En 2009, la rénovation du château d’Hardelot, à Condette (Pas-de-Calais) laisse la voie libre à la création dans un lieu historiquement chargé de relations franco-britanniques depuis le début du XXe siècle. Le Midsummer Festival, initié lors de la réouverture, propose ainsi chaque année, au moment du solstice d’été, une parenthèse musicale baroque. Nos voisins d’outre-Manche s’apprêtant à quitter l’Union Européenne, il est temps de réaffirmer les bases d’un patrimoine culturel commun.
Le lieu peut s’appuyer sur Shakespeare et Ovide pour faire rayonner les charmes de la Côte d’Opale. Le château intègre son environnement naturel, à la manière d’un jardin à l’anglaise à grande échelle, dans la programmation de la manifestation annuelle, dont on fête donc en 2019 les dix ans sur trois week-ends, entre le 14 et le 29 juin. Les esprits espiègles de la forêt et la représentation d’une identité aux multiples expressions habiteront les dimanches du festival, à travers divertimenti dans les jardins, dialogues musicaux avec les oiseaux, balades et rencontres inopinées – musicales ou poétiques – au détour de la flore.
La valorisation écologique de la nature n’est certainement pas mise de côté. Le théâtre élisabéthain, ouvert en 2016, plonge les spectateurs dans un écrin acoustique – en épicéa, mélèze et chêne brut ciré – unique en France, permettant aussi l’éclairage à la lumière du jour et une ventilation non-artificielle. La salle accueille d’ailleurs la plupart des après-midi et soirées musicales. Marc Mauillon revisitera le mythe d’Orphée avec l’ensemble Les Timbres, Lucile Richardot évoquera Diane avec son Ensemble Tictactus et l’Ensemble Artifices. La mezzo sera aussi de Psyché, de Matthew Locke, présenté en version de concert en clôture de festival aux côtés de Sébastien Daucé et de son Ensemble Correspondances (ce qui augure du meilleur, après le fameux disque « Perpetual Night »), qui souhaitait rendre l’opéra national aussi brillant qu’à la cour de Louis XIV (Lully venait de composer son Psyché quatre ans plus tôt). La singularité du langage musical, entrecoupé de théâtre parlé, de récitatifs et de sonorités inattendues, promet une belle découverte, d’autant plus que la reconstitution de longue haleine par le chef s’est assortie d’un questionnement sur le statut de l’art lyrique et théâtral en Angleterre au XVIIe, dépassant le simple miroir de la tradition française.
Parmi les autres rendez-vous majeurs, la reprise de la touchante production Arcal de Didon et Énée, dans la mise en scène de Benoît Bénichou (que nous avions vue à l’Athénée en septembre), et qui réunira à nouveau Chantal Santon Jeffery, Yoann Dubruque, Daphné Touchais et Chloé de Backer, avec l’Ensemble Diderot, sous la direction au violon de Johannes Pramsohler. Le ténor Reinoud Van Mechelen se produira avec son ensemble A nocte temporis dans des cantates de Louis-Nicolas Clérambault, traduisant une force lyrique étonnante en un temps très court. Jakub Józef Orliński retrouvera aussi Il Pomo d’Oro dans le Stabat Mater de Vivaldi et dans des airs en italien d’Arcangello Corelli à Johann Adolph Hasse (comme dans son album « Anima Sacra »). Robert King, à la tête de The King’s Consort, fera goûter aux soirées musicales élisabéthaines du Globe Theatre de Shakespeare, aidé de la soprano Lorna Anderson. N’oublions pas l’ouverture en grande pompe – en feux d’artifice et musique royale – par Le Concert spirituel et Hervé Niquet. Haendel et Charpentier y feront éblouir l’espace sonore et scintiller les lumières. Enfin, François Lazarevitch et Les Musiciens de Saint-Julien interpréteront une transcription pour flûte et ensemble des Quatre Saisons et deux concertos pour flûte à bec de Vivaldi.
Les samedis, c’est Music and Cup of Tea à la Chapelle : un répertoire rare et des propositions décalées, tasse à la main ! Viole de gambe (Marianne Muller) et accordéon (Vincent Lhermet), Lucile Richardot, Andréas Linos et Christophe Coin répondront présents. Les Afters prolongeront le plaisir après les représentations, en métissant baroque, belcanto, jazz, comédie musicale et cabaret.
La proximité avec les artistes sert une politique de rencontre avec les publics locaux. Cette convivialité est renforcée par une tarification particulièrement solidaire, à 17€ maximum par spectacle (5€ pour les jeunes, demandeurs d’emploi et bénéficiaires des minima sociaux), et de 3 à 5€ pour les concerts Music and Cup of Tea, en plus des événements gratuits.
Brexit ou pas, le songe d’une nuit opale aux premiers rayons de l’été n’est en tout cas pas mort.
Thibault Vicq
10 avril 2019 | Imprimer
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