Ajouter un nouveau rôle à son répertoire n’est jamais anodin pour un artiste lyrique. La reprise des Contes d’Hoffmann à Vienne est l’occasion de plusieurs prises de rôle, notamment pour Nicole Car (Antonia) et Serena Sáenz (Olympia et Giulietta), et les deux interprètes précisent comment elles abordent ces nouveaux rôles, comment entrer dans un personnage mais aussi en sortir.
Une prise de rôle, c’est-à-dire le fait d’interpréter un personnage pour première fois sur scène, est toujours un événement pour un artiste – et bien souvent aussi pour les spectateurs qui y assistent. Et pour cause, l’ajout d’un personnage au répertoire d’un chanteur ou d’une chanteuse se planifie généralement plusieurs années à l’avance (à l’image des productions des maisons d’opéra) et doit s’inscrire dans l’évolution d’une voix. Comment les artistes s’y préparent-ils ?
Préparer un nouveau rôle
La reprise des Contes d'Hoffmann à l’Opéra d’Etat de Vienne dans la mise en scène d’Andrei Serban (créée en 1993) est l’occasion d’apporter quelques éléments de réponses. La production est marquée par plusieurs prises de rôle, notamment celle de Nicole Car en Antonia, et de Serena Sáenz qui chante les rôles d’Olympia et Giulietta également pour la première fois. Dans nos colonnes allemandes, nous saluons la prestation des deux interprètes – Nicole Car offre un « soprano sensuel et de beaux aigus » à Antonia, quand Serena Sáenz fait « une délicieuse Olympia » tant par ses coloratures que son jeu dans l’interprétation de l’automate, et enthousiasme tout autant le public dans le rôle de la courtisane Giuietta, ici « aussi séduisante qu’aguicheuse ». Et à l’occasion d’un échange retranscrit sur le site de l’institution viennoise, on découvre comment les deux interprètes ont abordé ces prises de rôle.
On en retient d'abord que le travail de Nicole Car débute par l'étude du texte et de l’intrigue du livret : « Je veux savoir d'où viennent mes personnages, quel est leur parcours, où ils vont... Cette approche est cruciale pour moi avant de m'impliquer musicalement dans un rôle. Dans le cas d'Antonia, c'est un rôle fantastique pour moi car le français est ma deuxième langue. Je comprends donc les nombreuses nuances que le texte contient et je peux les travailler en conséquence. Une autre étape importante de ce processus d'étude consiste pour moi à écouter des enregistrements plus anciens. Je veux savoir ce qui a été fait auparavant – et comment ».
Quant à Serena Sáenz, la découverte d’un rôle passe d’abord par la musique. « J'écoute un ou deux enregistrements que j'apprécie particulièrement, puis je me penche sur la partition – et en même temps, j'étudie le livret. Ce n'est qu'ensuite que je commence à travailler les détails du rôle avec un pianiste. Mais c'est si beau travail, surtout dans le cas des Contes d'Hoffmann ! C'est l'un de mes opéras préférés ! La musique est si merveilleuse ! Oh, et j'adorerais être un ténor pour pouvoir chanter le rôle-titre ! » (rires)
Et appréhender l'identité de son personnage
Les artistes doivent aussi s'imprégner du rôle, notamment d'un point de vue théâtral. On le sait, dans l’opéra d’Offenbach, Olympia est un automate et lui « donner vie » sur scène n’est donc pas toujours aisé pour une interprète. Le rôle est néanmoins souvent associé à une « chorégraphie robotique » qui contribue à définir l’identité du personnage. À Vienne, Serena Sáenz souligne aussi le soutien de la mise en scène d’Andrei Serban, « très claire » et conçue théâtralement pour aider la chanteuse à restituer la partition musicale très exigeante du personnage. Car le grand air d’Olympia « a également quelque chose d'incroyablement technique et mathématique ». Selon Serena Sáenz, « Offenbach voulait ici un bijou de colorature et a repoussé la virtuosité vocale à l'extrême pour susciter ce "sentiment d'impossible" que seul un automate pourrait interpréter ».
Le rôle d’Antonia développe un autre type de complexité : le personnage d'Antonia est une artiste ayant une très belle voix mais qui ne peut pas chanter, sous peine d’en mourir. En d’autres termes, une chanteuse (le rôle) interprétée par une chanteuse (sur scène), et dans l’opéra, le chant relève d’une question de vie ou de mort. Selon Nicole Car, dans une certaine mesure, le livret des Contes d'Hoffmann fait écho aux enjeux auxquels les artistes peuvent être confrontés : « au sens figuré, nous, chanteurs et chanteuses, sommes toujours concernés par cette question de vie ou de mort. Pas physiquement, mais en tant qu'artistes, car notre existence artistique dépend de deux petits muscles, les cordes vocales (...). Je pense que nous avons tous peur qu'un jour ces petits muscles cessent de fonctionner. Antonia s'épuise dès la première ligne de chant – et pour autant, elle continue de chanter. Cela façonne l'image d'une chanteuse qui se sacrifie pour son métier, qui ne peut pas s'empêcher de chanter et qui répond à sa vocation. Bien qu'elle sache ce qui serait raisonnable, elle ne peut pas s'en empêcher, elle doit chanter – et donc mourir ».
On comprend que la chanteuse est en mesure d’appréhender les enjeux dramatiques du personnage imaginé par Offenbach – a fortiori à l’heure où les problématiques de santé mentale et de pression psychologique deviennent un sujet d’actualité pour les interprètes (qui doivent mener de front des carrières trépidantes au quotidien au gré de leurs engagements successifs, tout en devant aussi se projeter parfois des années dans le futur).
Pour Nicole Car comme Serena Sáenz, il convient d’accepter qu’être artiste ne signifie pas se définir uniquement en tant qu’artiste. En d’autres termes, s’il faut être capable d’entrer dans un rôle sur scène, il faut aussi savoir quitter son personnage pour retrouver la vie réelle.
publié le 19 décembre 2024 à 06h01 par Aurelien Pfeffer
19 décembre 2024 | Imprimer
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