Les Puritains de Bellini est réputé pour être une œuvre à la partition particulièrement exigeante et donc difficile à distribuer. Jonas Kaufmann en programme néanmoins une version de concert au Festival d’Erl. Un pari audacieux que le directeur artistique revendique.
Parallèlement à sa carrière de ténor, Jonas Kaufmann est dorénavant aussi le directeur artistique du Festival Tyrolien d’Erl, en Autriche. La programmation qu’il y a concoctée s’articule autour de quatre saisons, incluant un festival d’hiver qui débutera dans les prochains jours, avec notamment une version de concert d’I Puritani, le dernier opéra de Bellini – en plus d’une Bohème mise en scène, réunissant une distribution de jeunes interprètes.
Le choix de programmer Les Puritains se révèle néanmoins audacieux, tant l’opéra de Bellini est difficile à distribuer du fait de l’exigence de sa partition. Les quatre rôles principaux sont en effet réputés pour être parmi les plus ardus du répertoire belcantiste : le rôle d’Elvira doit être confié une soprano colorature capable de jouer la scène de la folie, Arturo s’exprime dans un registre atteignant des hauteurs extravagantes pour un ténor, Riccardo exige un baryton à l’ambitus particulièrement ample, et Giorgio est une basse cantante qui requiert une Italianità veloutée qui oscille sans cesse entre le registre de basse et de baryton. Pourquoi dès lors faire ce choix risqué, a fortiori dans le cadre d’un festival somme toute modeste comme Erl ? Jonas Kaufmann s’en explique dans un entretien publié par le festival.
Jonas Kaufmann : « Commencer "petit", tout le monde peut le faire. Nous voulions commencer "grand". I Puritani est sans doute l'une des œuvres les plus difficiles à interpréter. Bien sûr, nous savions que ce ne serait pas facile, car nous n'avions que peu de temps pour réaliser ce projet, mais nous avons eu la grande chance, avec notre conseiller artistique Ilias Tzempetonidis, de pouvoir réunir les meilleurs interprètes que l'on puisse imaginer. Et cela fait sensation dans le milieu ! Nous avons une distribution que toutes les maisons du monde pourraient nous envier (...) mais nous le réalisons chez nous, dans notre modeste festival d’Erl et en si peu de temps. Notre ténor est un roi absolu dans son domaine : Arturo est l'un de ses rôles phares. Il est très demandé. La profession est très curieuse de nos Puritani. Même quelques directeurs de casting célèbres se sont annoncés, car ils veulent entendre comment nous nous y prenons. Notre courage nous a donné raison. »
On jugera sur pièce dans les prochains jours. À Erl, c’est René Barbera qui se confrontera à la partition redoutable d’Arturo avec ses « plus de soixante fa#, plus de vingt sol#, huit la jusqu’à un do# aigu ».
Choix d'emplois et évolution des voix
Jonas Kaufmann aurait-il pu interpréter le rôle lui-même ? Il ne l'a jamais chanté sur scène, mais plus jeune, il affirme qu’il pouvait « chanter le fa aigu de la Reine de la Nuit en voix de tête ». Aujourd’hui, il n’atteint plus cette note, mais il précise que pendant ses études, il avait « sérieusement envisagé de devenir contre-ténor car (il avait) cette flexibilité dans les aigus ». Il y a néanmoins renoncé parce qu’il voulait chanter le répertoire vériste, et qu’il a trop peu d’emplois dans ce répertoire pour un contre-ténor.
Jonas Kaufmann a évidemment chanté de nombreux rôles de ténor léger : « bien sûr j'ai chanté des opéras comme Le Barbier de Séville ou L'elisir d'amore, beaucoup de rôles légers de Mozart comme Belmonte, Ferrando ou Don Ottavio. Et j'ai pu continuer à faire ça longtemps. J’ai même chanté Così fan tutte à Zurich pour une série de représentations avec Cecilia Bartoli, et presque parallèlement, j'ai chanté mon premier Parsifal à Zurich (un rôle bien plus lourd). Que vous appréciiez ou non un tel « mélange des genres » est bien sûr une question de goût, mais c’est devenu un phénomène de mode : on ne veut entendre certaines partitions qu'avec des voix bien précises. Ce n'était pas le cas auparavant. Si l'on regarde les anciens programmes et que l'on cherche qui a chanté quoi au cours d'une saison, il est tout à fait incroyable de voir l’éclectisme de ce qui était chanté consécutivement par un seul et même chanteur ».
Selon Jonas Kaufmann, les amateurs de bel canto trouveront quoi qu'il en soit leur compte à Erl avec ces Puritains. Aux côtés de René Barbera, la distribution du festival doit réunir la jeune soprano Marina Monzó en Elvira, Mattia Olivieri en Riccardo et Giorgi Manoshvili en Sir Giorgio et selon le directeur artistique, les festivaliers n’auront « guère l’occasion dans les prochaines années de trouver avec un meilleur casting que celui-ci » – qui se produira en version de concert de sorte que le public puisse se concentrer pleinement sur la musique. Et d’affirmer qu’une version de concert « peut produire une expérience musicale plus intense qu’une version scénique ».
Plus d'informations : Les Puritains au Festival Tyrolien d'Erl à partir du 28 décembre
publié le 5 décembre 2024 à 08h46 par Aurelien Pfeffer
05 décembre 2024 | Imprimer
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