Nous avions prévu d’interviewer Marc Mauillon à l’occasion de son Pelléas toulousain en mars prochain, mais au vu de la succession d’annulation ces derniers jours de productions prévues en mars (Turandot à Massy, Samson et Dalila à Avignon, Falstaff à Bordeaux...), nous avons décidé d’anticiper notre projet, qui tombe d’autant plus sous le sens puisque le baryton français fait partie de l’affiche du spectacle-événement que représente Titon et l’Aurore de Mondonville, diffusé ce soir en direct depuis l’Opéra Comique sur la plateforme Medici-TV. L’occasion était donc belle de revenir avec l’artiste sur cette production, son rapport avec ce théâtre de légende qu’est la Salle Favart, ou encore son goût prononcé pour la création contemporaine en parallèle à la musique baroque, répertoire dans lequel nous l’avons le plus souvent entendu (L’Egisto de Cavalli à Luxembourg, Didon et Enée à Rouen, Alcione dans ce même Opéra-Comique…).
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Opera-Online : Comment êtes-vous devenu chanteur lyrique et pourquoi vous êtes-vous surtout produit dans le répertoire baroque ?
Marc Mauillon : J’ai mis le pied sur une scène d’opéra pour la première fois à l’âge de dix ans dans ma ville natale de Montbéliard pour chanter Sem dans Noye’s Fludde de Britten mis en scène par Charlotte Nessi (qui fait un travail remarquable en particulier avec les enfants…). Ç’a été un déclic pour moi car j’y prenais un plaisir immense et je m’amusais beaucoup. Le trac est arrivé quelques années plus tard mais le plaisir est resté et il est toujours là. Juste après cette première expérience j’ai pu intégrer la classe de chant de l’école de musique et j’ai eu une succession de professeurs très bienveillants qui ont eu à chaque fois la grande générosité et humilité de me présenter au moment opportun à un de leurs collègues pour continuer mon développement. Étant moi-même enseignant aujourd’hui je regarde ce parcours avec tendresse et un infini respect pour ces grands amoureux du chant et de la musique qui m’ont tant transmis.
Ma rencontre avec la musique ancienne est aussi due à mon école de musique à Montbéliard où, avec le Département de Musique Ancienne, nous avons pu monter beaucoup de programmes de concerts grâce là aussi à des professeurs hyper dévoués et d’un enthousiasme communicatif. Adolescents, nous nous amusions avec ma sœur Angélique à dire tout et n’importe quoi dans le style de récitatif à la Rameau et nous dépensions notre argent de poche à acheter des disques des Arts Florissants ou de Jordi Savall.
Alors évidemment lorsque j’ai vu passer un dépliant annonçant une académie pour jeunes chanteurs avec les Arts Florissants, je me suis inscrit tout de suite. J’avais la chance déjà d’être entré au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris et l’année suivante je me trouvai lauréat du premier Jardin des Voix. Ceci a donc coloré d’emblée et pour mon plus grand plaisir mes débuts de carrière avec cette teinte « musique ancienne ». Mon compagnonnage avec les Arts Flo dure depuis donc presque vingt ans maintenant !
Vous répétez en ce moment Titon et l’Aurore de Mondonville à l'Opéra-Comique. Toutes les représentations avec public sont annulées, mais une captation vidéo (en live) aura lieu le 19 janvier. Quel est votre état d’esprit, comment les répétitions se sont-elles passées, et quel rôle tenez-vous dans cette pastorale héroïque ?
Eh oui ! Pas de public dans la salle encore cette fois-ci… Évidemment je ne peux pas vous dire que ça ne fait rien, que ce n’est pas grave, car cette situation est excessivement grave et je vois tout autour de moi un grand désespoir envahir nos professions dont le fondement même est une passion profonde. Notre métier n’est pas seulement un moyen de gagner notre vie, c’est une partie intégrante de notre être et l’échange avec le public est une nécessité pour nous. Parfois je suis moi-même subjugué d’être payé pour avoir tant de bonheur à travailler et je souhaiterais que chacun puisse ressentir cela dans n’importe quelle profession.
Alors les théâtres font du mieux qu’ils peuvent pour sauver la situation et pour pouvoir donner un peu de travail aux techniciens et aux artistes : pour Titon et l’Aurore nous allons tout de même pouvoir terminer le processus de création de ce spectacle grâce à ce live ; c’est une grande chance dont nous avons tous conscience, car bien d’autres productions n’ont pas cette opportunité. De la même manière que lors de leur brève réouverture à l’automne, les théâtres respectent scrupuleusement les recommandations sanitaires et, tout en étant très régulièrement testés, nous avons répété avec masque, ce qui n’est pas très confortable mais ça nous a nous permis au moins de pouvoir continuer à travailler.
