela impliquait.
Face à cette proposition, la comtesse se montre enthousiaste et propose, outre son aide financière, son château de Montredon pour accueillir le futur festival. Gabriel Dussurget est néanmoins loin de partager son enthousiasme vis-à-vis du lieu et de la ville de Marseille. Ils cherchent donc un autre endroit et c’est sur la ville d’Aix-en-Provence qu'il se porte. D’après Irène Aïtoff, cheffe de chant attachée au Festival dès 1950, Gabriel Dussurget aurait choisi l’endroit de la cour de l’Archevêché après avoir frappé dans ses mains et jugé l’acoustique excellente. L’endroit ayant été trouvé, il obtient le soutien financier du casino d’Aix en plus des finances qu’il a déjà, ce qui permet enfin le démarrage du festival.
Stich-Randall et Berganza dans Così fan tutte au Festival d'Aix ; © DR
La première édition se tient en juillet 1948 : des concerts et des récitals se succèdent non seulement dans la cour, mais également dans divers endroits de la ville. Toutefois, un opéra est également à l’affiche : il s’agit de Cosi fan tutte, œuvre alors bien moins connue qu’aujourd’hui puisque la dernière représentation française datait de 1926 à l’Opéra Comique. Loin des moyens actuels, ce sont avec ceux du bord que Gabriel Dussurget programme ce tout premier opéra : il fait lui-même travailler la distribution qu’il a réuni, engage un ami, Georges Wakhévitch, afin de créer le petit décor de fond de scène (bien qu’il s’agisse alors davantage d’une estrade tant il y avait peu de place), mais il parvient tout de même à obtenir la participation du chef Hans Rosbaud qui dirigera jusqu’en 1962.
Dès sa création, le festival s’affiche mozartien et se poursuit dans cette voie les années suivantes avec, notamment, Don Giovanni en 1949, la reprise de Cosi fan tutte en 1950, L’Enlèvement au sérail en 1951, Les Noces de Figaro en 1952, Idoménée en 1963, puis La Clémence de Titus en 1974. Dès 1949, le festival se métamorphose et un théâtre naît afin de remplacer ce qui servait de scène l’année précédente. Le festival ne peut cependant pas accueillir de grands ensembles à cause de ses dimensions encore restreintes.
Toutefois, si Mozart occupe une place importante, il n’est pas le seul compositeur programmé : Monteverdi, Rameau, Gluck, Cimarosa, Grétry, Haydn, Rossini ou encore Gounod le rejoignent, de même que des contemporains grâce à des commandes, comme celle passée à Arthur Honegger avec La Guirlande de Campra en 1952. En effet, Gabriel Dussurget espère bien faire du Festival d’Aix un lieu privilégié de création (que cela soit pour les compositeurs mais également pour les peintres, tels que André Derain, Balthus, André Masson, Jean-Denis Malclès ou encore Jean Cocteau). Il finit cependant par quitter la direction du festival en 1972, alors qu’un nouvel administrateur était arrivé au casino d’Aix-en-Provence, principal financeur du festival.
Les ères Lefort, Erlo et Lissner
Gabriel Dussurget est alors remplacé par Bernard Lefort qui opère un certain virage en entendant faire de ce rendez-vous estival celui du chant, le bel canto primant ainsi sur Mozart et ses compères.
Bernard Lefort ; © DR
Louis Erlo, 1982 ; © Henry Ely
Il faut dire que le bel canto est alors encore relativement peu connu du public, et deux productions majeures permettent au public de l’apprécier pleinement : Semiramide en 1980 avec Montserrat Caballé et Marilyn Horne, également présente pour Tancrède avec Katia Ricciarelli en 1981. Le chant étant à l’honneur, on organise également la remise de prix, la « cigale d’or », reçu notamment par Elisabeth Schwarzkopf, Gabriel Bacquier ou Teresa Berganza. En mai 1968, suite à la mise en lumière du caractère quelque peu élitiste du festival, Bernard Lefort tente de l’ouvrir au plus grand nombre en programment des œuvres plus légères et instaure des récitals de fin d’après-midi.
Louis Erlo prend ensuite les rênes du festival et développe alors le répertoire baroque et ramène Mozart sur le devant de la scène, l’ouvrant également à ses œuvres de jeunesse. Il propose également des chefs-d’œuvre du XXe siècle. Place est donnée aux jeunes chanteurs qui côtoient les plus grands noms, tandis que la scène évolue en 1985 afin d’être dotée de dimensions standards et de meilleures performances techniques, permettant par là-même d’accroître les possibilités de coproductions. La fin du mandat de Louis Erlo est toutefois marquée par d’importants problèmes financiers.
Lorsque Stéphane Lissner arrive en 1998, le Théâtre de l’Archevêché est entièrement rénové et la programmation (qui fait appel à de grands noms tels que Pina Bausch, Trisha Brown, Anne-Teresa de Keersmaeker, Patrice Chéreau ou encore Luc Bondy) débute par Don Giovanni, œuvre que nous retrouverons cette année dans une nouvelle production. Dès lors, le caractère créateur du festival s’amplifie, le nombre de commandes s’accroissant et le Théâtre du Jeu de Paume devient un second lieu de rendez-vous plus intimes prompt à accueillir certaines de ces créations. Toujours en 1998, Stéphane Lissner crée l’Académie Européenne de Musique, prolongement pédagogique du festival qui permet au public d’aller à la rencontre de jeunes artistes.
