
Après 125 ans d’absence, Iolanta de Tchaïkovski revient sur la scène de l’Opéra de Vienne dans une nouvelle production d’Evgeny Titov. Sonya Yoncheva reprend le rôle-titre de la princesse aveugle et voit une parabole dans le personnage : la cécité permet de ne pas voir les horreurs du monde mais expose aussi au risque d’être aveugle à sa propre vie.
Dernier opéra de Tchaïkovski, Iolanta déploie une inépuisable richesse d’invention mélodique et pour autant, l’ouvrage n’est pas fréquemment donné sur les scènes lyriques. C’est le constat fait l’Opéra d'Etat de Vienne, qui le redonne à partir de ce 24 mars... 125 ans presque jour pour jour après sa dernière apparition, lors de sa première à Vienne le 22 mars 1900 alors dirigée par Gustav Mahler.
Iolanta est ainsi de retour au Wiener Staatsoper, dans une nouvelle production confiée au metteur en scène Evgeny Titov, avec Sonya Yoncheva dans le rôle-titre – que la soprano bulgare a déjà interprété à New York mais aussi à l’Opéra de Paris où elle faisait sensation, tant vocalement que théâtralement. Et les deux artistes semblent avoir la même lecture du personnage de la princesse aveugle qui retrouve la vue grâce à l’amour sincère : même en ayant la capacité de voir, on peut parfois être aveugle au monde qui nous entoure.
À certains égards, Iolanta prend des allures de contes. La jeune princesse est aveugle et pour qu’elle n’en souffre pas, son père le roi René interdit qu’on évoque son infirmité, si bien qu’elle ignore même que voir est possible. Un guérisseur assure néanmoins pouvoir soigner sa cécité, pour peu qu’elle le souhaite vraiment et qu’elle ait donc conscience de son handicap. Son père hésite, le comte Vaudémont, séduit par la beauté de Iolanta, lui révélera la lumière et l’amour qui lui permettront d’ouvrir enfin les yeux pour découvrir le monde.
Aveugle aux horreurs du monde
Sonya Yoncheva voit une parabole dans le livret de Iolanta. Elle s'en explique dans un entretien rapporté par l'institution viennoise. « Je dirais que ne pas voir peut parfois être un avantage. Pourquoi ? Parce que Iolanta ne voit pas les horreurs du monde – et peu importe qu’on soit au 21e siècle, au 18e, ou à toute autre époque. Elle vit préservée et peut-être que, sous cet angle, le monde de Iolanta est plus beau ». Pour autant, la jeune princesse éprouve de la tristesse. La soprano poursuit : « en effet, elle est triste, parce qu’elle ressent que ceux qui l’entourent ne sont pas honnêtes avec elle et y sont contraints par le roi. (...) Parce qu’elle est aveugle, elle développe une sensibilité extraordinaire et elle réalise que les femmes qui l’entourent ne sont pas sincères, qu’elles ne veulent pas faire partie de son monde ». « Son père est émotionnellement distant, il a honte d’elle (...), et on ne parle jamais de sa mère non plus ».
C’est l’honnêteté de Vaudémont qui lui permet de recouvrer la vue : par amour, « il détruit cette construction de mensonges, elle ouvre les yeux et elle voit ». « En lui parlant de la lumière qu’elle ne voit pas, il ouvre une porte qui la conduit à répondre à des questions qu’elle esquivait : que me manque-t-il ? Pourquoi ne suis-je pas totalement heureuse ? Et finalement, grâce à lui, elle comprend (...) et voit enfin les couleurs de la vie ».
Aveugle à soi-même
Selon Sonya Yoncheva, « Iolanta n’est pas un conte de fée : ce dont on parle pourrait presque être réel, parce que nous sommes parfois aveugle tout en ayant la capacité de voir, nous pouvons être mystifié ou confus parce qu’on ne comprend pas totalement ce qu’est la vie, ce qu’est l’amour et à quel point ça compte ».
Iolanta recouvre la vue et trouve l’amour avec Vaudémont. Est-ce une fin heureuse ? Selon Sonya Yoncheva, c’est peut-être plus compliqué : « comment le savoir ? Nous ne pouvons nous prononcer qu’au regard de notre propre point de vue. Or nous connaissons l’état du monde extérieur, alors que Iolanta l’ignore. La question qui est soulevée de notre point de vue est qu’elle était peut-être plus heureuse en ignorant certaines choses. L’illusion lui a offert une forme de sécurité, mais voit-elle les choses sous cet angle ? Après tout, la vérité est une bonne chose ! Et ce n’est pas lié à la cécité en elle-même, ça ne change pas l’amour de Vaudémont, il l’aime pour qui elle est. Et c’est peut-être le principal, a fortiori aujourd’hui : si je ne suis pas exactement comme les autres sur Instagram, est-ce que les gens m'aimeront quand même ? »
publié le 14 mars 2025 à 09h05 par Aurelien Pfeffer
14 mars 2025 | Imprimer
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