Modulons dans une tonalité plus positive : c’est évidemment un grand bonheur d’être sur scène ! Je chante le rôle d’Eole, le dieu des vents. Je suis amoureux de l’Aurore, mais celle-ci aime Titon et en est aimée. Donc je passe l’opéra à essayer de « pourrir » la vie de Titon pour récupérer les faveurs de l’Aurore, ce qui bien sûr ne fonctionne pas ! (rires) Je suis aidé dans mes manigances par Palès, la déesse des bergers qui aime Titon en secret et qui ne serait pas fâchée de se débarrasser de cette gênante rivale… Je crois que je peux dire qu’Emmanuelle de Negri et moi-même prenons un plaisir presque indécent à fomenter ces intrigues ! (rires)
Nous sommes entourés d’une équipe de collègues/amis de rêve, tant sur scène que dans la fosse et les coulisses. William Christie et Basil Twist collaborent main dans la main, ce qui fait que ces semaines de travail ont été très plaisantes…. Nous ferons au mieux pour que cette belle et bonne énergie se diffuse même en vidéo !
Vous retrouvez la Salle Favart en juin prochain pour interpréter le rôle-titre d’Orfeo (Monteverdi), une scène sur laquelle vous avez chanté de nombreux rôles. Que pouvez-vous dire de ce théâtre ?
J’y suis très heureux. L’Opéra-Comique est ma « maison parisienne », j’y chante depuis quinze ans presque chaque saison. J’aime ce lieu, cette acoustique. C’est un lieu chargé d’histoire, d’histoires et de mes histoires aussi ! (rires) Je suis tellement content de chanter Orfeo qui est un rôle qui me tient tant à cœur dans cette salle. L’Orfeo de Monteverdi est le dernier opéra que j’ai chanté en version scénique et en public avant cette crise. C’était à Copenhague et nous n’avons pu donner que deux représentations avant de rentrer chacun chez soi pour le premier confinement. J’espère que d’ici début juin nous pourrons à nouveau nous rassembler en présentiel comme on dit maintenant pour partager cette beauté !
Même si on vous associe généralement à la musique baroque, on vous sait ouvert également à la création contemporaine (ouvrages de Gérard Pesson, Pascal Dusapin, Oscar Strasnoy)…
Oui je suis un touche-à-tout et je le revendique ! J’aime les univers différents. La création contemporaine est l’un d’eux. D’ailleurs je devrais retrouver les Trois Contes de Gérard Pesson en avril à Rouen. Travailler et échanger avec des compositeurs vivants m’aide vraiment à comprendre les musiques plus anciennes. Comment transcrire sur le papier une vibration, une émotion ? En regardant du IXème siècle à aujourd’hui, j’observe la même limitation (sans doute très frustrante pour le compositeur…) que la notation musicale impose et l’imagination requise, du côté du compositeur comme de l’interprète pour que le message émotionnel passe dans son entièreté. Évidemment la notation a beaucoup évolué et évolue encore mais il y a toujours quelque chose qu’on n’arrive pas à écrire… Et je trouve ça très bien !
Vous deviez interpréter le rôle de Pelléas en juin dernier à l’Opéra de Montpellier, mais la crise sanitaire vous en a empêché, un rôle que vous êtes censé retrouver au Théâtre du Capitole en mars prochain. Pouvez-vous nous parler de ce rôle mythique, de votre conception du personnage, et de vos regrets et espoirs vis-à-vis de ces deux productions ?...
Je ne sais pas encore - et sans doute le théâtre non plus… - à quelle « sauce » nous allons être mangés le mois prochain, donc si ce Pelléas se fera ou pas. Je me prépare, comme je me suis préparé l’année dernière, et nous verrons bien. Cette œuvre et ce personnage me fascinent, et il y a déjà quatre ans que j’ai chanté Pelléas pour la dernière fois. Je suis certain que ce rôle va m’apprendre énormément tout au long de mon cheminement avec lui. J’ai grand-hâte de le retrouver. A Montpellier, j’attendais très fort de renouer avec cette si belle mise en scène de Benjamin Lazar que nous avions créée à Malmö en Suède, je trépignais de remettre ces chaussures (au sens propre comme au figuré car j’adorais absolument mes chaussures de Pelléas dégotées par le magicien qu’est Alain Blanchot !) et aussi de changer de partenaires et de voir le spectacle se transformer par leur présence.
A Toulouse, pour la mise en scène d’Eric Ruf qui voyage dans différents théâtres français cette saison, je reprends le flambeau de mes prédécesseurs en essayant d’en être digne et j’ai hâte que les différentes strates interprétatives qui ont dû façonner ce Pelléas me fassent découvrir d’autres facettes du rôle. J’espère vivement avoir la chance de pouvoir le répéter et le jouer.
Je forme le vœu que cette période si difficile qui nous prive de tant de choses essentielles renforce encore plus le lien qui nous unit dans le partage de l’émotion et de la beauté. Le travail sur soi est bien ardu pour rester inspiré et inspirant quand le contact entre nous est si limité mais j’ai confiance en la loi de l’Hormèse. Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort, n’est-ce pas ?...
Propos recueillis en janvier 2021 par Emmanuel Andrieu
19 janvier 2021 | Imprimer
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