Tous les jours, Alexandre Pereira se réveille avec la volonté d’accomplir moult choses au cours de la journée. Si la frustration de ne pas pouvoir toutes les réaliser se fait parfois sentir, le directeur général de la Scala de Milan ne se décourage pas : « J’ai toujours l’impression d’avoir un surplus d’énergie ».
Avant d’accéder à son poste en juin 2014, Pereira a endossé les fonctions de directeur artistique de l’Opéra de Zurich pendant une vingtaine d’années, puis plus récemment du Festival de Salzbourg. Sa réputation de gestionnaire novateur s’est rapidement confirmée : Pereira a instauré un nouveau programme d’opéra pour enfants, ainsi que les billets à bas-prix pour attirer un nouveau public de mélomanes, a entamé un cycle Puccini et développé une programmation explorant les opéras des représentants du vérisme italien (le style plus « réaliste » de l’opéra qui émergea à la fin du XIXeme siècle), ou a encore amorcé la venue d’œuvres non-italiennes, jusqu’alors peu représentées sur les planches milanaises.
« Depuis mon arrivée, je suis allé dans la direction où je voulais aller. J’ai fait ce que je pensais être le meilleur pour La Scala. » Les opéras pour enfant ont démontré leur succès. Au départ, quelque 20 000 billets ont été proposés pour la version raccourcie de Cinderella destinée aux enfants et tous ont été distribués immédiatement. Leur nombre avoisine désormais les 40 000, et les spectacles sont dorénavant presque toujours donnés à guichets fermés. Et à la fin de chaque représentation, les chanteurs et les musiciens se mêlent au public pendant plus d’une heure.
Selon Pereira, « c’était tellement nouveau pour ce théâtre qu’il fallait absolument le mettre en œuvre pour démontrer que ça pouvait marcher », notant aussi que les Milanais ont « absorbé ce programme comme une éponge. Ils m’ont donné le sentiment que La Scala est un cadre merveilleux pour travailler sur de nouvelles idées ».
Pereira a rencontré d’avantage de difficultés lors de l’instauration des billets à bas-prix, mais la mise en œuvre de cette idée montre une fois encore la pertinence de sa démarche. Une représentation de Turandot bradée à moitié prix a affiché complet en moins de deux heures et demi. Ce qui est significatif, c’est qu’il n’y a aucune « cannibalisation » des habitués de La Scala. Ceux qui en profitent sont pour la plupart des spectateurs qui vivent hors de Milan et n’ont jamais été à l’opéra, mais qui demeurent curieux de vivre cette expérience au moins une fois dans leur vie.
« Nous avons peut-être créé la base d’un nouveau public » d’après Pereira qui avait mis en œuvre des idées similaires lorsqu’il officiait à Zurich afin d’en renouveler le public. Le directeur général et son équipe ont déjà prévu une quinzaine d’opéras ainsi que sept ballets par saison, intégrant huit productions créées intra-muros. La programmation se répartie peu ou prou autour d’un tiers de nouvelles productions, un tiers de reprises, et un tiers de co-productions venues d’ailleurs, mais nouvelles aux yeux du public milanais.
Pereira aimerait maintenir un équilibre de 50-50 entre opéras italiens et non italiens, et entend atteindre l’objectif en augmentant le nombre de co-productions. Et il se focalisera sur les nouvelles productions internes portant sur les périodes du vérisme et du bel canto. Car pour l’heure, il précise qu’un seul opéra bel canto, l’Elixir d’Amore, est présent dans le répertoire de La Scala.
Il n’y a qu’un opéra de Donizetti, un de Mascagni et aucun de Bellini. Les autres compositeurs italiens comme Umberto Giordano, Francesco Cilea et Amilcare Ponchielli ne sont pas non plus représentés. « Je pense qu’en augmentant le nombre de ces nouvelles productions chaque année, nous aurons à nous concentrer sur ces deux périodes ». La Scala doit se focaliser sur une part très importante de son patrimoine lyrique. C’est pourquoi la moitié des opéras devraient être des opéras italiens. Ce n’est pas une perspective provinciale. La Scala doit simplement exposer son héritage en matière d’opéras italiens, incluant notamment le répertoire du début du XIXème au XXème siècle ».
Les nouvelles productions intégreront au moins une œuvre de commande chaque année. « Vous pouvez rapidement devenir fou en vous imposant un thème » concède Pereira. « Nous avons choisi un compositeur avec soin et nous discutons du projet, mais nous ne nous imposons pas de thème spécifique ».
Le calendrier des opéras à venir comprend des œuvres françaises, allemandes ou encore russes, qui ne sont pas encore très bien représentées. Pereira ne souhaite pas être trop spécifique dans la mesure où sa programmation dépend très largement de la disponibilité des interprètes, mais il souligne néanmoins qu’aucun opéra de Schubert n’a été donné à la Scala. Carl Maria von Weber, Alexander Zemlinsky et Franz Schreker sont autant de compositeurs qui, sous cet angle, attirent l’attention.
Pereira voit quoiqu’il en soit le futur de l’opéra de façon optimiste : « si vous partagez mon point de vue sur le fait que notre civilisation a besoin de préserver ses plus grandes réalisations artistiques de l’histoire pour les prochaines générations, et nous parlons de musique, j’ai l’obligation de continuer à donner ces chefs d’œuvres dans le cadre de nouvelles productions. Si nous sommes couronnés de succès, nous aurons réellement des éléments à transmettre aux nouvelles générations ».
L’opéra est un art cher à produire. Le directeur en convient, mais souligne néanmoins qu’on « ne laisse pas Mona Lisa cachée dans un coffre-fort parce que les assurances sont chères. Une excellente prestation contribue à transmettre une énergie aux futures générations ».
Article issu de l'International New York Times, n’engageant pas la rédaction du journal, et dont nous reproduisons le contenu avec leur aimable autorisation.
Lire en intégralité et en anglais la double page Center Stage : Teatro della Scala
Center stage: Teatro alla Scala est produit par le département international T Brand Studio et n'engage pas les départements éditoriaux de l'International New York Times.
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