Nous évoquions récemment les adieux de directeurs à certaines maisons d’opéra en 2020-2021 : Laurent Joyeux à Dijon ou Serge Dorny à Lyon, prenant la suite de Nikolaus Bachler à Munich. Alexander Neef est dans la même situation avec la Canadian Opera Company, succédant dès 2021 à Stéphane Lissner à la tête de l’Opéra national de Paris. En poste depuis 2008, il a contribué à connecter l’Amérique du Nord et l’Europe – deux mondes à part en termes d’opéra – à travers des collaborations artistiques fructueuses et prestigieuses, tout en remplissant la mission de faire découvrir l’art lyrique au plus grand nombre. De septembre à mai, six grands classiques se laisseront (re)découvrir sur les planches du Four Season Centre for the Performing Arts, forts de très belles distributions réunies autour de l’Orchestre et du Chœur de la Canadian Opera Company.
Les premiers levers de rideau seront consacrés à Parsifal, l’ultime monument de Wagner, qui n’a encore jamais retenti dans la maison. La mise en scène épurée et post-apocalyptique de François Girard, déjà jouée à l’Opéra national de Lyon et au Metropolitan Opera de New York, projettera à nouveau les vidéos hypnotiques de Peter Flaherty derrière un plateau composé de Christopher Ventris / Viktor Antipenko (Parsifal), Tanja Ariane Baumgartner (Kundry très remarquée à l’Opéra de Flandre en 2018), Johan Reuter (Amfortas), Robert Pomakov (Klingsor) et Mika Kares / David Leigh (Gurnemanz). Le directeur musical Johannes Debus officiera en fosse, comme dans la production de Katia Kabanova de David Alden, issue de l’English National Opera (vue à Barcelone en 2018). Nos souvenirs plus qu’enthousiastes d’Amanda Majeski dans le premier rôle à la Royal Opera House seront revitalisés dans sa prestation aux côtés de Susan Bullock, Michael König, Cecelia Hall, Richard Trey Smagur, Alain Coulombe et Matthew Cairns.
Carmen sera la troisième œuvre dirigée par le maître des lieux. J’Nai Bridges séduira le Don José de Michael Fabiano et l’Escamillo d’Adam Palka, non loin de la Micaëla de Joyce El-Khoury. Ce spectacle « maison » de 2016 est agencé sur la proposition scénique de Joel Ivany, le fondateur d’un collectif torontois habitué à adapter l’opéra en des formes ludiques (l’Against the Grain Theatre). Robert Carsen est une autre figure locale (bien connue du public lyrique) : il viendra avec son Orfeo ed Euridice de Gluck, que nous avons chroniqué il y a deux ans depuis le Théâtre des Champs-Élysées. Dans ce projet, également cofinancé par le Teatro dell’Opera di Roma, Château de Versailles Spectacles et le Lyric Opera of Chicago, Iestyn Davies ira aux enfers retrouver Anna-Sophie Neher sur le conseil de Mireille Asselin (Amour). Le chef canadien Bernard Labadie tiendra la baguette.
La reprise de l’opulente Traviata d’Arin Arbus, coproduite avec le Houston Grand et Chicago, rassemblera un plateau vocal cinq étoiles : Sondra Radvanovsky (en alternance avec Vanessa Vasquez) en Violetta, Joseph Calleja en Alfredo et Artur Ruciński en Germont ! Les liens que tisse Alexander Neef avec le Santa Fe Opera (dont il est le directeur artistique) lui permettront de faire participer son directeur musical Harry Bicket aux Noces de Figaro, recréées par Claus Guth après le Festival de Salzbourg de 2006. Tous les personnages, du Figaro de Josef Wagner au Chérubin d’Emily D’Angelo (lauréate du concours Operalia 2018) et de la Susanna de Louise Alder, emprunteront le grand escalier de la scénographie, théâtre des frustrations du Comte et de la Comtesse (Russell Braun et Johanni van Oostrum).
Le répertoire-star et les étoiles dans les yeux accompagneront donc les derniers mois d’Alexander Neef à Toronto en un festival populaire. En près de 13 ans, ses efforts pour donner à l’opéra un droit de cité à la diversité dans la capitale de l’Ontario auront porté leurs fruits, dans un équilibre entre classicisme et innovation.
Thibault Vicq
11 avril 2020 | Imprimer
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