La poursuite de l’ouverture par Bernard Foccrouille
Depuis 2007, Bernard Foccroulle est à la tête du festival qu’il veut résolument dans l’ère du temps en faisant de la créativité un maître-mot de ses programmations, tant dans la commandes d’œuvres que dans l’interprétation des œuvres plus classiques qu’il veut faire résonner à l’époque moderne.
Bernard Foccroulle ; © DR
Il s’ouvre également à un travail d’ordre « expérimental », comme avec Le Monstre du labyrinthe de Jonathan Dove, un opéra participatif regroupant plusieurs centaines de chanteurs amateurs. Il fait parallèlement en sorte d’ouvrir le festival le plus possible à la jeunesse, créant par exemple un prélude au Festival de juillet, « Aix en juin », s'achevant avec un grand concert gratuit sur le Cours Mirabeau devant plus de 5000 spectateurs en 2013. Un travail assidu qui lui vaut de voir le Festival d'Aix-en-Provence nommé Meilleur Festival d'Opéra aux International Opera Awards à Londres en 2014. Il quittera toutefois ses fonctions à la fin de son mandat et Pierre Audi doit lui succéder en 2018 (lire notre article à ce sujet).
Le festival d'Aix-en-Provence 2017
Répétitions de Pinocchio - Festival d'Aix-en-Provence 2017 ;
© Festival d'Aix-en-Provence
Cette année porte finalement l’héritage de toutes ces directions avec tout d’abord la commande de Pinocchio, composé par Philippe Boesmans sur un livret de Joël Pommerat (également metteur en scène), mettant à l’honneur quelques noms déjà connus de tous tels que Stéphane Degout, Vincent le Texier ou encore Yann Beuron, mais parfois aussi issus de l’Académie, comme le premier que nous avons cité ou Marie-Eve Munger.
Par sa thématique, l’œuvre s’adresse à tous, n’oubliant pas sa dimension de conte. Par la présence de trois musiciens improvisateurs sur scène, elle s’ouvre à l’expérience. Par le problème de la paternité qu’elle pose, elle s’inscrit dans notre univers actuel.
Dans le cadre de son cycle Stravinski, le festival programme cette année The Rake’s progress, mis en scène par Simon McBurney. Si Daniel Harding s’est vu contraint d’annuler sa participation, pour être remplacé par le chef norvégien Eivind Gullberg Jensen, il n’en demeure pas moins que la production est l'une des plus attendues cette année. Elle fait par ailleurs écho par son thème à une autre œuvre programmée lors du festival, à savoir Don Giovanni, dirigé par le spécialiste mozartien Jérémie Rhorer et mis en scène par Jean-François Sivadier. Philippe Sly tiendra le rôle-titre aux côtés du Leporello de Nahuel di Pierro ou encore de la Zerlina de Julie Fuchs.
Répétitions de Carmen - Festival d'Aix-en-Provence 2017 ;
© Festival d'Aix-en-Provence
Un autre opéra qui pourrait être mis en écho avec The Rake’s progress de par la nationalité du compositeur est Eugène Onéguine donné en version de concert avec les solistes, le chœur ainsi que l’Orchestre du Bolchoï.
L’héritage de Louis Erlo se retrouve pour sa part dans le choix d’Erismena de Cavalli, une œuvre très rarement jouée qui devrait être une belle surprise non seulement par la direction de Leonardo García Alarcón, mais également par le choix de Francesca Aspromonte (autre ancienne artiste de l’Académie) dans le rôle-titre, elle qui a marqué les esprits en Euridice dans l’Orfeo de Rossi (donné à Nancy, Versailles, Caen et Bordeaux).
Enfin, classique parmi les classiques dont on ne se lasse pas, la Carmen de Bizet sera mise en scène par un autre russe, Dmitri Tcherniakov, qui nous donnera à voir ce personnage mythique à travers les yeux de Don José. La distribution en fait un des événements du festival, avec Stéphanie d’Oustrac dans le rôle-titre, un rôle qu’elle connaît fort bien après l’avoir déjà interprété à plusieurs reprises, comme à Glyndebourne en 2015. Elsa Dreisig sera pour sa part Micaëla, Michael Fabiano sera Don José, et les jeunes et talentueux Guillaume Andrieux et Mathias Vidal seront le Dancaïre et le Remendado.
Quant à l’accessibilité chère au festival, elle sera également présente comme depuis plusieurs années avec la retransmission à la télévision, sur Culturebox (où les productions resteront en ligne pour plusieurs mois) ainsi qu’à la radio de certains de ses spectacles : Carmen le 6 juillet, The Rake-s Progress le 7 juillet, Don Giovanni les 8 (pour la radio) et 10 juillet (pour internet et la télévision) Pinocchio le 9 juillet, et Erismena le 12 juillet, soit au final la totalité des productions mises en scène.
Plus d’informations sur le site officiel du Festival d’Aix-en-Provence.
Elodie Martinez
30 juin 2017
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