La crise sanitaire fait que la carrière de la soprano Gabrielle Philiponet - que nous avons pu entendre dans des rôles aussi divers que Micaëla à Lille, Marguerite (dans Faust) à Saint-Etienne, Adina à Nice, ou encore Caroline (dans La Chauve-Souris) à Avignon… - est en stand-by, en attendant la reprise pour elle en avril prochain dans Don Giovanni à l’Opéra Grand Avignon. L’occasion pour Opera-Online d’aller à sa rencontre pour l’interroger sur sa situation propre et celle du monde lyrique en général, mais aussi sur son parcours, ses souvenirs de spectatrice ou encore ses rêves de nouveaux rôles…
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Opera-Online : Comment êtes-vous devenue chanteuse lyrique ?
Gabrielle Philiponet : J’ai commencé la musique à l’âge de cinq ans. J’ai étudié la flûte traversière et le violoncelle, cela m’a amenée notamment à la pratique d’orchestre et de musique de chambre. Puis, à l’âge de dix-huit ans, je me suis blessé l’épaule ce qui m’a obligée, après quelques années de soin, à comprendre que je devais abandonner la flûte à laquelle j’avais dédié des années pour devenir professionnelle. J’ai donc fait mon entrée en classe de chant sans grande conviction. Mais dès les premiers cours, la perspective théâtrale m’a fascinée, et j’ai su que je serai chanteuse. J’ai eu beaucoup de chance en rencontrant mon professeur de chant, Daniel Ottevaere, qui est toujours mon conseiller aujourd’hui. J’ai été repérée ensuite par José Van Dam qui m’a fait entrer à La Chapelle Musicale Reine Elisabeth. J’ai eu rapidement des contrats et le sixième prix gagné au Concours Reine Elisabeth, en 2008, a grandement participé à mon entrée dans le métier.
Comment se présente votre saison 20/21 ?
Cette nouvelle saison est extrêmement morose et calme suite aux nombreuses annulations liées à la Covid-19. Je reprends le chemin des planches seulement en avril 2021, à l’Opéra Grand Avignon avec le rôle de Dona Anna dans Don Giovanni, et j’enchaînerai ensuite avec celui de Desdemona dans Otello à Saint-Etienne. J’ai été particulièrement touchée par cette crise car j’avais une tournée dont la création devait se faire pendant le confinement. J’ai donc perdu, ni plus ni moins, un an de contrats !
Comment vous préparez-vous à un nouveau rôle ? Avez-vous le sentiment que votre propre vie fait évoluer votre approche scénique ?
Je me prépare toujours de la même façon. Je lis d’abord le livret et les œuvres dont sont inspirés ou tirés les livrets. Le texte est presque toujours écrit en premier. La force de la musique le ferait trop souvent oublier. Puis, j’apprends la musique et le texte (sans en chanter une seule note à pleine voix), ainsi que les répliques des autres personnages. Vient ensuite le travail vocal qui commence toujours avec mon professeur. Cela me permet d’avoir directement l’empreinte juste. Sinon, quand j’ai commencé ma carrière je chantais plutôt des rôles de soubrettes. Cela m’a permis de développer un certain abattage et un sens de la comédie et du théâtre, mais ce n’est qu’en 2012, quand j’ai chanté La Rondine à l’Opéra national de Lorraine, que j’ai compris que c’est à travers les rôles plus fournis et aux parcours plus tortueux que je pouvais m’épanouir le plus. José Cura qui dirigeait et mettait en scène cette production m’a permis de trouver cette palette, car il avait vu en moi cela avant que j’en ai moi-même conscience. Depuis, j’ai vraiment le sentiment de laisser une part de moi-même à chaque représentation et à chaque rôle. Je m’investis totalement et entièrement dans l’élaboration du personnage. Cela me permet de pouvoir lâcher ou utiliser les blessures ou les épreuves de la vie.
En tant qu’artiste, communiquer sur les réseaux sociaux vous semble-t-il nécessaire ?
Aujourd’hui, c’est absolument nécessaire, spécialement si on veut renouveler notre public. Je constate par exemple que les followers sur Facebook ne constituent pas du tout le même public que sur Instagram. C’est aussi une façon de faire tomber certains tabous comme celui de la chanteuse inaccessible et colérique... Il faut communiquer et parler de notre métier. C’est important. Je suis d’ailleurs toujours très enthousiaste à l’idée de rencontrer le public et plus particulièrement les jeunes qui viennent parfois avec leur professeur découvrir l’opéra. C’est une mission qu’il faut continuer de mener.
Quelle vision avez-vous du monde de l’opéra dans lequel vous évoluez ?
Au-delà de la crise liée à la Covid-19, on peut voir sans nul doute une détérioration du métier et un progressif désintérêt de la part de la classe politique. Avec les années, je peux voir à quel point les directeurs d’opéras sont mis dans des positions intenables, avec des moyens qui s’étiolent petit à petit. Les discours sont loin de la réalité. On entend des phrases dures, comme par exemple le fait que nous ne servons à rien, nous les artistes... mais il n’y a qu’à voir les salles pleines pour témoigner de la vivacité et la réelle passion qu’a le public pour l’opéra !
