L’Opéra de Munich en 2019/2020, toujours de l’audace

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Les temps commencent à changer à l’Opéra de Bavière : certes, Nikolaus Bachler en reste le directeur jusqu’en 2021 ; certes, Kirill Petrenko conserve le titre de directeur musical, mais il se partagera dès la saison prochaine entre Munich et Berlin et commence à réduire ses activités à Munich dès la nouvelle saison. Ses adieux auront lieu fin juillet 2020 avec deux représentations des Maîtres-Chanteurs, qui couronneront sept années d’idylle avec son orchestre et son public, mais le grand moment de cette ultime phase aura lieu quelques semaines plus tôt : il dirigera début juin trois concerts très attendus, avec au programme la monumentale Huitième symphonie de Mahler.

Dans les mois qui précèdent, il reviendra à la Salome qui sera au programme du festival d’opéra qui va clôturer la saison en cours, mais il se consacrera surtout à deux nouvelles productions qui risquent fort de marquer les esprits. La première est La Ville morte de Korngold : en plus de l’effet Petrenko, elle marquera les débuts à Munich du metteur en scène Simon Stone, nouvelle coqueluche des scènes lyriques d’Europe, quelques semaines après sa nouvelle Traviata au Palais Garnier ; surtout, elle sera l’occasion des débuts de Jonas Kaufmann dans cette œuvre, aux côtés de Marlis Petersen. Mais Petrenko, ce n’est pas que le répertoire germanique ; la dernière œuvre qu’il abordera à Munich sera Falstaff, œuvre peu présente depuis des années à Munich ; moins que la production, signée Mateja Koležnik, novice à l’opéra, c’est la distribution qui retient l’attention. On peut s’attendre à ce que Wolfgang Koch dans le rôle titre soit moins bouffon que simplement humain ; chez les dames, Aleksandra Kurzak (Alice) donnera la réplique à deux membres de la troupe, Elsa Benoit et Okka von der Damerau, qui ont ces dernières années fait parler d’elles bien au-delà de Munich.

Ce Falstaff est, à vrai dire, la seule œuvre du grand répertoire à l’affiche des nouvelles productions de la saison prochaine. Il y a certes un Verdi, mais ce sont les Masnadieri : c’est le sage Johannes Erath qui mettra en scène les frères rivaux de Schiller, l’objet de leur amour n’étant autre que Diana Damrau. Il y a Mignon d’Ambroise Thomas, mais c’est la production annuelle des jeunes chanteurs du studio lyrique, dans l’écrin baroque du Cuvilliés-Theater. Mais qui se plaindrait que cette programmation sorte des sentiers battus ? Nikolaus Bachler semble avoir compris en cette fin de mandat que l’opéra avant Mozart avait aussi son public : la saison prochaine, ce sera au tour de Castor et Pollux de séduire le public de Munich, après des Indes Galantes remarquables quelques années plus tôt. Comme toujours pour le baroque à Munich, c’est Ivor Bolton qui dirige cette autre histoire de frères rivaux : cette fois, l’être cher sera chanté par Emőke Baráth, dans une mise en scène du vétéran Hans Neuenfels, ancien trublion très assagi. Toutes les autres nouvelles productions appartiennent elles au XXe et au XXIe siècle. 7 Deaths of Maria Callas n’est pas un opéra, mais un grand projet de l’artiste Marina Abramović ; on y parlera naturellement d’opéra, et plusieurs chanteuses mourront des mêmes morts que Callas, de Carmen à Tosca et de Lucia à Norma. Il n’y aura que trois représentations, avant que la production ne voyage dans toute l’Europe, Paris compris.

Comme toujours, l’Opéra de Munich propose un nombre d’œuvres bien supérieur à celui affiché à Londres ou à Paris : pas moins de 43 opéras seront au programme. Certains spectacles ont pour fonction, comme partout, de faire nombre sans trop exiger des équipes de la maison, ce qui n’interdit pas d’afficher à l’occasion quelques grands noms - il suffit de citer Plácido Domingo, qui sera sur la scène de Munich pour deux Nabucco dans une production de Yannis Kokkos qui n’a jamais suscité l’enthousiasme. Dans le grand répertoire, on pourra ainsi guetter Pavol Breslik ou Ambrogio Maestri dans une jolie mise en scène de L’Elixir d’amour, Michael Spyres dans Les contes d’Hoffmann et Guillaume Tell, ou encore Ermonela Jaho aux côtés de Simon Keenlyside dans La Traviata. Les spectateurs parisiens qui l’ont vue dans Les Huguenots pourraient avoir envie de faire le voyage pour entendre Lisette Oropesa dans Lucia di Lammermoor ; pour entendre Anna Netrebko et Yusif Eyvazov, et malgré des prix très élevés, leurs adorateurs passeront sans encombre sur la mise en scène très confuse de Turandot par La Fura dels Baus. Mais le couple vedette, à Munich, c’est depuis un certain Lohengrin en 2009 Anja Harteros et Jonas Kaufmann : on ne les verra ensemble la saison prochaine que pour trois représentations d’Otello, mais ils seront toujours très présents tout au long de la saison. Kaufmann, outre La ville morte, reprendra Les Maîtres-chanteurs avec Hanna-Elisabeth Müller, une belle découverte de ces dernières années au sein de la troupe maison. Harteros reprendra dans le répertoire italien Tosca et Le Trouvère, mais aussi Don Carlo avec une belle distribution (dont Ludovic Tézier !) ; côté allemand, il ne faudra pas manquer son retour à Lohengrin à l’automne, pour elle-même d’abord, mais aussi parce qu’elle aura face à elle une Ortrud inédite, rien moins que Karita Mattila.

Mais deux de ces reprises méritent une attention toute particulière. La reprise de Wozzeck a déjà le mérite d’afficher l’admirable Christian Gerhaher dans le rôle-titre, ce qui n’est pas rien ; surtout, elle offre l’occasion de voir ou de revoir un spectacle d’une beauté et d’une émotion irrésistibles. Andreas Kriegenburg n’a pas toujours convaincu à l’opéra, mais ce spectacle n’a pas à rougir face au légendaire Wozzeck de Patrice Chéreau – rien de moins. Et puis il y a Orlando Paladino : le délicieux opéra de Haydn est toujours trop rare sur nos scènes, et la mise en scène du jeune cinéaste Axel Ranisch avait conquis le public l’an passé. Le spectacle est très efficacement divertissant, délicieusement décalé ; il séduit d’abord par la tendresse du regard qu’il porte sur ses personnages. Les représentations de 2018 avaient aussi séduit par la cohésion et la haute qualité de l’équipe musicale placée sous la direction d’Ivor Bolton : c’est une grande chance que cette équipe puisse être conservée exactement identique pour les représentations de l’été 2020. Aucune de ces deux productions n’a attiré au préalable la foule des voyageurs lyriques, mais elles montrent bien toute la richesse d’une programmation qui va au-delà des grands noms.

Dominique Adrian

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