Trois opéras, pas un de moins : il avait été question, après la réunification allemande, de réduire la voilure du monde lyrique berlinois, et l’Opéra Comique, qui traversait alors une mauvaise passe, faisait figure de victime désignée. Entre temps, le malade a guéri, ni fusion ni suppression ne sont plus évoquées ; ce qui a changé, c’est simplement que la Staatsoper a quitté sa maison-mère Unter den Linden pour une longue phase de travaux. C’est donc au Schiller-Theater qu’elle joue, à deux pas de la Deutsche Oper, dans une salle à l’acoustique très variable selon les places, mais d’une agréable intimité. Depuis quelques années, c’est là qu’ont lieu quelques-unes des représentations les plus attendues du monde lyrique, avec ou sans l’inamovible directeur musical de la maison, Daniel Barenboim. Wagner est son domaine : l’an prochain, il y dirigera deux fois le Ring, trois fois Parsifal avec Waltraud Meier, mais surtout une nouvelle production des Maîtres-Chanteurs mis en scène par Andrea Moses : la distribution réunit quelques-uns des grands chanteurs wagnériens d’aujourd’hui dont Wolfgang Koch et Klaus Florian Vogt, mais aussi une sélection de leurs aînés dans les petits rôles, Franz Mazura, Siegfried Jerusalem ou Graham Clark... Hors Wagner, Barenboim est ouvert à un répertoire varié : il dirigera une nouvelle production de La Traviata, mise en scène par le vétéran Dieter Dorn et dominée par Sonia Yoncheva ; il mettra aussi Orphée et Eurydice de Gluck, avec Bejun Mehta et Anna Prohaska, au centre du festival annuel des Festtage au printemps, pour terminer sa saison par Juliette de Martinů : on y retrouvera sans surprise Magdalena Kožená, qui l’a déjà chantée en concert, mais aussi Rolando Villazón, qu’on n’imaginait pas forcément dans ce répertoire.
L’éventail des œuvres proposées par la maison va cependant encore plus loin : l’opéra baroque est représenté avec deux reprises, Didon et Énée de Purcell monté par Sasha Waltz et une version scénique de l’oratorio Il Trionfo del Tempo e del Disinganno de Haendel,mais aussi avec une œuvre pour ainsi dire inédite, Amor vien dal destino d’Agostino Steffani, Vénitien installé en terre germanique. Rejouée une seule fois, il y a trente ans, par Philippe Herreweghe il y a trente ans, elle est la contribution annuelle de René Jacobs à la saison berlinoise. À l’autre bout de la chronologie, l’intendant Jürgen Flimm mettra en scène Luci mie traditrici de Salvatore Sciarrino, compositeur que Flimm admire depuis longtemps à très juste titre ; cet opéra, le plus joué de Sciarrino, met en scène la vie tragique et aventureuse de Carlo Gesualdo, prince et compositeur de la Renaissance. D’autres œuvres contemporaines complètent le programme dans la petite salle voisine du théâtre.
Le reste de la saison, cependant, n’est naturellement pas avare en grands noms. Rare dans la fosse d’un théâtre, Gustavo Dudamel se charge d’une nouvelle production des Noces de Figaro par Jürgen Flimm, avec Dorothea Röschmann et Anna Prohaska ; Plácido Domingo y reprend Simon Boccanegra avec Barenboim et Krassimira Stoyanova ; pour la reprise du Trouvère, il faudra aller acheter sa place au guichet ou patienter au téléphone : aucun serveur internet ne résiste à Anna Netrebko ! Les amateurs de grand répertoire italien trouveront leur bonheur avec quatre Verdi, trois Puccini et un Elisir d’amore avec Pretty Yende et Vittorio Grigolo ; parmi les opéras plus rares, on ne peut que conseiller la très rare Fiancée du tsar de Rimsky-Korsakov, dans une mise en scène très forte de Dmitri Tcherniakov, et on tendra une oreille vers Le Vin Herbé, la version du mythe de Tristan et Iseut du compositeur suisse Frank Martin, notamment pour Anna Prohaska.
L’autre opéra de l’ancienne RDA a lui aussi pour caractéristique de proposer au public berlinois une vision très large du répertoire, même s’il se fonde plus sur l’esprit de troupe que sur les grands noms : l’Opéra-Comique a longtemps été peu ouvert au public étranger parce qu’il proposait tout le répertoire en traduction allemande, mais cette pratique est progressivement abandonnée, avec quelques exceptions dont un récent Don Giovanni parfaitement délirant mis en scène par Herbert Fritsch – l’audace des mises en scène est une caractéristique bien connue de la maison. Dans le répertoire baroque, Giulio Cesare de Haendel sera en italien, mais son Xerxes en allemand, dans une mise en scène de Stefan Herheim ; Castor et Pollux de Rameau, heureusement, sera en français. Côté contemporain, qui a dit que les créations n’étaient jamais reprises ? Les Légendes de la forêt viennoise de HK Gruber, créées en 2014 à Bregenz puis à Vienne, bénéficieront déjà de leur deuxième production, sous la férule d’un jeune metteur en scène polonais, Michał Zadara. L’autre grande particularité de la maison est la place donnée à la muse légère : il y aura un festival Offenbach et plusieurs comédies musicales, mais la maison s’est aussi engagée dans un travail de fond sur le répertoire oublié de l’opérette allemande des années 20 et 30, avant la grande catastrophe, et le succès public est au rendez-vous (rappelons que la présence de surtitres individuels en plusieurs langues rend ce répertoire accessible aux non-germanophones !).
Reste la plus grande salle d’opéra berlinoise, la Deutsche Oper : là encore, le choix est vaste avec quelque trente-cinq œuvres pour la saison à venir, sans compter quelques versions de concert. Ici plus encore qu’ailleurs, cette grande activité ne va pas sans une certaine routine que ne compensent que partiellement les distributions ; mais on y retrouvera Nina Stemme et Waltraud Meier pour Elektra, Anja Harteros dans Le chevalier à la rose, Diana Damrau et Thomas Hampson pour La Traviata, souvent pour une partie seulement des dates de chaque opéra. Côté nouveautés, la Deutsche Oper s’est fait depuis quelques années une spécialité de la découverte du grand opéra français : cette saison, en prélude à un cycle Meyerbeer, ce sera Vasco de Gama, alias L’Africaine, avec un garant du style français en la personne de Roberto Alagna. Les versions de concert proposées présentent notamment du bel canto soigneusement distribués, avec Edita Gruberova en Norma, Elīna Garanča dans La Favorite et Joyce di Donato en Romeo de Bellini : un tel trio confirme finalement que la trinité lyrique berlinoise, avec la variété qu’elle permet, a tout de même de grands mérites.
Mais la saison lyrique berlinoise ne s’arrête pas là : à la Philharmonie, l’Orchestre Philharmonique de Berlin reprendra comme chaque année, en version de concert, l’opéra qu’il donne lors de son festival de Pâques à Baden-Baden – pour 2016, ce sera Tristan, naturellement sous la direction de Simon Rattle, avec Eva-Maria Westbroek et Stuart Skelton ; mais surtout, pour quatre représentations fin décembre, la Philharmonie accueillera une version semi-scénique, réglée par Peter Sellars, de Pelléas et Mélisande : la distribution, avec Magdalena Kožená, Christian Gerhaher, Franz-Joseph Selig et Bernarda Fink, a de quoi rameuter les mélomanes du monde entier…
par Dominique Adrian
04 mai 2015 | Imprimer
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