La dernière fois que l’on vous a entendue, c’était dans le rôle de Marguerite (dans le Faust de Gounod) à l’Opéra de Saint-Etienne. Quels souvenirs gardez-vous du travail de Julien Ostini ?
Cette production restera pour moi un souvenir inoubliable. Le travail avec Julien a été une évidence. Son intelligence scénique est immense. De plus, la confiance et le respect qu’il porte aux chanteurs créent une ambiance de travail idyllique. Sa proposition de mise en scène était aussi très physique et comportait beaucoup de défis. C’est exactement ce que j’aime faire sur scène. Je veux pouvoir aussi sentir que nous sommes des performers... Je serais très heureuse de pouvoir retravailler avec lui.
Quel est votre meilleur souvenir d’opéra en tant que spectatrice et en tant qu’artiste ?
En tant que spectatrice, j’en ai beaucoup... The Rake’s Progress à Aix en Provence en 2017, dirigé par Eivind Gullberg Jensen et dans la mise en scène de Simon McBurney, a été une claque. La qualité du plateau était au rendez-vous. Quand une osmose pareille se passe, c’est magique. Sinon, j’ai de merveilleux souvenirs de productions au Théâtre du Capitole de Toulouse quand j’étais toute jeune musicienne et chanteuse. Nicolas Joël était directeur pendant ces années-là. Je ne ratais pas une production ni un concert de la saison orchestrale à la Halle aux grains. Ça a forgé mon oreille et mon goût pour ce métier. J’avoue qu’avec le temps j’apprécie de plus en plus les concerts « sans voix » et, par exemple, l’année dernière j’ai été bouleversée quand j’ai découvert le violoniste Sergey Khachatryan en concert avec l’Orchestre National de Lille au Festival Enescu de Bucarest.
En tant qu’artiste, c’est très difficile de répondre... il y a bien sûr les productions que j’ai déjà citées, mais j’ai envie de parler de la dernière production qui m’a passionnée... ce sont Les Pêcheurs de perles à l’Opéra de Lille début 2020 juste avant le confinement. Le parcours théâtral, les challenges, l’équipe artistique, l’équipe technique... tout était parfait ! En 2018, j’avais déjà chanté dans les Pêcheurs de perles dans une production de Bernard Pisani, que j’ai adorée aussi. Ce sont ces grands écarts qui rendent ce métier si passionnant. Il faut préciser qu’en tant qu’artiste on ne peut absolument pas avoir un regard extérieur sur un spectacle. Par définition, nous ne l’avons pas vu...
Quelles sont les œuvres que vous aimeriez travailler à l’avenir ?
Il y en a beaucoup ! Je rêve de faire mes premières Manon et Juliette, je suis française bon sang de bonsoir ! (rires). Plus sérieusement, je voudrais également aborder Thaïs et Blanche de la Force (NDLR : dans Dialogues des Carmélites). Je ferai prochainement mes débuts en Mireille, et cela me ravit. En tant que française, je voudrais pouvoir défendre notre répertoire plus souvent. Sinon, Lucia et Gilda seraient de beaux rôles pour moi, ainsi qu’Elvira dans Les Puritains. Je voudrais aussi pouvoir revenir sur des rôles déjà interprétés, pour aller plus loin, comme Violetta, mon rôle fétiche, ainsi que Fiordiligi, Marguerite de Faust ou encore Leïla.
Laissons de côté le chant. Avez-vous d’autres passions qui jalonnent votre vie ?
Oh oui ! J’adore cuisiner pour mon fils et mes amis. J’élève un levain dans mon frigo qui se prénomme Joël2, car Joël1 est décédé... Je pratique l’équitation, une passion depuis l’enfance. Je fais tous les jours du yoga. Et j’aime la littérature même si je n’ai pas le loisir de lire autant que je le voudrais ces derniers temps… car je suis prise dans la rénovation d’un nouvel appartement. J’ai à cœur la question écologique et je me suis fixée depuis plusieurs années de réduire considérablement mes déchets.
On sait que vous êtes très active au sein du collectif UNISSON. Comment vivez-vous ce nouveau coup dur pour le monde de la culture qu’est le couvre-feu instauré dans 9 des 15 plus grandes villes françaises ?
Je suis adhérente à l’Association UNiSSON bien sûr. Ce rassemblement et cette recherche d’unité m’a beaucoup émue. Je suis fière que, malgré notre isolement et individualisme, nous ayons pu nous rassembler. Unisson va participer et participe déjà à créer le monde de l’opéra de demain. Il y a beaucoup de travail engagé et nous n’en sommes qu’au début. Il faut aussi aider les jeunes chanteurs qui sont pour beaucoup dans des situations intenables et les mieux lotis également pourraient se retrouver très vite dans d’importantes difficultés financières si la situation n’évolue pas favorablement pour le monde de la culture. Les dernières annoncent sont bien évidement un coup de massue pour nous tous. J’ose espérer que des mesures seront prises rapidement pour ne pas nous laisser, une fois de plus, sur le bord de la route...
Propos recueillis en octobre 2020 par Emmanuel Andrieu
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