Dans les contes de fées qu’on raconte aux enfants, le loup est traditionnellement le méchant d’une histoire souvent très manichéenne. Et si le loup n’était pas le monstre terrifiant qu’on présente souvent, mais une créature seule et chassée, ayant besoin d’aide ? C’est le postulat de The Girl, the Hunter and the Wolf, le quatrième opéra du compositeur portugais Vasco Mendonça, qui fait l’objet d’une création mondiale à l’Opéra d’Amsterdam dans une mise en scène d’Inne Goris. Et si l’ouvrage s’adresse aux enfants, le compositeur et la metteure en scène entendent « prendre ce jeune public au sérieux » en y abordant aussi les sujets sombres d'un monde complexe.
Un opéra dans l’air du temps
The Girl, the Hunter and the Wolf est né d’un constat de Vasco Mendonça : le compositeur portugais se dit « inquiet de la façon dont on gère les divergences d'opinions dans le monde d'aujourd'hui : en cas de désaccord, on devrait pouvoir s’asseoir ensemble et trouver des compromis, mais il semble que de nos jours on veuille surtout faire taire ses contradicteurs, les écraser. Je voulais souligner que ce qui est différent n'est pas nécessairement dangereux ».
Avec la metteure en scène Inne Goris, le compositeur envisage d’abord d’adapter le conte des trois petits cochons, avant d’articuler l’opéra autour du personnage du loup – un rôle de contre-ténor, qui sera créé par Arturo den Hartog à l’Opéra d’Amsterdam. Dans le livret du philosophe Gonçalo Tavares, le loup fuit le chasseur et rencontre le Petit Chaperon Rouge qui se montre à l’écoute et essaie de l’aider. D’après Vasco Mendonça, « le Loup incarne notre peur de l'inconnu et de l'autre ». L’opéra raconte ainsi « une histoire de différences, de désaccords et de malentendus », avant de se conclure sur une fin ouverte ne précisant pas si le Petit Chaperon Rouge et le Loup échapperont au Chasseur (pour la création, le rôle est confié à la mezzo Leonie van Rheden).
Le reflet d’une réalité complexe
Selon Vasco Mendonça et Inne Goris, le jeune public a vocation à « se forger ses propres idées sur la façon dont l’histoire devrait se terminer ». Pour la metteuse en scène, le spectacle doit aussi « montrer les aspects les plus sombres de la vie et laisser certaines choses dans l’ambiguïté ». Elle poursuit : « je pense qu’il faut prendre les enfants au sérieux (...), je ne veux pas éviter les sujets lourds, des choses laides et sombres arrivent, cela fait partie de la vie et vous ne rendez pas service aux enfants en laissant ces éléments hors du spectacle ». The Girl, the Hunter and the Wolf affiche aussi cette ambition de pousser le jeune public à la réflexion, à appréhender une réalité complexe et à en parler. « Les parents et les enseignants ont parfois peur de parler aux enfants de sujets sérieux après un spectacle », selon Inne Goris, « le vrai problème est là ». Or selon Vasco Mendonça, « il faut en parler pour que ces sujets ne se transforment pas en croque-mitaine, si gros et terrifiants qu'on ne peut plus les traiter ». C’est l’un des effets cathartiques du conte, et l’opéra se le réapproprie.
Dans The Girl, the Hunter and the Wolf, le rôle du Petit Chaperon rouge (créé à Amsterdam par la jeune soprano belge Sabra El Bahri-Khatri) n’est pas une petite fille sans défense. Elle est une jeune femme forte et sûre d’elle, bien plus que le Loup avec qui elle noue un lien d’empathie. À la fin de l’ouvrage, elle chante son air The world is a strange party, but I’m dancing (« le monde est une fête étrange, mais je danse »). Pour les auteurs, il faut le comprendre comme le constat que le monde est certes complexe, mais qu’on peut y trouver sa place et le parcourir à son propre rythme. Selon le compositeur, c’est là le message humaniste de son opéra : « nouez des liens, ne dites pas non par principe, donnez une chance aux autres » – car le Loup n’est peut-être pas toujours celui qu’on croit, et le jeune public peut sans doute l'entendre.
- The Girl, the Hunter and the Wolfi est donné en création mondiale à l'Opéra d'Amsterdam du 15 au 23 octobre 2022.
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