Alvis Hermanis est un homme occupé. Avec dix projets menés en parallèle, et sachant toujours exactement tout ce qu’il accomplira d’ici 2019, le metteur en scène letton est très demandé. Sur la scène de l’opéra, il a déjà travaillé avec les directeurs et les chanteurs les plus célèbres, et sa nouvelle production de la Damnation de Faust d’Hector Berlioz à l’Opéra de Paris, dont la première est donnée le 8 décembre, ne déroge pas à la règle : en tant que metteur en scène et décorateur, il se tient aux côtés du directeur musical de la maison, Philippe Jordan, qui y dirigera trois grands interprètes parmi lesquels Jonas Kaufmann (dans le rôle de Faust), Bryn Terfel (Méphistophélès) et Sophie Koch (Marguerite).
Lorsqu’on lui a demande la différence entre mettre en scène un opéra et une pièce de théâtre — depuis 1997, il est directeur artistique du New Riga Theater dans la capitale lettonne — Alvis Hermanis médite soigneusement avant de répondre : « La tendance durant les trente dernières années dans les théâtres d’Europe consistait à s'appuyer sur une mentalité de destruction. De l’autre côté, l’opéra nous permet de nous focaliser sur l’harmonie, et nous donne une chance de remettre les choses en ordre ».
Ayant grandi au sein de l’Union soviétique, il a été nourri de la tradition théâtrale russe du réalisme psychologique. « Mais pour l’opéra, il est difficile d’être parfaitement réaliste, souvent à cause de la présence initiale d’une contradiction esthétique dans le travail même du compositeur, où la musique, écrite à un siècle donné, raconte l’histoire d’un siècle précédent, comme dans Le Trouvère de Verdi qui repose sur des idées du XIXème siècle pour dépeindre le XVème siècle ».
Alvis Hermanis est aussi modeste que pragmatique dans sa reconnaissance de la difficulté à satisfaire le public. « La musique est une chose si intime et personnelle, et pourtant le metteur en scène oblige le public à adopter sa vision, ses images, de l'oeuvre. Comment est-il seulement possible de faire apprécier à tout le monde cette vision personnelle ? Je commence à accepter le fait que c’est une mission impossible ».
Contrairement aux autres metteurs en scène tels que Robert Wilson, qui a un style très distinct, Hermanis insiste : « Mon style est de n’en avoir aucun. On ne peut pas ouvrir toutes les portes avec la même clé ». Il explique apprécier de changer son approche pour s’adapter à chaque scénario différent.
Dans le cas de « La Damnation de Faust », Alvis Hermanis est tout à fait conscient de la pression engendrée par la présentation de ses idées sur une œuvre française à un public français, même si, en tant que directeur de l’Opéra de Paris, Stéphane Lissner souligne que la musique de Berlioz a tendance à être davantage appréciée du monde lyrique anglo-saxon, que dans le pays natal du compositeur.
Assurément, l’opéra ne se prête que peu à une adaptation réaliste, et Berlioz le qualifiait lui-même de « légende dramatique », et non d’opéra. De son côté, Hermanis préfère y voir un conte de fée et explique, qu’à ce titre, il est impossible d’appréhender l’œuvre en terme historique.
Le fait que l’action se disperse régulièrement, conduisant le spectateur d’un point à un autre, peut sans doute expliquer que l’œuvre n’ait pas rencontré le succès lors des premières représentations à Paris en 1846. Heureusement, les technologies modernes permettent aujourd’hui une approche et une représentation plus efficace de l’esprit de l’œuvre, notamment d’un point de vue visuel – Alvis Hermanis s’est d'ailleurs associé à l’artiste vidéo Katrina Neiburga pour cette production.
La conception d’Alvis Hermanis de ce Faust l’a conduit à conceptualiser l’action comme un voyage dans l’esprit d’un personnage qu’il qualifie lui-même de « Faust du 21e siècle », le scientifique Stephen Hawking.
Alvis Hermanis ne tarit pas d’éloges sur l’Opéra Bastille. Il souligne notamment la superficie des coulisses, suffisamment vastes pour accueillir l’ensemble des décors, construits bien avant que même les répétitions ne débutent et lui octroyant quatre ans pour peaufiner puis de concrétiser ses idées.
Philippe Jordan est tout autant impliqué dans un cycle Berlioz, courant sur les cinq prochaines saisons, avec notamment en point d’orgue, une version concert de Béatrice et Bénédict, une production de Benvenuto Cellini mise en scène par Terry Gilliam et une production majeure du monumental Les Troyens en 2019.
Article issu de l'International New York Times, n’engageant pas la rédaction du journal, et dont nous reproduisons le contenu avec leur aimable autorisation.
Center stage est produit par le département international T Brand Studio et n'engage pas les départements éditoriaux de l'International New York Times.
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