A la veille de sa prise de rôle du personnage de Simon Boccanegra dans l’œuvre éponyme de Giuseppe Verdi à l’Opéra de Monte-Carlo (compte-rendu à lire ici), nous avons rencontré Ludovic Tézier pour quelques questions sur sa carrière et ses projets...
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Opera-Online : Amonasro, Don Carlo di Vargas, Macbeth, Rigoletto, Il conte di Luna, Ford, Simon Boccanegra ... Est-ce en écoutant Verdi que vous avez eu envie de chanter ?
Ludovic Tézier : Absolument ! C’est en écoutant Verdi que j’ai eu envie de chanter, et c’est en écoutant Wagner que j’ai eu envie de faire ce métier, si je puis me permettre cette pirouette. On a envie de chanter Verdi car il a écrit des Mélodies de pur luxe, tout à fait fascinantes, et pour ce qui est de Wagner, il y a chez lui une ambition de théâtre total qui exerce une fascination, une attirance intrinsèque sur le chanteur-comédien que je suis. L’un enrichit l’autre et les deux se complètent. Dans les faits, Wagner n’est pas encore dans mon planning, mais j’espère bien aborder Wotan un jour, car le personnage me fascine et me touche. Ca ne fait peut-être partie que de mes horizons chimériques, mais il faut bien rêver ! (rires) Verdi n’est en rien un enfermement, même si c’est un palais de luxe : on peut utiliser dans l’émission vocale et dans la ligne de chant beaucoup de ce que Verdi a créé pour chanter du Wagner, de même que l’on peut utiliser les caractérisations très fortes des personnages de Wagner pour interpréter ceux de Verdi.
Je vous ai entendu, dans vos jeunes années, à l'Opéra de Lyon. La troupe, est-ce indispensable pour l'apprentissage du métier ?
Tout à fait ! Je n’aurai pas répondu pareil il y a dix ans de ça, mais là aussi, l’expérience aidant et à partir de ce que j’ai pu constater dans d’autres théâtres qui ont conservé une troupe, je pense aujourd’hui qu’il n’y a pas de meilleur tremplin pour de jeunes chanteurs : cette chance de pouvoir chanter auprès d’artistes invités, à la carrière établie. On apprend le métier en se frottant gentiment aux autres, la troupe est comme un sérail où mettre à l’abri les jeunes pousses qui nous feront rêver demain...
Vous chantez votre Premier Simon Boccanegra demain ici à Monte-Carlo... comment se prépare t-on a une telle prise de rôle ?
Je vais encore devoir faire une pirouette en vous répondant qu’on s’y prépare avec 28 ans de carrière ! Peut-être pas nominativement à Simon, mais en tout cas à ce répertoire-là. Quand on attrape cette partition, on la travaille comme n’importe quelle autre, on l’étudie, on va écouter des versions discographiques parce qu’il y en a eu d’autres qui l’ont chantée avant nous… et souvent de quelle éclatante manière! On écoute donc, on juge et on essaie de comprendre aussi, encore plus avec Simon qui est un rôle qu’il faut aller chercher profondément, dans tous les recoins de la partition, pour le livrer ensuite au public. Simon est un personnage qui parle d’amour, d’humanité, qui parle de Verdi lui-même en fait : c’est Verdi qui chante dans Simon. J’aime profondément cet homme, comme quelqu’un avec qui j’aurais grandi, et arriver à chanter cette musique qui est une musique du cœur, c’est bouleversant pour moi. Le plus dur avec le rôle de Simon, c’est de ne pas se mettre à pleurer, pour la simple et bonne raison qu’on ne pourrait plus chanter. Il y a des moments où j’ai eu du vague à l’âme vague en défrichant le rôle : c’est toute la difficulté qu’il y a entre laisser passer cette émotion inhérente au personnage et avoir un contrôle, ne pas se laisser déborder par elle...
Appréciez-vous généralement la composante des mises en scène dans lesquelles vous êtes distribué ?
En règle générale, je suis plutôt un enfant gâté et je n’ai jamais vraiment eu à me plaindre de ce qu’on m’a demandé de faire dans les différentes productions auxquelles j’ai participées, peut-être tout simplement parce que les directeurs de théâtre qui m’ont engagé, me connaissant, savaient que ce n’était pas la peine de me faire jouer en couche-culotte ou quelque chose dans le genre ! (rires) Ca ne serait pas tant desservir ma petite personne que l’œuvre elle-même… J’aime à dire que les chanteurs doivent être les « gardiens du temple », car en dernier ressort, confrontés à des mises en scène qui mettent en danger l’écoute d’un chef d’œuvre, c’est encore eux qui doivent dire stop quand ça va trop loin... On est quand même là pour interpréter la volonté du compositeur, pas pour se mettre en porte à faux avec la musique que les grands maîtres ont composée. L’art lyrique est un art fragile, et il peut arriver sur des spectacles que les artistes ne soient pas dans les bonnes conditions pour rendre justice à la partition ou que le public soit tellement perturbé par ce qu’on lui montre qu’il passe à côté du bonheur d’écouter un chef d’œuvre. Cela ne veut pas dire qu’il faut monter les ouvrages comme on les montait à l’époque de leur création, mais de là à faire faire n’importe quoi aux artistes…
Que pouvez-vous dévoiler de vos projets et de vos souhaits ? Pouvez-vous désormais influencer vos choix ?
Je ne pense pas que qui que ce soit le puisse aujourd’hui, on peut juste refuser un rôle : c’est là notre seul vrai pouvoir à nous autres les chanteurs. Cela posé, oui, il y a des connivences qui se créent avec certains directeurs d’opéra qui peuvent vous demander si vous vous sentez prêt à aborder tel nouveau rôle. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé avec Jean-Louis Grinda ici à Monte-Carlo : c’est pendant les représentations de Ernani qu’il m’a soumis l’idée de revenir pour le rôle de Simon Boccanegra. A titre personnel, j’aime bien l’idée qu’on vienne me chercher et qu’on me dise « Je te sens prêt » pour incarner tel ou tel personnage. Quant aux projets, je vais reprendre Werther dans sa version pour baryton à l’Opéra de Vienne, aux côtés de Sophie Koch, ce que je ressens comme un luxe. Puis je pars à Londres pour une autre prise de rôle verdienne, avec celui de Iago dans Otello, soit incarner le mal à l’état pur : Iago est ce qu’il y a de plus noir dans l’être humain. C’est un vrai challenge ce personnage, car d’apparence extérieure, il est finalement charmant, tout le monde lui fait confiance, même si Boito (NDLR : le librettiste) le force à dévoiler sa vraie nature dans le fameux Credo. Et sinon, un peu plus loin dans le temps encore, il y aura à la rentrée Rodrigo à l’Opéra de Paris, dans la version française de Don Carlos. L’affiche laisse songeur (NDLR : Jonas Kaufmann, Sonya Yoncheva, Elina Garanca...) et je languis d’y être !
Entretien réalisé à Monte-Carlo par Emmanuel Andrieu
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