Stéphane Lissner, comme tout nouveau directeur qui affiche des ambitions, était attendu au tournant par les sceptiques, les ricaneurs et tous ceux qui ne lui voulaient pas que du bien : le succès des premiers spectacles a très vite fait litière des réserves ou autres peaux de banane semées sur son chemin : la réussite est patente, saluée par la critique nationale et internationale et corroborée par l’enthousiasme du public qui remplit les salles. Cette réussite est bien sûr d’abord artistique mais elle est aussi morale : c’est parce qu’il a inscrit son projet dans une réflexion politique (au sens étymologique, c’est-à-dire le contraire du politicien) que cette réussite est aujourd’hui ancrée. Quelques éléments : les avant-premières ouvertes aux jeunes de moins de 28 ans au prix de 10 € qui ont suscité un élan extraordinaire, ou, plus confidentiel mais riche de perspectives multiculturelles, l’ouverture de la 3ème scène, cette plateforme électronique qui relie l’Opéra de Paris à des spectateurs et créateurs du monde entier qui dialoguent, prolongent, creusent, inventent, lancent des passerelles vers un avenir indécidable. La prise en compte d’une interdépendance entre l’idée (artistique), le langage (les langages) et le sens (les sens) – qui, par parenthèse, constituait l’enjeu du spectacle emblématique qui a ouvert cette « ère Lissner », Moïse et Aaron de Schoenberg – trouve avec cette deuxième saison un approfondissement. Non que tout ait été réussi dans cette première saison, autant qu’on puisse en juger à mi-chemin : aux éblouissements de Moïse et Aaron ou du diptyque Château de Barbe-Bleue/Voix humaine, a succédé par exemple le ratage (scénique) de La Damnation de Faust. Mais, chaque fois, la dimension musicale s’est haussée au meilleur, tant pour les nouvelles productions que pour les reprises, d’une étourdissante distribution française pour la reprise de Platée à la déchirante Ermonela Jaho en Butterfly en passant par un plateau superlatif pour Capriccio ou la venue d’Elina Garanca, pour un Werther illuminé par sa superbe Charlotte.
C’est cette tenue musicale qui semble être la marque de la deuxième saison proposée par Stéphane Lissner. Avec quelques approfondissements : si les grandes stars, celles qui excitent la passion des lyricomanes sont à nouveau là, de Jonas Kaufmann à Anna Netrebko en passant par Elina Garanca, Anja Harteros, Roberto Alagna ou Bryn Terfel, une nouvelle génération déjà brillante va voir se succéder Pretty Yende ou Elena Zaremba, Vittorio Grigolo ou Sonya Yoncheva, Maria Agresta ou Bryan Hymel, déjà entendues ces dernières années. Mais surtout, quelques voix et personnalités magnifiques vont débuter à l’Opéra de Paris et sans aucun doute susciter l’enthousiasme : je pense à Aïda Garifullina en Snegourotchka, à Nadine Sierra en Pamina ou Gilda, ou encore à Maria Celeng en Despina. Et surtout, après qu’on ait murmuré que l’Opéra de Paris allait « négliger les chanteurs français », on observera au contraire une vague impressionnante, des déjà célèbres Béatrice Uria Monzon, Véronique Gens, Laurent Naouri ou Jean-Philippe Lafont jusqu’à la nouvelle génération, les sopranos Julie Fuchs, Sabine Devieilhe, Vannina Santoni, les mezzos Clémentine Margaine, Stéphanie d’Oustrac, Aude Extremo, Eve-Maud Hubeaux, Isabelle Druet, Antoinette Dennefeld, Sylvie Brunet-Grupposo, les ténors Stanislas de Barbeyrac, Frédéric Antoun, Cyrille Dubois, Yann Beuron, Julien Dran, Philippe Talbot, le baryton Florian Sempey, la basse François Lis…
Mais, après avoir souligné le formidable éventail vocal de cette deuxième saison (pour laquelle, outre la curiosité toujours en éveil de Stéphane Lissner, il faut souligner le travail à ses côtés de son directeur de casting, Ilias Tzempetonidis), il faut observer les axes du projet artistique. Là encore, on observe un approfondissement avec plusieurs lignes de force : plusieurs spectacles nouveaux de styles différents, du pur baroque (Eliogabalo de Cavalli) à la création (Trompe-la-Mort, d’après un personnage de Balzac, une commande l’Opéra de Paris à Luca Francesconi, un compositeur né en 1956), de Mozart (Cosi fan tutte, dans une mise en scène de la chorégraphe Anne Teresa De Keeersmaker) à Wagner (Lohengrin mis en scène par le toujours passionnant Claus Guth) en passant par le bel canto (La Cenerentola, dans une mise en scène de… Guillaume Gallienne – succès de curiosité assuré !) ou l’opéra français (de Samson et Dalila mis en scène par l’excellent Damiano Michieletto qui a si bien réussi Le Barbier de Séville, à Carmen dans la mise en scène sulfureuse de Calixto Bieito). Deux originalités : d’une part, pour la première fois à l’Opéra de Paris, Snegourotchka ou La Fille de neige de Rimski-Korsakov, un merveilleux conte lyrique qu’on se réjouit de voir enfin découvrir par le public parisien, de plus dans une mise en scène de Dmitri Tcherniakov et avec la superbe Aïda Garifullina dans le rôle-titre, d’autre part un doublé inédit (comme l’an dernier Le Château de Barbe Bleue/Voix humaine) avec Cavalleria Rusticana de Mascagni et Sancta Susanna d’Hindemith.
L’autre point fort est constitué par les reprises de spectacles du répertoire mais redonnés avec des distributions incroyables : de Tosca avec Anja Harteros, Marcelo Alvarez et Bryn Terfel, à Lucia di Lammermoor avec Pretty Yende, des Contes d’Hoffmann avec Jonas Kaufmann, Sabine Devielhe, Kate Aldrich, Ermonela Jaho, Stéphanie d’Oustrac, à La Flûte enchantée avec Stanislas de Barbeyrac, Florian Sempey, René Pape, Nadine Sierra, Sabine Devieilhe et même, luxe absolu, José van Dam en Sprecher (!) ou encore d’Eugène Onéguine avec Peter Mattei dans le rôle-titre et pour Tatiana, Anna Netrebko alternant avec Sonya Yoncheva, à Rigoletto avec Vittorio Grigolo et Nadine Sierra !
Mais à chacun de se plonger dans cette saison richissime et d’y goûter par avance des plaisirs innombrables ! Nous les suivrons pour vous sur Opera Online, afin de voir se dessiner en acte ce projet artistique qui, en quelques mois, a redonné à l’Opéra de Paris un lustre international dont la France a de quoi être fière.
Alain Duault
10 février 2016 | Imprimer
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