L’opéra à prix unique à Philadelphie : premier bilan

Xl_anthony-roth-costanzo-opera-de-phildelphie © Matthu Placek

L’Opéra de Philadelphie propose tous les billets de sa prochaine saison au tarif unique et accessible de 11$. En 48 heures, plus de la moitié des billets de la saison ont été vendus, et 64% des acquéreurs sont de nouveaux spectateurs. Le modèle est-il pour autant pérenne et généralisable ?

Cette semaine, Anthony Roth Costanzo dévoilait la nouvelle politique tarifaire de l’Opéra de Philadelphie qu’il dirige depuis début juin : toutes les places de toutes représentations de la saison 2024/25 sont vendues au prix unique de 11$ – avec la possibilité pour ceux qui le souhaitent ou le peuvent de payer un prix supérieur pour contribuer à rentabiliser l’opération. On comprend l’ambition de la mesure : faire tomber les barrières tarifaires et rendre l’opéra accessible au plus grand nombre.

Depuis quelques jours, la mesure suscite de nombreuses réactions sur les réseaux sociaux parmi les amateurs d’art lyrique. Les uns y voient une initiative unique qui contribuera à faire découvrir l’art lyrique et attirera un nouveau public à l’opéra ; les autres dénoncent une dépréciation de l’opéra qui ne serait pas rémunéré à la juste valeur des efforts des artistes. Chacun jugera, mais 48 heures après lancement de cette opération « Pick-Your-Price », Anthony Roth Costanzo en dresse un premier bilan.

Près de 6000 billets vendus en 48 heures

À l’ouverture de la billetterie de sa prochaine saison, l’Opéra de Philadelphie avait vendu 20 billets. Dans les 48 heures ayant suivi le lancement de la mesure, l’établissement indique avoir écoulé 5876 billets, dont 64% ont été vendus à de nouveaux spectateurs, qui n’ont encore jamais assisté à une représentation de l’Opéra de Philadelphie. Quelque 456 places ont été achetées pour être offertes à des tiers. En deux jours et à un presque un mois du coup d’envoi de la saison, l’établissement indique avoir rempli 52% de sa jauge pour la totalité de sa (petite) saison.

Anthony Roth Costanzo en tire une conclusion sans appel : « si nous avons vendu 20 billets lundi et que dans les deux jours suivants nous en avons vendu presque 6 000, c’est bien la démonstration que les gens veulent venir à l'opéra, et qu'en réalité, le prix était un obstacle ». Il poursuit : « le simple fait de voir ces chiffres m'a beaucoup ému, car tout au long de ma carrière dans l'opéra (ndlr. Anthony Roth Costanzo s’est longtemps produit sur scène dans des rôles de contre-ténor), j'ai toujours considéré que cette forme d'art était destinée au plus grand nombre, mais que ce sont les structures qui l'entourent qui constituent des barrières ».

Un enjeu artistique, mais aussi budgétaire

Peut-on en conclure que le monde de l’opéra a trouvé là la panacée permettant de renouveler son public ? Peut-être partiellement, sans doute pas totalement – notamment parce que la nouvelle politique tarifaire de la maison ne permettra pas de rentabiliser ses futures saisons. Selon Anthony Roth Costanzo, la saison dernière, les places de la production de Rigoletto de l’Opéra de Philadelphie affichaient les tarifs les plus élevés, et a enregistré un taux de remplissage de 51%. Pour autant, quand bien même les trois productions de la prochaine saison afficheraient complet, le chiffre d’affaires de la billetterie de la saison prochaine resterait vraisemblablement inférieur à celui la saison dernière.

Pour autant, selon le directeur, l’essentiel est ailleurs. La billetterie ne représente qu’environ 13% du chiffre d’affaires de l’Opéra de Philadelphie – c’était le cas la saison dernière avec la vente de 14 211 billets à un prix moyen de 85,77$, tout comme la saison précédente après avoir écoulé 17 464 billets au prix moyen de 78,32$. Qu’en conclure ? Que la billetterie est relativement marginale dans l’écosystème de l’Opéra de Philadelphie et qu’à ce titre, elle peut être (partiellement) sacrifiée au profit d’une plus grande démocratisation de l’art lyrique.

L’établissement reste néanmoins soumis aux contraintes économiques et Anthony Roth Costanzo espère une mobilisation des institutions, des entreprises et des particuliers pour pérenniser son modèle. Lors de sa prise de fonction en juin dernier, il avait déjà réussi à lever sept millions de dollars de dons pour éponger les dettes de la saison dernière de l’Opéra et dans le cadre de l’opération « Pick-Your-Price », 1337 billets ont été achetés à un tarif supérieur à 11$ (pouvant atteindre jusqu’à 300$), et 440 spectateurs ont ajouté un don volontaire en plus du prix de leur billet. Reste à déterminer si ce sera suffisant pour pérenniser le modèle durablement. À défaut, on retiendra que l’opération aura au moins eu le mérite d’ouvrir le débat – et d’offrir un coup de projecteur sur l’Opéra de Philadelphie.

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